Les grands tourments
Les grands tourments collection les exilés de L'Arcange volet 4
ISBN 978-2-9532863-3-5 - 282 pages
Même si cette histoire vient en partie d’ailleurs, elle se raconte en Gascogne, pays de l’Armagnac .
Persécutée par des éléments fascistes, notre famille est contrainte de s’expatrier en France. Avec déchirement, nous laissons en Italie, notre maman et nos grands-parents, tous trois décédés tragiquement au cours de l’année 1929. Le premier février 1930, papa, Mariéta, ma grande sœur, et moi, nous foulons pour la première fois le sol de France. Je ne suis alors âgé que de huit ans, et ma sœur de onze. Notre père a obtenu un travail d’ouvrier agricole, au château Tourne Pique, grande propriété située dans la petite bourgade de Floréal. À notre arrivée en Gascogne, nous sommes pris en charge par Aristide Clément Autun, capitaine dans l’armée. Quelques mois plus tôt, celui-ci avait hérité de son oncle, Isidore Clément, du château Tourne Pique, reconstruit au début du XIXe siècle, et de ses sept métairies. Situé dans le Gers, à trois kilomètres de Floréal, le château Tourne Pique est en réalité une grande maison bourgeoise de trois étages, flanquée d’une tourelle à chacune de ses extrémités. Dressé sur une colline, il domine toute la campagne environnante. Haut lieu de l’Armagnac Ténarèze fort prisé, le château Tourne Pique dispose de quatre-vingt-cinq hectares de vignes. Afin de régler les droits de succession et les quelques dettes que l’oncle Isidore a également laissées en héritage, le capitaine est obligé de se séparer de la ferme de L'Arcange.
Fin 1929, pour échapper à la vindicte d’un fasciste fanatique papa décide de notre exil en France. Le 3 février 1930, la famille Montazini, Émilio, mon papa, Mariéta ma grande sœur et moi Sylvio arrivons en Gascogne, dans le Gers. C’est au château Tourne Pique, dans la bourgade de Floréal que nous posons nos valises. À peine quatre mois plus tard, le capitaine Aristide Clément Autun, propriétaire du château, propose à papa d’acheter la ferme de L’Arcange. Délaissée depuis plusieurs années, ses terres sont réduites à l’état de friches, mais cela nous est complètement égal. Nous sommes les plus heureux au monde, nous avons enfin une maison bien à nous et l’important est là… En septembre 1933, le père Guillaume, un religieux de l’abbaye de Flaran, nous apprit l’origine du nom de L’Arcange.
Extrait : Âgée de 15 ans, Mariéta poursuit ses études au Lycée Henri IV à Paris. Depuis septembre 1932, elle tient compagnie à une pétillante vieille dame, Edmonde de Barsac. Cette Dame affectueusement surnommée par papa, la Dame en Blanc a fait irruption dans notre vie dans des circonstances assez extraordinaires. C’était vers la fin de l’été 1931, en remontant vers un passé riche en évènements ayant une fois de plus poussé la France dans le tumulte.
Papa travaille en alternance au château Tourne Pique et sur notre ferme de L’Arcange.
Je suis né comme ma sœur Mariéta et mon papa Émilio en Italie, dans la région des Abruzzes. Mon anniversaire c’est pour bientôt, le 12 janvier prochain je fêterai mes 12 ans. Depuis octobre dernier, j’étudie au lycée Bossuet de Condom.
Notre installation dans la ferme de L’Arcange six mois seulement après notre arrivée en France n’a pas manqué de susciter haine, hostilités et jalousies parmi certains habitants de Floréal. Et pour ne rien arranger, notre passé nous rattrapa et bonheur alterna singulièrement avec malheur.
Hier avec papa nous fêtions le 1er de l’an 1934 chez madame Éliette, au château Tourne Pique. Nous y avons retrouvé Amandine et ses parents. Ils sont repartis ce matin. En début d’après-midi, je décidai de faire un saut à la Rondouillère, pour souhaiter la bonne année à mon amie Séverine Jacquard. Jamais je n’ai trahi son secret, même Amandine n’ai pas au courant, seuls papa et moi savons. Je me suis maintenant presque sorti de l’idée qu’elle pouvait être une espionne à la solde des nazis ou des fascistes, presque…
La dame mystérieuse me proposa une balade dans sa magnifique Bugatti. Je la sentais très excitée, presque euphorique. C’est là qu’elle m’apprit que l’un de ses amis avait rencontré aux États-Unis un célèbre chirurgien. Selon lui, ce spécialiste en greffes de peau devait pouvoir, en partie du moins, réparer les dégâts occasionnés par l’accident dont elle avait été victime.
