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Michel ZORDAN présente des extraits de ses romans. Il se laisse également aller à quelques réflexions sur l’actualité.

21 Sep

Rentrée littéraire 2012 : la louve de Vianne 7

Publié par Michel Zordan  - Catégories :  #la louve de Vianne

la louve de Vianne-3La traque silencieuse repris. À peine avions-nous abordé le bosquet que Vaillance stoppa et tourna la tête vers moi, semblant me dire : – Voila, nous y sommes. Au travers des arbres sans feuilles, la lune blafarde éclairait la nuit, mais toujours pas de louve. Vaillance avança encore, puis Diable passa devant, prêt à en découdre.

– Tout doux mon chien, tout doux.

Contes et légendes ? Dans ce récit fiction et histoire se mêlent et s’entremêle…

Je l’aperçu enfin, couché dans les fougères desséchées. Aucune agressivité, elle semblait nous attendre. Je m’approchais quand même prudemment, lorsque je l’entendis gémir. J’étais étonné par la réaction des chiens. Ni l’un ni l’autre n’étaient créancés sur la bête noire, mais tous deux descendaient d’une grande lignée, les gènes y étaient inscrits depuis des générations. En temps normal ils auraient dû charger l’animal, tout au moins montrer quelques animosités. Rien de tout ça. Mon attitude non plus n’était pas normale, j’aurai dû occire la bête sans plus de considération. Et pourtant…

– Ne t’inquiète pas ma belle, on va te sortir de là.

Sans même réfléchir je la pris à plein bras et la soulevais. Elle pesait son poids, impossible de la transporter seul jusque chez Manguia. Pour moi c’était évidant, je devais amener la louve chez la guérisseuse. Arrivé à l’orée du bosquet, je sifflai Gascogne, installai l’animal blessé en travers de la selle et fonçai à bride abattue vers l’antre de Manguia.

– Gauthier, dieu soit loué. J’étais à peu près certaine que tu viendrais cette nuit. J’ai appris que l’autre idiot d’Hermance avait blessé la louve, mais qu’heureusement il n’avait pu l’occire. J’ai aussi appris qu’il était parti au château chercher ton aide. Dépose la louve sur la table je vais voir ce qu’il en est. Voyons un peu ça…Le cordage lui a râpé un peu le cou, mais ce n’est rien. La flèche du bougre ne l’a touché qu’à la cuisse, mais elle a perdu pas mal de sang. Elle est très affaiblie, il doit y avoir autre chose. Gauthier vaut mieux pas que tu t’attardes, l’essentiel c’est qu’elle soit ici. Elle va s’en sortir. Pour Voyou, encore deux jours et il pourra gambader. Mais pas question que tu l’amènes à la chasse avant deux semaines.

– Manguia, fait quand même très attention. Nous avons rencontré Hermance près de l’endroit où était la louve. Diable s’est occupé de lui, je pense qu’il a cru que c’était la louve, mais sait ont jamais.

– Pas d’inquiétude, la louve sera mise en lieu sur.

Je rentrai au château presqu’à l’aube, l’herbe gelée craquait sur les sabots de Gascogne. La journée s’annonçait belle. J’accompagnai mon destrier à l’écurie, lui donnant une bonne ration d’avoine et de fourrage. Puis je m’occupais de Vaillance et de Diable. C’est là que je constatais que ma meute avait encore prit de l’ampleur. Légende avait mis bas. Quatre magnifiques chiots, fauve de Bretagne s’employaient à prendre leur premier repas, tirant sans retenue sur les tétines. Deux femelles et deux mâles, je restais presque une heure à les contempler, à les prendre dans mes mains. Légende semblait très fière de sa progéniture.

Nous étions le 18 décembre, Hermance devait déjà m’attendre, à moins que la rouste infligée par Diable… Non, je n’y croyais pas, l’olibrius était rustique. Je partis accompagné par toute la meute, même le vieux Lucifer était des nôtres. Chaque tige, chaque brin d’herbe revêtaient son habit d’ange. Transformant comme par magie, la moindre haie, le moindre buisson, la moindre pâture, en œuvre d’art. Les fines particules de givre donnaient à la nature une dimension chimérique. Dévoilant de façon indécente les toiles d’araignées tissées dans la nuit, trahissant sans aucune pitié le périple de ces travailleuses infatigables.

Visage couvert d’ecchymoses, Hermance était bien là. Ses mains et ses pieds nus lacérés, un véritable lambeau. Sa cape de peau de mouton, sa tunique de lin, ses braies, son chaperon, déchirés, dépecés. Il n’avait ni lavé, ni même essuyé les blessures. Le sang avait coagulé, transformant le bougre en une gigantesque plaie.

– Hermance, pauvre diable, c’est ta gueuse que t’as estropié de la sorte. À moins que tu n’ais rencontré le diable ?

