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Michel ZORDAN présente des extraits de ses romans. Il se laisse également aller à quelques réflexions sur l’actualité.

07 Mar

Un exil plus loin

Publié par Michel Zordan  - Catégories :  #Un auteur du Sud Ouest

un exil plus loinExtrait :Deux peuples dont l’un accepte d’accueillir, et l’autre de ne pas tout prendre...

Tenu par Claudio Alfiero, un Italien, le restaurant « Le Petit Naples », est une sorte d’auberge espagnole où chacun peut à sa guise, soit commander sur place, soit apporter sa nourriture. L’établissement est composé d’un grand patio au milieu duquel trône un superbe barbecue. Il ne pas le plein ce soir. Les quelques touristes et les employés du Park peuvent prendre leurs aises. Il fait frais, presque froid et Angelika nous installe près du feu.

Brad Duncan, le patron des rangers s’invite à notre table.

 

— Alors messieurs-dames, cette journée, comment s’est-elle déroulée ?

 

— Daymir est un très bon guide, et votre région est fantastique, alors tout ne peut que bien se passer.

 

Nous discutons d’un peu tout, de ce qui nous a poussés à venir ici.

Vers 10 heures du soir, arrive un Dodge similaire au nôtre, avec cinq policiers à bord. Brad Duncan se lève va aussitôt et part à leur rencontre. Moins de trois minutes plus tard, il revient vers nous.

 

— Une bande de nomades rebelles ont attaqué un camion de marchandise près d’Erldunda. Ils se sont enfuis avec en direction du Park. C’est un GMC 6x6, avec cet engin ils peuvent aller n’importe où, ils sont armés et dangereux. Le problème est qu’il s’agissait d’une cargaison d’explosifs et d’alcool qui partait sur Alice Springs.

 

— Vous pensez qu’ils peuvent nous attaquer ici ?

 

— Ils ont tué un chauffeur et gravement blessé l’autre. En plus, dès qu’ils ont bu, les velléités contre les blancs s’amplifient, ils se sentent forts et ils sont prêts à tout. Les cinq policiers sont ici pour nous protéger, nous sommes trois rangers, ça devrait aller.

 

— Monsieur Duncan, j’étais capitaine pendant la guerre, en France, puis en Allemagne, j’ai fait mes classes en Angleterre. Si besoin était, je peux vous prêter main forte

 

— Merci capitaine, mais nous devrions pouvoir rester maîtres de la situation. Et puis, rien ne prouve qu’ils viennent vers le Park. Les cases sont disséminées sur une grande surface, il n’y a pas trop d’éclairage, par mesure de précaution, pour cette nuit nous allons regrouper tout le monde ici. Je vous suggère d’aller récupérer vos affaires, ce sera mieux pour vous. Si vous apercevez des touristes encore dans leur chambre, avertissez-les !

 

Angelika semble inquiète.

 

— Sylvio, tu crois qu’il y a du danger ?

 

— Non je ne crois pas, mais monsieur Duncan est obligé de prendre des précautions. Reste ici, je serai de retour rapidement.

 

Après avoir récupéré nos effets, je passe chez les voisins, des Hollandais.

 

— Bonjour, monsieur Duncan souhaiterait que tout le monde se réunisse au restaurant.

 

— Non, non, nous ne voulons pas dîner au restaurant, nous souhaitons rester ici.

 

— Il ne s’agit pas de manger, des rebelles arrivent vers Ayers Rocks, ils sont armés, et dangereux. Monsieur Duncan demande que tout le monde se réunisse au restaurant « Le Petit Naples ».

 

— Non, non, nous ne venons pas de Naples, nous arrivons d’Amsterdam…

 

Apparemment ils ne comprennent rien à mon anglais. Lorsque j’aperçois la femme, visage hébété, pointer du doigt la porte ouverte derrière moi, je plonge par réflexe sur le côté. La lance se plante contre le mur d’en face. Je me rétablis dans l’instant, pour apercevoir face à moi un aborigène vêtu de haillons. Il fonce pour récupérer son arme, mais je parviens à pousser une chaise pour lui bloquer le passage. Le guerrier trébuche, et tombe… j’ai juste assez de temps pour empoigner l’autre chaise et la lui fracasser sur la tête. Prise de terreur, la Hollandaise commença à crier, son mari est tétanisé. Je le secoue et m’approche de la femme en lui balançant une bonne baffe. Surprise elle reprend ses esprits…

 

— Désolé, mais nous ne devons pas perdre de temps. Cet homme, c’était juste un amuse-gueule, le plat de résistance n’est sans doute pas très loin, suivez-moi !

