Mon lit dans le buffet
Je dois avoir onze, peut-être douze ans, lorsque de mon buffet, j’assiste à un spectacle assez surprenant. Nous sommes dans la fin de journée qui suit le solstice d’été, un peu après la tombée de la nuit. Enfermé dans mon antre, j'entends le grincement de la porte du fenil qui s’ouvre. Puis des voix basses qui s’approchent. Rapidement de petits rires de femme, puis de petits cris, des gémissements se font entendre tout près. Voulant en avoir le cœur net, j'entrouvre légèrement et précautionneusement une porte et comprends immédiatement que j’assiste à un accouplement entre humains. Une femme, que j’ai quelques fois entrevue, faisant du cheval, sur les allées du parc du château, et un homme, plus jeune, que je vois régulièrement, trop régulièrement même, sont couchés à même le foin. Cet homme, s’appelle Abélard, il est le fils de Gustave Flettrier, le régisseur. Très colérique, et porté sur le vin et la gnole, Abélard s’emporte pour un oui, ou pour un non. Surtout lorsqu’il est aviné, mais pas que. Et malheureusement, dans ces cas-là, mieux vaut ne pas se trouver dans les parages. Il épanche sa colère, à défaut de sa soif, en frappant de sa trique sur tout ce qui se trouve à portée. Au début, très souvent, c’était mon échine qui dégustait. Il n’est pas le seul à me frapper, mais lui, prends un malin plaisir à s’acharner, me traitant de sales bâtards. Je ne sais pas ce que le mot veut dire. Heureusement, la leçon a rapidement porté ses fruits et maintenant je l’évite, surtout lorsqu’il a abusé de vin, ou de gnole. Ce n’est pas la première fois que j’assiste à un accouplement. À la campagne, avec les bêtes, c’est très fréquent. Les coqs avec les poules, le taureau avec les vaches, les brebis et le bélier, les chiens et…Mais jamais, je n’ai assisté à un accouplement entre humain. D’abord les bêtes n’ont pas de vêtements et pratiquent la chose debout, pas couché dans le foin, ou la paille. En plus, avec les bêtes, pas de soupirs, ni de gémissements, ou de petits rires ou cris. C’est en quittant le fenil, qu’Abélard remarque le buffet qui me sert de refuge. Avant même qu’il ne s’approche, je referme prestement la porte et la bloque de l’intérieur. La deuxième est également verrouillée de l’intérieur.