Meurtre à la couette ou du foin sur le green
Extrait chapitre 1 - un américain à Saint-Jean -
Soigner le mal par le mal, vous connaissez. ? j'explique, la méthode est imparable. Imaginez qu’une guêpe vous pique, ça fait mal. Mais si juste après, vous vous donnez un grand coup de marteau sur un doigt, vous allez constater que comme par magie vous ne ressentez plus rien, ou presque de la piqure de guêpe. Sans trop le savoir j’allais appliquer la méthode avec tout le savoir faire dont j’étais capable. Plusieurs mois se sont écoulés depuis cette dramatique journée de la fin du mois d’août de l’année passée. L’enquête de gendarmerie et de police n’est toujours pas terminée, mais à Saint-Jean l’ordre semble maintenant régner. Sauf dans ma tête ou la confusion domine encore. J’ai repris mon travail à Bordeaux, mais les grosses baffes que j’ai reçues ont désorganisé mon cerveau, un peu à la façon d’un ordinateur ayant ingurgité une très forte surtension, suite à une attaque de foudre. Il me fallait maintenant réinitialiser le système, mais je n’arrivai pas à me connecter pour les mises à jour. L’analyse entreprise chez un psy, n’a pas donné grand-chose, peut-être a-t-elle-même ajouté à la confusion. Le docteur Espinasse, le médecin de famille de Saint-Jean, m’a simplement conseillé de donner du temps au temps.
– Tu sais petit, le cerveau moins on y farfouille et mieux c’est. Ta thérapie c’est ta famille, tes amis, les vrais, la campagne de Saint-Jean, et le Bouscarot. Ne bouscule rien, tout était dans l’ordre avant cette dramatique histoire et tout reviendra comme avant. Le seul médicament dont tu ais besoin c’est le temps.
Pour ceux qui n’auraient pas lu le premier titre, je vais faire un débriefing.
Amélie et Marcel Beaumont (mes parents) m’ont baptisé Martial, je suis leur unique et plus bel enfant. Né il y a 27 ans, j’ai grandi au Bouscarot, une petite ferme située sur les coteaux au sud de Saint-Jean. Je ne l’ai quittée qu’après mes études et travaille maintenant à Bordeaux, dans le négoce du vin. Il m’est impossible de véritablement couper le lien qui me relit à cette maison et à cette campagne. Revenir au Bouscarot, c’est pour moi comme une retrempe de l’âme, c’est mon univers d’enfant, et mes racines y sont profondément ancrées. Toute mon enfance je l’ai passée à courir dans les champs, les prés et les bois. J’ai une passion immesurée pour la nature. Cette campagne je l’ai dans la peau et je n’éprouve de véritable sentiment de liberté que lorsque je suis au Bouscarot. Je connais tous les recoins de la commune par cœur. J’y reviens régulièrement, au moins deux fois par mois. L’automne c’est ma saison préférée, et, dès septembre, je m’y réfugie tous les week-ends.
Cette maison du Bouscarot, je ne peux imaginer que mes parents puissent un jour s’en séparer. Dans quelques années, sans doute, j’aurai une famille, et ensemble nous y passerions de nombreux week-ends. Mais, j’aime bien ma vie sans contrainte d’aujourd’hui, y a donc pas d’urgence.
De plain-pied, élevé en pierre du pays, le bâtiment principal jouxte le petit pigeonnier qui est devenu mon domaine réservé. Pendant très longtemps, il avait accueilli des pigeons et des poules dans sa partie basse. Lorsque je suis parti travailler à Bordeaux, papa et maman l’ont fait aménager juste pour moi. Par la fenêtre, de mon lit installé dans la mezzanine, j’ai une vue dégagée sur la garenne et ses vieux chênes. Au rez-de-chaussée, le petit salon ne dispose, outre la porte d’entrée, que d’une lucarne de forme arrondie. Chaque fois que j’y reviens, j’ai l’impression de rentrer dans un nid, mon nid. Je crois bien que mes parents, surtout maman, ont voulu me transmettre un message : « Ici tu es chez toi, tu es libre d’y venir et d’y amener qui tu veux », enfin la jeune fille que tu auras choisie pour faire nos petits-enfants. Au grand désespoir de maman, ce n’était absolument pas ma préoccupation première pour le moment.
