Un exil plus loin
Le procès des deux italiens devait commencer le 18 novembre. Le cinq je pris l’avion à Adélaïde direction Darwin. Puis un Constellation me déposa à Singapour… Enfin le onze, mes pieds foulaient à nouveau le sol de France. Au Bourget, mon amie Séverine Jacquard m’attendait, elle tenait à m’accompagner jusqu’à L’Arcange. Après le drame Séverine avait changé de marque de voiture. Elle, une fidèle de Bugatti, pilotait une Alpha Roméo.
Plus nous approchions de la Gascogne et plus je me sentais tendu. Lorsque Séverine stoppa l’automobile devant la maison, je ne descendis pas immédiatement. Alignés devant L’Arcange, toute la famille et tous nos amis m’attendaient. Puis Baptiste s’approcha suivi d’un chiot de quelques semaines. Mon fils ouvrit lui-même la portière.
– Alors tu ne veux pas descendre ? Tu nous reconnais au moins, tu sais, je suis là depuis hier. Maman n’a pas pu venir, c’est pépé Emilio qui est venu me chercher à la ferme Etchebéry, avec la Traction du général. Je vais te présenter à Tarzan, c’est le nouveau chien des Montazini. Comme maintenant je m’appelle Montazini, il est aussi un peu à moi. Tu sais, Tarzan il est pas comme Réglisse, il n’obéit pas, il fait jamais ce qu’on lui demande.
Mon bonhomme avait bien grandi, je le pris à bout de bras et le fixait intensément. Sa ressemblance avec Sonia était de plus en plus frappante. Pendant ce temps Tarzan s’attaquait à l’une de mes jambes de pantalon.
– Mon petit Basque, tu sais que tu m’as beaucoup manqué! Je t’ai apporté un cadeau, il y a les mêmes en Australie, mais en plus grand. Essayes de deviner !
Du bout de ses cinq ans, la petite Edmonde attrapa Tarzan, le chassant dans sa niche. Puis elle revint vers moi me tirant sur le bras, ne perdant pas une seconde pour me harceler de questions.
– Eh tonton Sylvio, moi aussi je suis là ! Dis-moi, c’est vrai qu’en Australie les kangourous se battent comme des boxeurs ? C’est vrai que là-bas il n’y a pas de route, que des chemins ? C’est vrai que là-bas il fait jamais froid ? A moi aussi tu m’as apporté un cadeau ? Baptiste c’est ton fils, mais moi je suis quand même ta seule nièce, ça compte ça !
Pour la faire taire je ne trouvai qu’une solution, la prendre dans les bras.
– Oui, à toi aussi j’ai apporté un cadeau.
Les jumeaux, Fabien et François étaient presque des adolescents. Et Martial, le fils des Clément Autun, un vrai jeune homme. Je trouvais papa fatigué, les traits tirés, s’appuyant sur une canne, il s’avança vers moi. L’émotion se lisait dans ses yeux.
– Bonjour petit, ça fait plaisir ! La canne c’est rien, juste un fût qui a roulé un peu trop loin, dans quelques semaines il n’y paraitra plus.
Notre accolade dura un temps de plus, comme si mon père avait voulu me transmettre un message, que je ne pus sur l’instant déchiffrer. Dans la soirée, dans l’intimité de L’Arcange, entouré de la famille et de quelques amis, je fis la distribution des cadeaux. Lorsque j’offrais à Baptiste un Road Trains miniature, avec deux remorques, ces yeux brillaient de mille feux. Quand je remis à la petite Edmonde son Kangourou en peluche, Tarzan y sauta dessus et partit avec. Le lendemain matin, papa partit à son travail, au château Tourne Pique. J’en profitais pour discuter avec ma sœur Mariéta.
– Comment l’accident est-il arrivé ?
– Ça c’est passé vers la mi-octobre. Papa a parlé de fûts mal callés. L’un deux s’est arrêté contre sa cheville. Elle semblait fouler, tu connais ton père, il n’a même pas voulu aller chez le médecin.
La canne, magnifique, avec poignée de métal sculptée et bâton en acajou lui avait été prêtée par le général Aristide Clément Autun. Il la tenait de son père.
– Et le petite Edmonde, toujours ses rêves, ou ses cauchemards avec la Demoiselle Blanche ?
– Oui, de temps en temps, mais apparemment le jour ou papa a eu son accident, elle ne l’a pas vu.