Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Michel ZORDAN présente des extraits de ses romans. Il se laisse également aller à quelques réflexions sur l’actualité.

04 Nov

Turbulences champêtres

Publié par Michel Zordan  - Catégories :  #Un auteur du Sud Ouest

turbulences-champetres-copie-2.jpgAuteur Michel Zordan - Extrait : Le Sud-Ouest est l’une des régions de France les plus prisées par les Anglais, ils s’y installent et cultivent la nostalgie des vieilles pierres et celle d’une très lointaine époque. Cette situation n’est guère du goût de tous les indigènes (ou autochtones, ou natifs, c’est la même chose, mais en moins bizarre). Certains considèrent en effet que ces populations ne font que reconquérir, par l’argent, les territoires dont ils avaient été chassés par notre Jeanne d’Arc emblématique. Ils les accusent de tous les maux, mais surtout de faire indûment grimper les prix des biens qu’ils convoitent. Toutefois, il est très rare que l’un de ces natifs (indigènes, ou encore autochtones) lorsqu’il a lui-même une maison à vendre, refuse la proposition d’un « envahisseur », qui, la plupart du temps, est bien supérieure à celle des locaux. Mais il faut bien le reconnaître, il y a aussi les purs et durs, qui ne sont pas disposés à céder le moindre pouce de terrain, surtout s’ils n’ont rien à vendre. Pour les plus combatifs, il était même grand temps de se mobiliser, afin de récupérer l’espace perdu.

 

Dans la petite commune de Saint-Jean sur Automne, la situation était encore plus alambiquée. En quelques mois, le bourg avait acquis une notoriété certaine, et même, durant l’hiver, de nombreux touristes faisaient le détour. Cette célébrité soudaine avait pour effet de faire gonfler le nombre des personnes voulant y résider surtout l’Anglais, toujours et encore lui, considérés par certains indigènes et même par d’autres (oui, oui) comme l’ennemi héréditaire.

 

Pour les habitants c’était selon. Pour ceux qui pensaient n’avoir rien à gagner (sinon des em…), une grande part de responsabilités incombait au père Deslandes et à son épicerie.

 

Un curé, c’est fait pour dire la messe, célébrer les mariages, les baptêmes et enterrer les morts, pas pour faire du commerce à l’ancienne.

 

Pour d’autres, les plus éclairés (enfin tout dépend du camp dans lequel on se place) ceux qui avaient un peu ou beaucoup à gagner, le curé était le sauveur. C’était le précurseur, celui qui avait montré la voie. Une lumière, peut-être divine, était apparue dans le ciel de notre magnifique Sud-Ouest et notre curé avait su le premier trouver « l’interrupteur ». Eh oui, notre curé avait comme tant d’autres de ses confrères bien du mal à joindre les deux bouts avec seulement la quête et le denier du culte. Alors, lorsque la mère Tancogne avait arrêté, à près de 85 ans, son activité d’épicière-mercière-débitante de tabac, il lui avait proposé de la reprendre. Tout le monde l’avait pris pour un fou, certains affirmaient même que la soutane lui était montée à la tête (on aura compris ce que certains voulaient dire par là). La vieille dame ne voyait guère plus de deux clients par jour, et encore parce qu’elle leur faisait crédit. C’est vrai que, par temps de neige, ils se faisaient beaucoup plus nombreux. Malheureusement ou heureusement (encore une fois tout dépend du côté où l’on se place) la neige n’apparaissait à Saint-Jean qu’une à deux fois l’an et pour quelques heures seulement. Et c’est là que notre curé, sûrement très bien inspiré par le regard de notre Seigneur, avait eu une idée de génie. Celle de transformer l’établissement « genre supérette poussiéreuse, la plupart du temps dégarnie », en « véritable épicerie des années trente, où l’on trouve de tout ». À l’image du general store de l’ouest américain, la boutique, baptisée « Le Presbytère » proposait une gamme très large de produits allant du savon, aux sabots, en passant par le beurre, le fromage ou les petits pois, sans oublier le cirage et même les cartouches en périodes de chasse. Une véritable caverne d’Ali Baba. Le bouche à oreille (buzz) fonctionnait bien et on venait maintenant d’assez loin pour admirer le magasin qui tenait d’ailleurs plus du musée que de l’épicerie. Personne ne savait trop où il se fournissait certains de ses produits dont les marques très anciennes avaient disparu depuis longtemps : chicorée Arlatte, pâtes alimentaires Brusson Jeune, biscuits Gazon ou encore le chocolat Lombard. Ni d’où venait d’ailleurs la jolie vendeuse toujours très souriante, habillée d’époque, qui l’épaulait dans sa tâche.