 

Je récupère la lance.

 

— Mais nos affaires !

 

— Trop tard, pour vos affaires, prenez mes valises, je dois garder les coudées franches.

 

Moins de cinq minutes plus tard, nous atteignons « Le Petit Naples ». Je tends la lance au ranger.

 

— Tenez monsieur Duncan, c’était peut-être l’avant-garde ?

 

Je lui explique l’incident, il ne peut que prendre l’agression du guerrier très au sérieux. Mais pourquoi, un homme seul ? Peut-être n’a-t-il rien à voir avec les rebelles et l’attaque du camion ? Rapidement deux militaires partent vers la case des Hollandais. Moins de dix minutes plus tard ils de retour, le guerrier en haillons a disparu. Regroupés dans « Le Petit Naples », les touristes et le personnel semblent soucieux, tout comme Claudio Alfiero, le patron. La raison en est quand même différente. Les policiers et les rangers ont pris position aux portes et aux fenêtres. S’il doit y avoir bagarre, son établissement sera aux premières loges, peut-être même sera-t-il complètement détruit ?

 

— Monsieur Duncan, ces hors-la-loi, ils sont nombreux ? Il serait sans doute plus judicieux de les affronter dehors, de leur tendre une embuscade, à l’entrée du village. Ici, il y a du monde, si l’une d’elles est blessée ça pourrait être mauvais pour le tourisme.

 

Le ranger le fixe bizarrement.

 

— Si je comprends bien Claudio Alfiero, tu préfèrerais que nous nous fassions descendre très loin de ton restaurant. C’est vrai, tu viens de le faire repeindre ! Ne t’inquiète pas, si tout brûle, l’état te dédommagera, enfin dans quelques semaines, ou quelques mois, enfin un jour… En attendant va te planquer derrière ton comptoir et laisse-nous faire notre job.

 

Je reste pensif, très inquiet même, voilà qu’après Amandine, j’entraine Angelika dans de graves problèmes.

 

— Tu penses à quoi Sylvio ?

 

— Tu vois Angelika, où que j’aille, quoi que je fasse je suis un aimant à problèmes. Je ne supporterai pas qu’il t’arrive malheur.

 

La jeune fille se serre plus fort contre moi.

Vers 2 heures du matin toujours pas de rebelles, l’intrusion de l’homme à la lance n’était sans doute qu’une anicroche n’ayant rien à voir avec les nomades insurgés responsable de l’attaque du GMC. Les policiers et les rangers resteront en vigilance jusqu’au petit matin. Les touristes installés à même le sol essayent de se reposer un peu…

Je crois avoir été le seul à trouver le sommeil, j’avais pris cette habitude dans la Résistance : dormir pour effacer un peu l’angoisse ambiante.

 

Lorsque je me réveille le lendemain, il est presque 10 heures, j’ai dormi plus de six heures. Wou est là, assis à une table en compagnie d’Angelika. Je m’avance vers eux, il se lève et contre toute attente me salue.

 

— Bonjour Sylvio, Angelika m’a raconté ce qu’il s’était passé sur la route d’Erldunda et cette nuit dans le Park. Je dois te dire que je ne cautionne pas l’attitude de ces nomades. Nous pouvons imposer le respect sans pratiquer la guerre.

 

— Bonjour Wou, pour une fois je suis d’accord avec toi. Ici nous avons rencontré Daymirringu, il faudrait que votre peuple s’inspire de sa méthode et de celle de sa tribu pour convaincre les blancs de prendre en compte votre culture.

 

Dehors les renforts sont arrivés, la police et même l’armée ont investi les lieux. À peine suis-je sorti qu’un colonel de l’armée s’avance vers moi, main tendue.

 

— Bonjour, Colonel Brian Harrisson. Nous sommes ici pour mater cette insurrection, vous n’avez rien à craindre. Nous sommes persuadés que ces rebelles se cachent dans la contrée, nous allons les retrouver.

 

À part Wou, aucun autre aborigène n’est présent sur les lieux. Daymir ne réapparait que dans l’après-midi, il ne parle pas des évènements de la veille. Il nous précise seulement qu’il n’y a rien de changé, que demain matin il est prêt à nous accompagner à Kata Tjuta, dans la Vallée des Vents. Il ne veut pas le montrer, mais je le sens très affecté.

