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Michel ZORDAN présente des extraits de ses romans. Il se laisse également aller à quelques réflexions sur l’actualité.

04 Jan

Le seigneur de Saint-Cirq

Publié par Michel Zordan  - Catégories :  #le seigneur de Saint-Cirq

gaillard de la popieContes et légendes ? Dans ce récit, fiction et histoire se mêlent et s’entremêlent… Je me présente, Gaillard de la Popie, né à Saint-Cirq le 6 mars de l’an 1253. Fils de Galhard de la Popie et d’Ermengarde de Cardaillac. Je suis le benjamin, le petit dernier d’une famille....

 

Episode 9 - Artix rallia cinq ogres et nous partîmes en direction de la Grand’Place.  Nous aperçûmes Thion, le coup et les bras emprisonnés dans le carcan. Ses pieds touchaient à peine la calle de bois que ses tortionnaires avaient placée pour compenser sa petite taille.  Le petit homme semblait au bord de l’asphyxie.  Artix se tenait avec moi un peu en retrait, les ogres ne perdirent pas un instant et le soldat qui surveillait fut mis hors de combat en un temps record. En un temps tout aussi record, il remplaça Artix au pilori.  Le spectacle était relancé, les badauds, petits et grands se mirent à applaudir. Faisant immédiatement subir à l’homme ce qu’ils avaient fait subir à Thion, lui lançant des fruits et des légumes pourris.   Je me demandai encore les raisons qui avaient motivées Artix en m’emmenant avec eux.  Après le diner d’hier au soir, je n’avais pas revu Altiq.  Cela voulait-il dire qu’il m’avait vendu au clan Odard et qu’il était reparti ?  

 

 

 

  Alors Gaillard, comment as-tu trouvé les ogres ?    Efficace non !

 

 

 

  Très efficace Artix.  Que va-t-il se passer maintenant, que va faire le prévôt ?

 

 

 

Il ne réagira pas immédiatement,  il reviendra à la charge pour obtenir plus d’argent. S’il échoue, il cherchera une nouvelle occasion de nous nuire. C’est la même rengaine depuis des mois.

 

 

 

– Mais vous n’avez pas peur qu’il vienne ici, avec ses hommes ?

 

 

 

  Non, pas du tout. Il ne veut pas tuer la poule aux œufs d’or, il veut juste nous pousser à lui donner toujours plus.  Mais là il est allé un peu loin, il a besoin d’une leçon, d’une très bonne leçon même.  Nous avons élaboré un plan, il est temps de le mettre en œuvre et tu auras ton rôle à jouer. 

 

 

 

  Artix, je n’ai pas vu Altiq, il est où ?  

 

 

 

  Odard lui a confié une mission, il ne sera pas là avant plusieurs jours, peut-être même plusieurs semaines. Revenons à nos moutons.  Nous pouvons te laisser aller et venir à ta guise dans cette maison, à la condition que tu donnes ta parole d’honneur de ne pas chercher à t’enfuir. Tu ne pourras pas non plus sortir sans une escorte.  Si tu n’es pas d’accord, nous serons contraints de te jeter dans une geôle, avec d’autres prisonniers. Il y fait froid, très froid, et c’est très  humide. Et en plus on y mange très mal,  et les autres prisonniers sont des voyous de la pire espèce.  Nous pouvons te faire visiter si tu le souhaites, tu pourras te faire une idée.

 

 

 

Même si je me demandai qui pouvait bien être emprisonné dans les sous-sols, je le croyais sur parole.  Pour le moment je devais juste suivre le court des choses, sans faire de zèle.  Je donnai ma parole et retournai dans la salle d’armes. L’entrainement des ogres concernait aussi les jeux : dames, dés, dominos. L’entrainement consistait bien sur à la tricherie. Le dîner se passa dans une petite salle contigüe aux cuisines.  Je fis connaissance avec  les quatre ogresses qui régnaient là : Ade,  Déda, Ide et Ysoir.  Plutôt sympathiques,  mais j’étais certain qu’à la moindre incartade, elles le seraient beaucoup moins. Je passais l’après-midi dans la salle d’armes,  et je compris que chacun des ogres était classé par spécialité, suivant ses aptitudes.  Durant de longs moments je tentai de comprendre comment fonctionnaient les tricheries aux jeux.  Puis je m’intéressai aux larcineurs. Prenant à plusieurs reprises la place du manant arpentant le pavé.  Leur dextérité était incroyable, je savais qu’ils allaient agir et pourtant je me faisais piéger à chaque fois.  Je ne pouvais m’empêcher de penser à ma maman, à mon père, à mes frères, à mes grands-parents et à tous ceux qui vivaient à mes côtés à Saint-Cirq.  Que faisaient-ils en ce moment ?  Me recherchaient-ils,  et savaient-ils que j’étais bien en vie, que je n’allai pas si mal ?  Etait-ce quelqu’un de notre entourage qui avait ourdi ce forfait ?  Peut-être Déodat Barasc ? Pour se venger de ma famille et de celle des Cardaillac après l’attaque sur le moulin de Cabrerets et la venue en force de notre clan au procès de Cahors ?   Mais peut-être pas !   Je n’étais plus retourné dans la taverne, l’Antre des Ogres.  Peut-être s’y passait-il des choses que les enfants ne devaient pas voir.