– C’était le diable Gauthier, c’est sur que c’était le diable. J’aurai du t’écouter, cette nuit je suis revenu ici. La sale bête m’attendait, et elle m’a sauté dessus par derrière. Mais je suis persuadé qu’elle n’était pas seule. J’ai entendu comme un sifflement, puis la louve m’a lâchée et est repartie. Je suis certain qu’il y avait quelqu’un qui ordonnait la sale vermine. Ça n’est pas normal qu’elle m’ait lâché, il y a une histoire de diablerie là-dessous.

En quelque sorte, l’olibrius n’avait pas tout à fait tord, c’était bien le Diable qui lui avait infligé sa raclée.

– Hermance, la douleur t’aura fait entendre un sifflement qui n’était pas. Si la louve t’a lâché, c’est peut-être que ta blessure de flèche l’aura affaibli. Ne perdons pas de temps, je mettre Vaillance au travail. Avec ce givre, elle va remonter la voie facilement. Dès que nous l’aurons retrouvé, je lâcherais tous les chiens.

L’olibrius semblait revanchard, il trépignait sur place. Le froid piquant sur ses blessures encore ouvertes ne devait rien arranger.

– Gauthier, C’est moi qui vais l’occire, c’est moi seul. Et puis je lui arracherais le cœur, et je le bâfrerais.

– Comme tu voudras, mais attention quand même. Ces bêtes peuvent faire semblant, puis d’un coup de gueule elle t’emporte la moitié de la figure.

Rapidement nous atteignîmes l’endroit ou Diable avait donné sa dérouillée au pauvre bougre.

– C’est par là que cette diablerie m’a sauté dessus, elle ne doit pas être bien loin.

En atteignant le petit bosquet, je savais que les chiens n’iraient plus très loin. Jusqu’à presque midi nous cherchâmes en vain la louve. Et pour cause…

– Tes chiens sont des corniauds Gauthier, ils ne servent à rien, sinon à s’empiffrer !

– Le corniaud c’est toi Hermance, Vaillance nous ne nous a pas amené jusqu’ici par hasard. Regarde, il y a des traces par ici, un animal s’est couché, il y a même du sang. Et si ce loup n’était pas un loup, mais juste un énorme chien égaré. C’est bien toi qui m’a dit que tu avais entendu un sifflement, et que la louve t’avait épargné. À mon avis, dans ton piège c’était un gros chien. Blessé il n’a pu revenir chez son maître. Tu as fait beaucoup de bruit autour de cette affaire, et le maître du chien à compris que tu avais blessé son animal et non une louve. Cette nuit il t’aura suivi et il a retrouvé sa bête en même temps que toi. J’ai entendu parler de chiens de race Wolfhound irish amenés chez nous par les anglais. De vrais monstres dressés pour l’attaque sur loup. J’ai ouï-dire qu’un seigneur du Périgord Noir en possédait. C’est pas si loin le Périgord Noir. Souvent plus de 180 livres et presque deux coudées au garrot. En rappelant son chien cet homme t’a sûrement sauvé la vie. Ce que je ne comprends pas c’est qu’avec une simple flèche, l’animal n’ait pas pu s’enfuir plus loin ? Rentre chez tes maîtres Hermance, et à l’avenir évite de t’occuper de loups. Reste à piéger les puants, tu es le meilleur pour ça. Allez les chiens, on rentre. Taïaut, taïaut taïaut…

Je laissai Hermance perplexe, mais le rustaud ne semblait pas vraiment convaincu par mes explications. Je devais rapidement retourner chez Manguia pour la prévenir, pour lui dire de faire encore plus attention.

À peine arrivé au château de Montgaillard…

– Gauthier, Gauthier, ils ont attaqué la gabare de Nérac sur la Baïse… Elle était chargée de barrique de Buzet…Ils ont assassinés les deux convoyeurs.

C’était Adelphe Fromentin, le forgeron de Villelongue arrivant sur son roussin. Arc et flèches sur son dos.

– Qui sont-ils Adelphe ?

 

– Des hommes de main, sans doute à la solde des seigneurs de Pujols et de Monflanquin. Depuis qu’ils ont construits la bastide de Villeneuve-sur-Lot, ils poussent leurs razzias de plus en plus loin. En plus ils ont le soutien de Philippe le Hardi, ce godelureau n’apprécie pas trop notre commerce avec les anglais. Bientôt ils viendront jusque dans nos maisons, piller et violer nos femmes. Gauthier ils ne sont que quatre, il faut y aller. Nous les rattraperons sans difficultés au pont du Coustet, ou alors au Brouquet ! Le gros chêne tombé l’hiver dernier y est toujours, nous les aurons à moins de sept à huit toises.

 

Sans perdre un instant, nous partîmes. Durant la première lieue, j’attendais Adelphe, mais son roussin n’était pas aussi rapide que mon Gascogne.

– Adelphe je pars devant, rendez-vous sur le pont.