Devant la maison, le banc en pierre que mon grand-père avait installé est toujours là. Chaque fois que je le regarde, des souvenirs envahissent mon esprit. Je me rappelle le vieil homme qui, assis dessus, me prenait sur ses genoux pour me raconter des histoires (un peu d’émotion, ça fait pas de mal). Un puis un jour ce fut mon père qui m’avait pris sur ses genoux et il m’avait alors expliqué que le grand-père nous avait quittés pour aller se reposer au ciel. Il avait pris la suite, et ses histoires avaient remplacé celles du grand-père. Un jour, moi aussi je prendrai mon petit garçon ou ma petite fille sur mes genoux pour lui raconter des histoires. Dès qu’il faisait beau, maman dressait la table sous le vieux tilleul. Le soir nous y discutions jusqu’à plus d’heure. Non, jamais je ne pourrai me séparer de cette maison (attention mon bonhomme, tu deviens trop sentimental, faut réagir, sinon…)
Pour ce qui est du bourg de Saint-Jean, il ressemble à tous les bourgs du Sud-ouest, à quelques nuances près.
En quelques mois, le village avait acquis une notoriété certaine, et même, durant l’hiver, de nombreux touristes faisaient le détour. Cette célébrité soudaine avait pour effet de faire gonfler le nombre des personnes voulant y résider. Pour les habitants c’était selon. Pour ceux qui pensaient n’avoir rien à gagner (sinon des em…), une grande part de responsabilités incombait au père Deslandes et à son épicerie.
Un curé, c’est fait pour dire la messe, célébrer les mariages, les baptêmes et enterrer les morts, pas pour faire du commerce à l’ancienne.
Pour d’autres, les plus éclairés (enfin tout dépend du camp dans lequel on se place) ceux qui avaient un peu ou beaucoup à gagner, le curé était le sauveur. C’était le précurseur, celui qui avait montré la voie. Une lumière, peut-être divine, était apparue dans le ciel de notre magnifique Sud-Ouest et notre curé avait su le premier, trouver « l’interrupteur ». Eh oui, notre curé avait comme tant d’autres de ses confrères bien du mal à joindre les deux bouts avec seulement la quête et le denier du culte. Alors, lorsque la mère Tancogne avait arrêté, à près de 85 ans, son activité d’épicière-mercière-débitante de tabac, il lui avait proposé de la reprendre. Tout le monde l’avait pris pour un fou, certains affirmaient même que la soutane lui était montée à la tête (on aura compris ce que certains voulaient dire par là). La vieille dame ne voyait guère plus de deux clients par jour, et encore parce qu’elle leur faisait crédit. C’est vrai que, par temps de neige, ils se faisaient beaucoup plus nombreux. Malheureusement ou heureusement (encore une fois tout dépend du côté où l’on se place) la neige n’apparaissait à Saint-Jean qu’une à deux fois l’an et pour quelques heures seulement. Et c’est là que notre curé, sûrement très bien inspiré par le regard de notre Seigneur, avait eu une idée de génie. Celle de transformer l’établissement « genre supérette poussiéreuse, la plupart du temps dégarnie », en « véritable épicerie des années trente, où l’on trouve de tout ». À l’image du general store de l’ouest américain, la boutique, baptisée « Le Presbytère » proposait une gamme très large de produits allant du savon, aux sabots, en passant par le beurre, le fromage ou les petits pois, sans oublier le cirage et même les cartouches en périodes de chasse. Une véritable caverne d’Ali Baba. Le bouche à oreille (buzz) fonctionnait bien et on venait maintenant d’assez loin pour admirer le magasin qui tenait d’ailleurs plus du musée que de l’épicerie. Personne ne savait trop où il se fournissait certains de ses produits dont les marques très anciennes avaient disparu depuis longtemps : chicorée Arlatte, pâtes alimentaires Brusson Jeune, biscuits Gazon ou encore le chocolat Lombard. Ni d’où venait d’ailleurs la jolie vendeuse toujours très souriante, habillée d’époque, qui se prénommait Émilie et qui l’épaulait dans sa tâche.
Quelques semaines plus tard, profitant de l’aubaine, Olivier Aignard, notre colosse, ancien pilier et figure emblématique de Saint-Jean, transforma également sa boulangerie, en adoptant le style de l’épicerie. Il remplaça son enseigne clignotante par une simple plaque émaillée, son four électrique par un four à bois, et acheta quelques vieilles étagères et vieux meubles dans un bric-à-brac. Il sut également convaincre (c’était pas gagné d’avance) sa femme Odette et sa vendeuse Patricia de porter le costume d’époque. Comme il ne savait pas trop de quelle époque il s’agissait, sa femme opta pour le début du xxe et la vendeuse pour la fin du XIXe. Du mardi, au dimanche midi, sa boutique ne désemplissait plus, et rapidement il fut obligé d’engager un compagnon.