 

 

 

Depuis mon enlèvement,  je vivais des choses incroyables. Mais comme le répétait souvent mon père, l’endurcissement moral et physique faisait partie de l’apprentissage de la vie.  J’étais servi. Lorsque j’aperçu Artix venant vers moi, je compris que mon apprentissage entrait dans une nouvelle phase.

 

 

 

  Gaillard,  nous avons mis au point un plan pour attirer Adémar Fulbert dans  les mailles de notre filet.  Mais personne ne doit savoir que nous sommes derrière tout cela.  Nous allons  t’accompagner dans une autre maison, à la sortie de la ville.   Tu y vivras avec une dame, une très belle dame et tu l’accompagneras partout.  L’appât c’est elle !    

 

 

 

En quelques mots Artix me donna  les consignes.

 

 

 

Attention Gaillard,  un conseil. N’essai pas de t’enfuir,  nous te rattraperions facilement et après tu irais directement dans la geôle. Par contre si tu joues le jeu,  nous t’aiderons à retourner dans ta famille. Tu nous aides, nous t’aidons, c’est donnant donnant.

 

 

 

Depuis mon arrivé, c’était la première fois que j’entendais parler d’un possible retour chez moi. Dès la tombée de la nuit,  nous partîmes.  Thion, l’ogre condamné au pilori  par le prévôt  et moi. Nous marchâmes de ruelle en ruelle,  puis le petit homme me fit un signe. Nous étions arrivés. Adossée à la Dordogne, il s’agissait d’une grande bâtisse fortifiée flanquée d’une tour crénelée à ses deux extrémités. Thion, frappa, la lourde porte s’ouvrit dans un grincement.  À l’intérieur, j’eu le temps de distinguer une silhouette qui s’effaça aussitôt, puis  une femme ordinaire nous accueillie.

 

 

 

  Bonjour Gaillard, je m’appelle Mahaut.  Viens,  je vais te présenter à ma maîtresse !

 

 

 

Nouveau grincement, je me retournai mais l’ogre avait disparu.  Dans un grand salon, magnifiquement meublé, assise sur un fauteuil,  occupée à broder,  une  dame très belle, très,  très belle.  Dès qu’elle me vit un sourire illumina son visage.

 

 

 

- Approche Gaillard,  nous allons  faire connaissance.  Assied-toi à coté de moi, voilà… Je sais d’où tu viens, et je sais aussi comment tu es arrivé ici.   Odard m’a dit beaucoup sur toi, que tu étais très courageux, et très intelligent.  Que tu savais lire et même écrire.  Mais toi, tu ne sais rien sur moi !  Je m’appelle Alayde, et  je suis revenu dans cette ville depuis peu.  Il y a quelques semaines, dans le château ou je résidai j’ai reçu la visite de Odard,  le chef du clan des ogres, il connait beaucoup sur ma vie. Il m’a proposé un marché,  je ne peux pas encore t’en révéler l’exacte  teneur, mais ça viendra. Je pense que si tu es ici, c’est qu’en échange il t’a promis de t’aider à retourner chez toi.  Je vais juste te dire que chacun de nous, Odard, toi et moi avons une très  bonne raison d’unir nos efforts afin de nous emparer d’Adémar Fulbert, le prévôt de cette ville.  Dès demain matin, nous mettrons notre plan en marche.  Je sais que tu as une maman, qui loin d’ici t’attend et qui pense beaucoup à toi.  Je sais que ton enlèvement a été pour elle un déchirement.  C’est toujours ainsi lorsque l’on enlève un enfant à sa mère.