 

Quelques semaines plus tard, profitant de l’aubaine, Olivier Aignard, notre colosse, ancien pilier et figure emblématique de Saint-Jean, transforma également sa boulangerie, en adoptant le style de l’épicerie. Il remplaça son enseigne clignotante par une simple plaque émaillée, son four électrique par un four à bois, et acheta quelques vieilles étagères et vieux meubles dans un bric-à-brac. Il sut également convaincre (c’était pas gagné d’avance) sa femme Odette et sa vendeuse Patricia de porter le costume d’époque. Comme il ne savait pas trop de quelle époque il s’agissait, sa femme opta pour le début du XXe et la vendeuse pour la fin du XIXe. Du mardi, au dimanche midi, sa boutique ne désemplissait plus, et rapidement il fut obligé d’engager un compagnon.

 

Dans la foulée, Virgile Grangveneur le chef d’un très prestigieux restaurant parisien, licencié de son trois-étoiles, reprit par un Américain adepte de la new cuisine, quitta la capitale pour installer un café-auberge également à l’ancienne qu’il nomma… « Chez Virgile ». Là encore on pouvait découvrir des boissons d’un autre siècle : liqueurs Hanappier, apéritif Kina Lillet. Il avait même réussi à retrouver un spiritueux légendaire à base d’absinthe qui faisait fureur.

 

Puis un maréchal-ferrant-bourrelier, un brocanteur-antiquaire, un fabricant de bougies… et… bref en quelques mois, Saint-Jean montait de grade (ce n’était plus un village, mais un bourg) et devenait incontournable…

 

Rapidement la population passa de 250 à 400 habitants, le centre du village se « ranima ». Certains conseillers municipaux soulevèrent l’idée de redonner un ton médiéval au bourg en repavant les rues (enfin la rue) et en sollicitant les habitants afin qu’ils donnassent à leur façade une allure moyenâgeuse. D’autres et pourquoi pas les mêmes, parlèrent de rouvrir l’école et de créer un « musée des temps anciens » sur les vestiges qui subsistaient à la sortie du village. On ne savait pas trop s’il s’agissait de ceux d’un château ou d’un lavoir, mais qu’importe… la région, le département, peut-être même l’État allaient aider, alors pas de problème… (je ne sais pas vous, mais moi en parlant de l’aide de la région, du département, ou de l’État, j’ai l’impression de parler de l’argent des autres… ça fait moins mal).

 

Cette soudaine lumière sûrement céleste avait eu un autre effet. Celui de déplacer comme par miracle la future ligne « LGV » et celle à très haute tension qui devaient passer à une centaine de mètres de notre clocher. À quelques kilomètres de chez nous, un autre clocher, resté lui dans l’anonymat, profiterait de ce modernisme (et de ce qui va avec).

 

Bref, notre bourg se voyait maintenant jusqu’à Londres et même bien au-delà et les conséquences n’allaient pas tarder à se faire ressentir. Petite compensation, les râleurs de tous poils avaient de quoi occuper leur passion.

 

C’est dans cette campagne qu’Ashley et Daryl Maxwell, des Anglais de Londres, jetèrent leur dévolu sur le Moulin de Saint-Jean. À part son côté dominant, sa surface imposante, et ses murs de pierre, la bâtisse complètement en ruine et envahie par les ronces n’avait rien d’exceptionnel. Il devait y avoir eu, à cet emplacement, il y a très longtemps, un Moulin à vent, mais toutes traces avaient maintenant disparu. Après d’importants travaux qui lui redonnèrent éclat, prestance et dignité, Ashley et Daryl prirent possession des lieux au début du mois de mars. Avec la maison, les Maxwell avaient également acheté quelques parcelles de bois et des friches. Certaines attenantes à la maison, d’autres disséminées et enclavées parmi les terres agricoles. Le tout dépassait les 30 à 40 hectares. Certains agriculteurs avaient, un peu tard il est vrai, proposé de racheter quelques parcelles qui jouxtaient leurs terres. Mais les Maxwell avaient toujours refusé.

 

Daryl, âgé de 53 ans, et Ashley de 38, travaillaient tous deux dans la communication. Ils œuvraient grâce à Internet et l’ADSL qui couvrait depuis peu Saint-Jean-Automne. Le couple avait adopté deux chevaux et il n’était pas rare de rencontrer la dame, montant l’un d’eux, un hongre pommelé, le long des routes et des chemins.

 

 

Quelques mauvaises langues avaient laissé entendre que les Maxwell n’avaient pas quitté Londres seulement par amour des vieilles pierres, de la campagne et du Sud-Ouest. On avait appris on ne sait trop comment, et on ne sait trop par qui, que dame Ashley avait des passions cachées. Daryl son époux l’aurait, pour la protéger des démons de la jeune chair, convaincu de venir s’installer avec lui en France. Certains s’étaient même avancés jusqu’à dire qu’elle pouvait s’accommoder aussi bien de chair mâle que femelle, pourvu qu’elle soit tendre.

Commenter cet article

Archives

À propos

Michel ZORDAN présente des extraits de ses romans. Il se laisse également aller à quelques réflexions sur l’actualité.