Lorsque je les aperçus, les gredins étaient encore assez loin du pont du Coustet. J’allais m’approcher discrètement de la rivière et tenter d’en liquider un ou peut-être même deux, par surprise. L’eau était assez haute, mais le courant moyen. Une chance, les quatre lascars n’étaient pas très au fait de la navigation, et ils avaient dû se résoudre à se rapprocher de la rive gauche. Je m’embusquai et attendis. Lorsque la gabare se présenta, à une vingtaine de toise à peine, je décochai ma première flèche. Lâchant le gouvernail, l’homme poussa un cri et tomba dans la rivière. Les trois autres compères ne comprirent pas immédiatement ce qu’il se passait. J’eu le temps d’armer et de décocher une seconde flèche qui fit également mouche. Le bandit s’écroula. Je remontai en selle, à l’instant ou Adelphe arrivait.

– Ils ne sont plus que deux, nous les aurons du haut du pont. Le plus dur sera de récupérer et de faire accoster la gabarre.

Heureusement l’endroit était désert. Cachés derrière le parapet, nous les vîmes arriver. Cette fois les rescapés avaient dirigé l’embarcation vers l’autre rive. Presque à l’arrêt dans une petite anse, hésitants, ne sachant plus s’ils devaient passer sous le pont ou accoster immédiatement. Puis le courant ne leur laissa plus le choix et l’embarcation fut entrainée vers l’aval.

– Adelphe, si nous voulons récupérer le chargement, je dois sauter sur la gabarre d’ici même. Toi, tu t’occupes de celui qui tient la rame, à droite. Moi je vais occire celui qui est à la barre, puis le Seigneur me guidera.

Au dernier instant, et avant que je ne décoche ma flèche, le gredin tenant la barre se saisit d’un sac de jute trainant à ses pieds et s’en protégea. Ma pointe l’atteignit au creux de l’épaule droite. Celle d’Adelphe ne rata pas sa cible et se ficha dans le coup du scélérat à la rame.

Deux toises, deux toises et demie de vide. Rapidement je me signai et sans trop réfléchir, épée en main je sautai. La réception fut assez rude, ma cheville gauche craqua. Lorsque je parvins à me rétablir, je sentis le souffle d’une lame. Devant moi, le gredin relevait déjà son arme. Une chance pour moi, blessé à l’épaule droite, il en était réduit à se servir maladroitement de sa main gauche. Un fois encore, sa lame trancha dans le vide. Puis sans même insister le gredin décrocha, et sauta dans l’eau. Non sans mal, j’arrivai à diriger la gabare vers la rive gauche. Je lançai alors un cordage à Adelphe et le forgeron arrima solidement l’embarcation. À peine en avions-nous terminé que quatre hommes, sûrement des sbires des co-seigneurs de Buzet, arrivèrent par le chemin. Ce n’était pas bon signe.

– Adelphe, tu vas partir pour Nérac, avertir le négociant, Sylvestre Herlvin que nous avons récupéré sa cargaison. Tu auras ta part, tu l’as bien méritée. Ton roussin n’avance pas, prend donc Gascogne.

– Gauthier Valdemar, ici c’est Jean Bénac, seigneur de Buzet qui fait sa loi. Qui t’as permit de venir faire justice sur ses terres?

– Ces gens ont attaqués et assassinés des sujets du Sire d’Albret. Volant les biens d’un négociant de Nérac. Ça s’est passé sur les terres de Jourdain de l’Isle, mon maître. Le droit de suite s’applique aussi pour les bandits. Adelphe et moi, n’avons fait que notre devoir.

Les hommes de Jean Bénac ne semblaient pas vouloir en venir aux mains. Il est vrai que les deux cadavres à bord de la gabare, l’un une flèche dans le cou, l’autre en plein cœur, plaidaient en ma faveur. Même en surnombre, ils n’avaient pas envie de se faire trouer la paillasse. Ils souhaitaient juste faire main basse sur le butin, ou du moins sur une partie. De mon côté, je ressentais toujours une douleur à la cheville gauche etje n’avais pas non plus, très envie de me mesurer aux quatre lascars. Les discutions s’éternisaient. Au loin je vis ariver un groupe de cavaliers. Lorsque je reconnu Adelphe le forgeron, sur Gascogne et Jourdain de l’Isle, je respirai mieux. À peine arrivé, le ton du seigneur de Montgaillard se fit, dédaigneux, condescendant, presque méprisant.

– Gauthier, mon brave serviteur. Tu as fait du bon travail, tu as fait respecter ma loi sur mes terres, et je t’en remercie. Mais je vais maintenant m’occuper du problème. Par contre toi, tu as un autre problème. On m’a avertie que ton amie, la guérisseuse, Manguia je crois, vient d’être arrêté par les hommes du prévôt de Nérac. Ils lui rendaient une petite visite de courtoisie, et elle leurs aurait avoué avoir soigné une louve. Sûrement le diable qui aura prit l’apparence d’une louve. Une guérisseuse qui a des accointances avec le malin, c’est une sorcière. Et les sorcières, elles finissent sur le bûcher.

À suivre…..

Pour communiquer avec Gauthier : gauthier.valdemar@laposte.net

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