 

 

 

À peine  Alayde avait-elle prononcé la phrase que des larmes perlèrent aux coins de ses grands yeux noirs.  J’étais très ému, mais certain maintenant que cette femme avait traversé des moments très douloureux. Adémar Fulbert  devait être mêlé  de très près à ceux-ci.

 

 

 

  À partir de demain  nous nous rendrons régulièrement sur la Grand ‘Place.  Je porterai  un voile qui dissimulera en partie mon visage. Toi, tu seras à mes côtés,  comme un fils. Il y aura aussi Mahaut. Nous n’y resterons jamais très longtemps, juste quelques instants, mais au moment ou il y aura le plus de monde. Rapidement Adémar Fulbert  sera informé.  Tu ne devras jamais t’éloigner de nous, jamais.  De toute façon, les ogres veillent,  mais tu devras toujours rester près de nous.

 

 

 

Dans la soirée,  je jouai aux dames avec Alayde.  Sa joie me semblait un peu forcée, un peu contrainte, abritant un immense désespoir.  

 

 

 

En milieu de matinée, nous partîmes en direction de la Grand’Place.  De loin les rumeurs se firent entendre, comme le jour de mon arrivée les badauds étaient légions. Ça bougeait dans tous les sens, les gens s’affairaient en désordre.  Devant l’étal d’un salaisonnier je repérai l’un des ogres du clan Odard, et même un deuxième faisant l’attraction, attirant sur lui l’attention. J’étais persuadé que l’un des quidams s’intéressant à la cochonnaille allait rapidement perdre sa bourse.  Lorsqu’au milieu de la foule, un rayon de soleil se refléta sur une lame, d’instinct ma main serra plus fort celle d’Alayde.  Ce n’était qu’un marchand ambulant,  proposant sa charcutaille. Le métal  affuté de son couteau servant de support à la rondelle de saucisson. 

 

 

 

  Sentez-moi ce fumet,  gentes  dames !  Je la produis moi-même, dans ma ferme de Monbazillac. Chez moi les pourceaux sont traités comme des rois,  c’est sans doute pour ça que certains disent que ma salaison est exquise.

 

 

 

Mahaut repoussa  l’intrus de la voix, une première fois, puis une deuxième. À la troisième,  elle en vint à le bousculer.  La rondelle tomba au sol, rapidement engouffré par un chien.  Je pense que Mahaut avait saisi là l’occasion de nous faire discrètement remarquer.  Peut-être intrigué par le voile dissimulant le visage d’Alayde,  le manant ne se démonta pas pour autant.  Nous poursuivant avec encore plus d’insistance,  armant sa lame d’un nouveau morceau, bien plus conséquent, nous barrant presque le chemin.  Cette fois c’est  Alayde qui s’occupa de l’importun,  le menaçant d’une dague sortie de je ne sais où.  Vu d’en bas, son regard était froid, dur, j’étais persuadé qu’elle pouvait frapper. Désappointé l’homme se replia. Cette fois plusieurs regards se retournèrent sur nous, une bonne entrée en matière.   

 

 

 

  Viens Gaillard, il est grand temps de rentrer. Mahaut va terminer seule le marché. 

 

 

 

Sa main sur ma main,  était puissante, presque écrasante. Puis,  petit à petit son emprise devint plus souple, plus bienveillante.  Son visage  aussi se radoucit.  

 

 

 

  Pardon Gaillard, ce marché,  ce rustaud me rappelle de trop mauvais souvenir. À l’avenir je serais forte,  la réussite de notre en dépend.

 

 

 