Durant toute la journée et le lendemain les policiers et les militaires traquent les rebelles, sans se soucier le moins du monde des lieux sacrés réservés aux aborigènes.

 

Dans la soirée alors que nous dinons au « Petit Naples », le son du didgeridoo résonne dans le lointain. Toutes les personnes présentes s’immobilisent, certaines sont même prises de frissons. Angelika me serre fort la main, j’ai l’impression de vivre une scène de western. Une caravane de pionniers, la nuit autour d’un feu de camp, quelque part dans le vaste Ouest américain, et au loin dans les montagnes environnantes, le tamtam accompagnant les chants de guerre des Navajos ou des Cheyennes, ou peut-être même des Sioux… Pour la nuit encore, tout le monde dort dans l’enceinte du restaurant. Claudio Alfiero a fait provision de bois, le barbecue restera allumé jusqu’au petit matin.

 

Le lendemain matin, Daymir est au rendez-vous, Wou décide de nous accompagner. Notre guide nous fait découvrir la Vallée des Vents. Il nous explique que la plus grande partie de cette formation géologique comportant trent-six dômes et couvrant presque vingt-deux kilomètres carrés du parc national ne peut pas être foulée par des blancs, ni même par les femmes de la tribu. Je ne fais aucun commentaire, me contentant de poser de banales questions. Alors que de l’autre côté de la vallée, en pleine zone interdite, des bruits de moteur se font entendre, sûrement une patrouille militaire à la recherche de rebelles.

 

Comme la veille, dans la soirée tout le monde est regroupé au Petit Naples ». Une fois de plus le son du didgeridoo résonne, mais beaucoup plus près. Tous les soldats et les rangers sont en alerte, mais compte tenu de l’armement dont ils disposent, il est peu probable que les rebelles tentent quoi que ce soit. Peut-être des actions individuelles comme celle du guerrier en haillons…

Durant notre séjour, Daymir ne nous propose pas de contact direct avec d’autres membres de la tribu des Anangu. Pas même avec les autres guides de son peuple.

 

Le 15 août, tôt le matin, nous quittons Ayers Rock pour Watarrka National Park. Invité dans la tribu des Anangu, Wou décide de rester quelques jours de plus à Uluru. Le colonel Brian Harrisson est formel, nous ne pouvons pas quitter le National Park sans escorte. De plus cette affaire doit rester secrète, pas besoin de donner aux aborigènes, rebelles ou non, des motifs pour enflammer la région… La balade dans Kings Canyon est de toute beauté, mais le plaisir n’est pas total, j’ai toujours en tête les évènements qui viennent de se produire. Durant les trois jours passés à visiter la contrée nous faisons le plein d’images. Mais contrairement à Ayers Rocks, notre guide est australien et deux militaires nous accompagnent en permanence. Tout cela me rappelle une autre époque et une autre affaire tragique, c’était en 32, autant dire dans une autre vie… Nous avons d’abord dans l’idée de pousser plus loin, vers Alice Springs, mais nous y renonçons.

Le 19, dans la matinée, cap sur Adélaïde et Stockwell. Les deux militaires de notre escorte nous précèdent dans une jeep Willys. Le trajet et la nuit à Erldunda se passent sans problème.

Le matin sans trop en connaître les raisons, les deux soldats de notre escorte nous demandent de retarder le départ. Vers 10 heures tout semble de nouveau ok. Mais l’un de nos deux anges gardiens me remet quand même un fusil Lee Enfield N4. Angelika s’étonne.

 

— Tu crois qu’il y a du danger ?

 

— Non, mais les militaires ne veulent surtout prendre de risques ! Tu crois que tu vas pouvoir conduire ?

 

— Oui bien sûr, mais si tu me demandes de conduire c’est que tu penses qu’il va y avoir du danger !

 

— Non, mais sait-on jamais !

 

Nous prenons place dans le Dodge, Angelika au volant, direction Lambina. La ville des chercheurs d’or se situe presque trois cent quatre-vingts kilomètres plus au Sud et pas une seule ville entre. La route fait rapidement place à la piste et, poussière oblige, je conseille à Angelika de laisser la jeep des deux militaires qui nous précèdent prendre un peu d’avance. Après deux heures de route, j’aperçois sur ma droite à trois ou quatre cent mètres un autre nuage de poussière qui file rapidement vers nous, légèrement en diagonale. Je reconnais un GMC.

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