rentrée littéraire 2013 - La princesse de bronze
La princesse de bronze Auteur Michel Zordan ISBN 978-2-9532863-7 disponible en librairie
Extrait : À peine arrivé au 4, allée Adrienne Lecouvreur, l’adjudant-chef Berthier nous donna immédiatement l’ordre d’investir les étages et de faire évacuer l’immeuble. Lorsque j’arrivai devant le 412, je dus utiliser ma hache pour forcer la porte. À travers le nuage de fumée j’aperçus une silhouette, et me précipitai à l’intérieur. La hache m’en tomba des mains ; devant moi se tenait une superbe créature en tenue d’Ève. Ses longs cheveux d’un noir profond encadraient un visage d’un rare éclat. Les flammes de l’incendie se reflétaient par petits bonds sur sa peau cuivrée. Durant plusieurs secondes je restai sans réaction. La jeune fille me souriait sans esquisser le moindre geste, le moindre cri. Le feu était partout, mais elle ne semblait pas avoir peur. Lorsque j’entendis mes collègues qui montaient l’escalier, je sortis enfin de ma torpeur. Je me précipitai vers elle, retirai ma veste et la recouvris d’un geste.
– Mademoiselle, êtes-vous seule dans l’appartement ?
– Non, non, il y avait un homme et une femme sur le tapis, mais je ne sais plus où ils sont !
Sa voix ajouta encore à ma surprise. Douce, harmonieuse, chaude. Style bonbon au miel, parfumé à la fleur de sel de Guérande. Un vrai délice, une véritable mélodie.
– Venez vite avec moi, je vais
Sur un ton de voix toujours égal, la belle me répondit :
– Non, mais c’est elle qui m’a achetée, lui je le vois tous les jours, mais je ne connais pas leurs noms.
Je ne comprenais rien aux propos de la jeune fille. Elle devait sûrement délirer, il était grand temps de la sortir de là. Après avoir averti un collègue qui arrivait sur le palier, je la pris dans mes bras et repartis dans les escaliers. Son corps était souple comme la soie et aussi léger qu’une plume, son parfum enivrant semblait venir d’un autre monde. Jamais je n’avais transporté une victime avec autant d’aisance. Je la serrais très fort et la jeune fille ne pouvait douter plus longtemps de l’intérêt que je lui portais.
– Je dois vous avertir que je suis la Princesse de Bronze, la fille du roi Huitzilihuitl. Si vous voulez m’aimer je ne pourrai pas me refuser à vous, mais je devrai vous jeter un maléfice.
– Pardon, excusez-moi, je n’ai pas très bien compris, c’est quoi cette histoire de fille de roi et de Princesse de Bronze ?
Sans même hausser le ton, sans la moindre parcelle de d’agacement, d’impatience, ou même d’émotion, la belle reprit son explication. Dans cette voix, il y avait bien un soupçon de fleur de sel de Guérande qui rehaussait avec bonheur le goût de miel. Digne d’un chef étoilé.
– C’est très simple, je vais vous expliquer. Avant que vous ne me trouviez, je n’étais qu’une poignée de cendre cristallisée dans une statuette de bronze. Comme je ne pouvais plus supporter de voir défiler la vie des autres sans pouvoir vivre la mienne, j’ai imploré Huitzilopochtli le dieu des Aztèques. Mais c’est sa sœur Coyolxauqui, la déesse de la Lune et des ténèbres qui m’est apparue. Elle m’a fait une proposition, celle de me faire renaitre de mes cendres. C’est une des ses connaissances le Phénix qui lui avait donné le secret. Mais elle m’a dans le même temps jeté une malédiction. Sûrement pour s’amuser de moi et se venger des hommes qui l’avaient jadis sacrifiée. Je n’ai pas vraiment eu le choix, c’était ça ou alors je devais rester sur ma cheminée à regarder les deux autres s’aimer. Lorsque la femme qui m’avait achetée lui a parlé de moi, j’ai craqué. Vous en auriez sûrement fait autant à ma place.