Un exil plus loin

Auteur Michel Zordan - Extrait : Adrian quitte mon bureau, mais moins d’une minute plus tard j’entends la poignée de la porte tourner. Je pense qu’il a oublié de me parler de certains détails, mais je pense mal. Dans l’encadrement se tient le maître de chai, un Erc Calbagh pas vraiment très frais. Dans sa grosse main l’homme a une bouteille de bière, titubant il avance difficilement vers moi.

— T’es venu faire quoi ici le Frenchy ? T’es venu pour tout foutre en l’air, mais c’est moi qui vais te foutre en l’air !

L’homme s’avance encore, sans précipitation je me lève. Il s’approche du bureau et y brise la bouteille, la tenant par le goulot.

— T’es moins fier le Frenchy, j’vais te décoller la tête et ils te mettront dans une caisse pour te renvoyer dans ton putain de pays de Frenchy. Le domaine des Hartmann c’est mon affaire, pas la tienne.

Doucement je me dégage de derrière le bureau. À deux mètres à peine Erc Calbagh me fait face, il se rapproche en titubant jusqu’à moins d’un mètre. L’homme a du mal à tenir son équilibre. Compte tenu de son haleine de phoque, je pense qu’il a ingurgité pas mal de whisky et s’est terminé à la bière. Puis il se jette sur moi, la main tenant le tesson devant lui. J’esquive sans mal son attaque, il finit sa course contre le mur, tombant au sol, se coupant la joue avec l’arme qui m’était destinée.

— Alors l’Irlandais on tient pas l’alcool ? Tu devrais te mettre au vin, mais au vrai, pas la bibine que tu fais, ça c’est pas du vin. Tu verras, si tu as un peu de patience, et si tu ne t’échappes pas avant, tu pourras voir ce que c’est du vrai vin.

Un bruit de pas précipités se fait entendre, Shona Rathnait l’Irlandaise entre comme une furie dans le bureau.

— Vous lui avez fait quoi ? Vous avez profité de la situation pour le frapper, vous êtes bien un salaud de Frenchy. Vous allez le payer très cher, vous ne connaissez pas les Irlandais !

Toujours au sol, chouinant et vociférant comme un désespéré, Erc Calbagh ne parvient pas à se relever. Le sang pisse fort, la blessure semble assez profonde. Shona Rathnait se penche sur son compatriote et l’aide à se remettre sur pied, puis le couple repart dans la nuit, la femme menaçant de plus belle.

— Fuck, fuck… sale enfoiré de Frenchy tu vas le payer très cher, tu peux compter sur nous ! Tu peux déjà réserver ton billet de retour, dans une boite, dans la calle bien au frais. À ton arrivée dans ton putain de pays de Frenchy tu seras déjà pourri.

Dire que ces Irlandais n’apprécient pas particulièrement la France et les Français peut apparaître comme un doux euphémisme. Une chose positive dans tout ça, je sais que la guerre est déclarée. Il ne me reste plus maintenant qu’à remettre de l’ordre dans mon bureau.