Un exil plus loin
Extrait : C’était très soudain, mais ma sœur ne tenta pas de me dissuader. Vers la fin de la guerre, alors que je servais dans l’ORA, un général américain m’avait offert une jeep Willys. Je l’avais ramené à la maison. Chaque fois que je retournais à L’Arcange je l’utilisais pour mes déplacements. Elle consommait un peu, mais la piloter par tout terrain était un régal. Tout le temps que dura le trajet jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port, je me repassai au ralenti les images décrites par Mariéta. Je repensai aussi à notre existence dans la résistance, à ces mois passés dans la détermination, mais aussi dans la peur et l’angoisse. Ma réaction d’aujourd’hui me rappelait celle de papa, il y avait bien longtemps. C’était en 36, lorsque un petit matin il était partit vers Perpignan sur une simple intuition au secours d’une femme qu’il croyait en danger. Cette histoire ne s’était pas terminée comme il l’aurait souhaité. Mais Sonia n’était pas Dolorès. J’arrivai dans la petite ville Basque vers quatre heures de l’après midi. Je me renseignai dans les quelques commerces restés ouverts, mais personne ne semblait pouvoir ou ne voulait m’informer. Dans un restaurant tout au bord de la Nive, le son de cloches fut enfin différent.
– Excusez-moi madame, je recherche une jeune femme qui s’appelle Sonia Etchebéry. Je sais qu’elle s’était réfugiée par ici après les bombardements de Guernica. Elle avait été recueillie par un grand oncle qui possédait une petite bergerie. Elle y est sans doute revenue lorsqu’elle a été obligée de quitter la résistance.
Suspicieuse, la patronne du restaurant me regardait fixement.
– Vous l’auriez connu comment cette Sonia Etchebéry ?
– Elle faisait parti de mon réseau de résistance au début de la guerre, ensuite nos chemins se sont séparés.
– Et c’est seulement maintenant que vous vous inquiétez d’elle ?
– Vous savez, je n’ai quitté l’armée qu’en 45, ensuite je suis reparti vers mes études. Ce sont mes premières vraies vacances depuis cette date. Vous la connaissez ?
– Peut-être bien, peut-être bien. Vous vous appelez comment ?
– Mon nom est Sylvio, Sylvio Montazini, mais dans la résistance mon nom était Le Gascon. Elle me connaît très bien, elle est même venue chez moi en 43, mais j’étais en Angleterre.
– C’est toujours la même chose avec les hommes, ils ne sont jamais là lorsqu’on a besoin d’eux.
– Sonia aurait-elle eu besoin de moi ?
– Ecoutez jeune homme, je connais bien une Sonia Etchebéry mais, des Etchebéry il y en a beaucoup ici. Rien ne prouve que cette personne soit celle que vous recherchez. Alors, vous allez retourner dans votre Gascogne et je lui parlerai de vous. Sylvio Montazini, c’est bien ça. Si elle a toujours besoin de vous, elle vous fera signe.
– Ecoutez chère madame, je sais que vous connaissez Sonia Etchebéry, alors dites-moi simplement ou elle habite. Je ne lui veux aucun mal, bien au contraire.
– Jeune homme vous vous réveillez bien tard, qui vous dit que Sonia ait encore envie de vous voir. Mais pour quelle raison arrivez- vous ici aujourd’hui, après cinq années ?
Il était difficile de dire à cette femme que la Demoiselle Blanche de Mariéta y était pour quelque chose.
– Je vous remercie madame, je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Si elle est ici quelque part, il y a bien un autre commerçant ou un paysan qui me donnera son adresse sans me poser mille questions.
– Attendez jeune homme, je sais ou habite votre Sonia Etchebéry, mais je ne peux pas vous donnez son adresse comme cela. Je dois d’abord lui parler de vous, ensuite c’est elle qui décidera. Vous pourriez réserver une chambre à l’Hôtel de la Citadelle, visiter les remparts et demain matin je vous donnerai sa réponse.
J’aurais pu tenter de quémander des informations ailleurs, mais à quoi bon. Avertir Sonia de mon arrivée n’était sans doute pas une mauvaise solution. Elle était peut-être mariée, c’était à elle que revenait la décision de me rencontrer, où pas. Je suivi les conseils de la restauratrice et entrepris de visiter les remparts. Mais après seulement quelques minutes, je retournai vers la jeep et partis au hasard sur les petites routes alentours. Je me rappelai que Sonia avait parlé d’une petite montagne, au bas de laquelle se trouvait la bergerie de son grand-oncle. Mais rien ne prouvait que Sonia soit toujours dans cette bergerie. Pourtant le rêve de Mariéta était clair, une montagne et Sonia qui marchait vers une petite maison aux volets verts. Il y avait aussi un chien. Si ces révélations s’avéraient exactes, elle vivait toujours dans la bergerie. Je me rappelais maintenant du nom de la montagne, c’était l’Arradoy, oui c’était bien ça, la montagne Arradoy.
L’Arradoy faisait face à la citadelle de Vauban et dominait la ville de Saint-Jean-Pied-de-Port. Ses abords n’étaient accessibles que par quelques rares petites routes empierrées et des chemins de terre. Heureusement, j’avais ma jeep. En ce début de juillet le temps était au beau fixe et je pus commencer mon exploration. Je me rendis dans plusieurs fermes, sans pouvoir obtenir de renseignements. Chaque fois que j’entendais la clochette très caractéristique des béliers, j’arrêtais la jeep et m’avançais sans bruit. Mais aucune des silhouettes aperçues jusqu’à maintenant ne ressemblait à celle de Sonia.
La nuit commençait à tomber et je songeai à rentrer à mon hôtel. J’irais souper dans le restaurant de la Nive et la patronne qui m’avait reçu tout à l’heure pourrait peut-être m’en dire plus. Puis au loin sur le versant Est, j’entendis un autre troupeau de brebis. J’arrêtai mon véhicule en bordure d’une petite vigne et m’approchai. À une cinquantaine de mètres de la haie, derrière laquelle je me trouvais, une petite maison aux volets verts. Sur la droite un troupeau de brebis rassemblé dans un parc devant la bergerie pour la nuit. Sur la gauche un petit garçon précédé de son chien repartaient vers la maison. Le chien s’arrêta un court instant, tourna la tête dans ma direction, attendit le jeune garçon et l’accompagna dans la maison. Ensuite le chien ressorti et regagna son troupeau. Je patientai encore quelques minutes, mais personne d’autre ne se manifesta. Je rentrai à l’hôtel de la Citadelle, dans la rue du même nom, puis me dirigeai vers le restaurant de la Nive, situé rue du Trinquet. Une serveuse m’installa sur la petite terrasse dominant la rivière. Après cinq à six minutes, la patronne, Terese Anamari me présenta le menu.