– Vous n’allez plus revenir ici ? Vous allez vendre la Rondouillère ?
– Non, bien sûr que non. De toute façon, mon ami m’a bien précisé que ce procédé était encore très expérimental. Je ne crois pas au miracle, mon visage ne sera jamais plus comme avant. J’espère juste pouvoir me regarder dans un miroir. Et puis Gaspard reste ici, pour surveiller et entretenir la maison, tu pourras venir lui rendre visite. Je te promets de t’écrire, par contre, je ne te donnerai pas mon adresse en Amérique !
Séverine Jacquard partit début février. La première lettre que je reçus d’elle était pleine d’espoir, peut-être même trop. La seconde, juste quelques jours après avoir subi la deuxième intervention. C’était un mélange de désillusion et de désespoir. Mon impression était que la dame mystérieuse avait trop cru au miracle et que sa confiance commençait à lui faire défaut.
Sans attendre, je décidai de lui répondre et de rendre une visite au gardien. Je comptais sur lui pour transmettre ma correspondance à mon amie.
– Monsieur Gaspard, je sais que vous pouvez la joindre, je lui ai écrit une lettre, vous pouvez et vous devez la lui transmettre. Il en va de la vie de notre amie. Parce que Séverine Jacquard est aussi votre amie et que cette amie va faire une bêtise.
Je n’eus pas à insister vraiment et cela me conforta dans l’idée que Gaspard avait lui aussi reçu des nouvelles inquiétantes.
– D’accord petit, tu as peut-être raison, sa dernière lettre me semble bizarre. Elle a même écrit que si tu venais me rendre visite, je pouvais te faire entrer dans son bureau. Même moi, je n’y suis jamais entré sans qu’elle ne soit là ! Donne-moi cette lettre, je verrai ce que je peux faire !
– Puisque c’est elle qui le demande, pourriez-vous m’accompagner dans son bureau ? J’aimerais bien le visiter, pour essayer de comprendre certaines choses!
Gaspard hésita quelques secondes, puis il finit par m’ouvrir la porte et me laissa seul.
À peine entré, je remarquai les dizaines et les dizaines d’illustrations ornant les murs. Scènes de la vie ordinaire, marchés, maisons, clochers, paysages champêtres, tous tracés au crayon noir. Sur son bureau, les piles de dessins étaient entassées çà et là.
Voilà à quoi la dame mystérieuse passait son temps, voilà pourquoi nous l’avions aperçue un peu partout, semblant nous épier. J’en pris une poignée, les feuilletai et retrouvai sans peine des lieux, des situations et des personnages que je reconnus parfaitement : Hercule sur le camion le jour même de son arrivée ; Félix, sa sœur Lucette, Amandine et moi, au bord du ruisseau en train de pêcher ; L’Arcange avec le commandant Estrada et les insurgés ; l’incendie de l’atelier du tracteur ; Hercule II faisant tourner la batteuse ; Amandine et moi pédalant sur la route de Floréal ; le duel des titans ; l’église Saint-Laurent de Floréal ; l’école et les instituteurs, monsieur et madame Sourtis ; le moulin et les pêcheurs ; papa sur le tracteur ; la cathédrale St-Pierre de Condom ; le père Grégorio sur sa moto ; la fouine et sa blonde platine dans la décapotable ; madame Éliette dans sa Delage, etc. Et il y en avait des dizaines et des dizaines d’autres. Il y avait même la fouine aux prises avec Le Goinfre. Séverine Jacquard assistait donc aussi au spectacle.
Jamais, à ma connaissance, cette dame n’avait été aperçue avec un chevalet, ou même un crayon. Elle devait, à l’instar d’un appareil photo, graver les scènes dans sa mémoire, pour les restituer ensuite sur le papier. Le travail accompli était prodigieux, stupéfiant.
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