Mahaut arriva quelques instants plus tard et  Alayde me proposa d’aller dans ma chambre, un cadeau m’y attendait.  J’y trouvai un ouvrage de Pierre Abélard, homme de théologie et philosophe né en 1079.  Je feuilletai quelques pages, lu quelques mots, quelques phrases,  sans vraiment y comprendre  grand-chose.  Discrètement  je revins sur mes pas et redescendis l’escalier. Arrivé à deux marches du bas, je m’arrêtai et écoutai. Alayde et Mahaut discutaient, mais impossible de comprendre sans m’approcher davantage et risquer de me découvrir.  C’est en remontant, arrivant sur le palier,  devant ma chambre  que l’idée me prit de suivre le couloir et d’ouvrir une porte tout au fond. Je passais quelques marches, puis encore une autre porte et une autre.   Pour me retrouver sur une terrasse couverte,  surplombant une vaste cour ceinte de hauts murs à créneaux percés de meurtrières  et de mâchicoulis.  Sous le chemin de ronde étaient aménagés des appentis abritant des ateliers, certains ouverts, d’autres fermés. Et tout au milieu, un puits. Celui qui avait conçu cette maison ne devait pas avoir que des amis. Tout en bas,  s’activaient des moines manipulant un liquide blanchâtre dans de grands bacs,  d’où remontait vers moi un fumet très particulier. En y regardant plus précisément, je compris que ces religieux fabriquaient du fromage. Un monte-charge, façon tyrolienne permettait d’atteindre le deuxième étage. Il prenait son début tout au fond de la cour à une quarantaine de pas. Je restai là, à regarder durant un long moment, personne ne semblait s’intéresser à moi. Puis je repris le chemin du retour.  En arrivant dans ma chambre, Alayde attendait là.

 

 

 

  Tu  as visité la maison, je suis certaine que tu as trouvé des choses très intéressantes ? Raconte-moi !

 

 

 

   C’était juste par curiosité, je n’avais pas l’intention de m’enfuir !

 

 

 

  Je te crois Gaillard et je comprends fort bien que tu essai de savoir ou  tu te trouves.  Tu as vu les moines travailler ?  Leur fromage affiné à l’huile de noix est excellent, ils l’appellent la Trappe de Bergerac. Les moines sont des frères prêcheurs, des dominicains,  ils se sont installés là bien  avant mon retour.  Le couvent est celui des Jacobins, il était inoccupé depuis plusieurs années.  Si tu veux, je pourrais te présenter à eux, à mon avis ils ne s’opposeront pas à ce que tu les aides un peu. C’est frère Hugues qui en est le responsable.

 

 

 

Après le dîner ce fût chose faite et frère Hugues me présenta aux autres religieux : frères Sylvestre, Eudes, Hervé, Helgaud,  Renoul et…  Ils étaient trente trois à être installés ici.  Je passai une bonne partie l’après-midi en compagnie du frère Eudes, c’est lui qui avait en charge la responsabilité de l’élaboration de la Trappe de Bergerac.  

 

 

 

L’une des mes premières question fût : – Pourquoi la Trappe ?

 

– Durant très longtemps ce sont des frères Trappiste qui nous ont hébergés.  Cette communauté  a été créée au siècle dernier dans une abbaye  de Perche. Le nom vient du mot marche, les marches qu’il fallait descendre pour se rendre sur la rivière. Dans la langue de ce pays, marche se dit trappe.  Ce sont ces mêmes frères Trappiste qui nous ont révélés le secret de fabrication de ce succulent fromage. Pour leur rendre hommage nous l’avons appelé la Trappe, la Trappe de Bergerac. Nous y avons bien sûr apporté notre petite touche, en l’affinant à l’huile de noix du Périgord.

 

 

 

De jour en jour, j’en appris davantage.  J’appris que les moines qui résidaient ici, avaient essaimé d’une communauté plus importante de Périgueux, un grand fief plus au Nord.   J’appris aussi que le couvent des Jacobins était un don de la Dame de Bergerac.  Aucun des moines ne connaissaient cette Dame.  Par contre tous connaissaient Dame Alayde,  qui avait aménagé bien après leur arrivée.  Je n’en dis rien, mais pour moi cela ne faisait aucun doute, Alayde  était la Dame de Bergerac.  Pourquoi en étais-je venu tout de suite à cette conclusion ?   Je ne pouvais répondre à cette question.  J’étais persuadé que le frère Eudes en savait plus qu’il ne voulait bien me dire au sujet de la Dame de Bergerac.  J’appris aussi le nom de celui qui avait imaginé le monte-charge, façon tyrolienne. C’était l’œuvre d’un ingénieur sarrasin se prénommant Imad. Fait prisonnier en Terres Saintes lors de la dernière croisade, et ramené en France par des croisés.  Malade,  cet homme fut  recueilli et soigné par les moines Prêcheurs. En récompense Imad l’ingénieur élabora les plans et conduisit les moines compagnons pour ériger cette curieuse et complexe machine. En cave, un système de contrepoids, de poulies et de cordage en disait assez long sur le cerveau qui l’avait conçu. En le voyant fonctionner, je compris que ce  système équipé d’un frein emmagasinait à la descente l’énergie nécessaire pour la remontée.

 

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