Dans la foulée, Virgile Grangveneur le chef d’un très prestigieux restaurant parisien, licencié de son trois-étoiles, reprit par un Américain adepte de la new cuisine, quitta la capitale pour installer un café-auberge également à l’ancienne qu’il nomma… « Chez Virgile ». Là encore on pouvait découvrir des boissons d’un autre siècle : liqueurs Hanappier, apéritif Kina Lillet. Il avait même réussi à retrouver un spiritueux légendaire à base d’absinthe qui faisait fureur.
Puis un maréchal-ferrant-bourrelier, un brocanteur-antiquaire, un fabricant de bougies… et… bref en quelques mois, Saint-Jean montait de grade (ce n’était plus un village, mais un bourg) et devenait incontournable…
Rapidement la population passa de 250 à 400 habitants, puis à presque 500, le centre du village se « ranima ». Certains conseillers municipaux soulevèrent l’idée de redonner un ton médiéval au bourg en repavant les rues (enfin la rue) et en sollicitant les habitants afin qu’ils donnassent à leur façade une allure moyenâgeuse. D’autres et pourquoi pas les mêmes, parlèrent de rouvrir l’école et de créer un « musée des temps anciens » sur les vestiges qui subsistaient à la sortie du village. On ne savait pas trop s’il s’agissait de ceux d’une tour ou d’un lavoir, mais qu’importe… la région, le département, peut-être même l’État allaient aider, alors pas de problème…
Bref, notre bourg se voyait maintenant jusqu’à Londres et même bien au-delà et les conséquences n’allaient pas tarder à se faire ressentir. Petite compensation, les râleurs de tous poils avaient de quoi occuper leur passion.
C’est dans cette campagne qu’Ashley et DarylMaxwell, des Anglais de Londres, jetèrent leur dévolu sur le Moulin de Saint-Jean, c’était il y a deux ans. À part son côté dominant, sa surface imposante, et ses murs de pierre, la bâtisse complètement en ruine et envahie par les ronces n’avait rien d’exceptionnel. Il devait y avoir eu, à cet emplacement, il y a très longtemps, un Moulin à vent, mais toutes traces avaient maintenant disparu. Après d’importants travaux qui lui redonnèrent éclat, prestance et dignité, Ashley et Daryl prirent possession des lieux au début du mois de mars. Avec la maison, les Maxwell avaient également acheté quelques parcelles de bois et des friches. Certaines attenantes à la maison, d’autres disséminées et enclavées parmi les terres agricoles. Le tout dépassait les 30 à 40 hectares. Certains agriculteurs avaient, un peu tard il est vrai, proposé de racheter quelques parcelles qui jouxtaient leurs terres. Mais les Maxwell avaient toujours refusé.
Daryl, âgé de 53 ans, et Ashley de 38, travaillaient tous deux dans la communication. Ils œuvraient grâce à Internet et l’ADSL qui couvrait depuis peu Saint-Jean-Automne. Le couple avait adopté deux chevaux et il n’était pas rare de rencontrer la dame, montant l’un d’eux, un hongre pommelé, le long des routes et des chemins.
Quelques mauvaises langues avaient laissé entendre que les Maxwell n’avaient pas quitté Londres seulement par amour des vieilles pierres, de la campagne et du Sud-Ouest. On avait appris on ne sait trop comment, et on ne sait trop par qui, que dame Ashley avait des passions cachées. Daryl son époux l’aurait, pour la protéger des démons de la jeune chair, convaincu de venir s’installer avec lui en France. Certains s’étaient même avancés jusqu’à dire qu’elle pouvait s’accommoder aussi bien de chair mâle que femelle, pourvu qu’elle soit tendre. Toutefois (vous savez ce que c’est en province, on s’étonne d’un rien et il faut s’occuper, surtout au printemps et en été, les journées sont longues), (et même en hiver parce que là, ce sont les soirées qui sont longues) personne n’était en mesure de prouver quoi que ce soit (enfin pas pour le moment). Tous ces ragots n’étaient sûrement l’œuvre que d’envieux, de jaloux et de malfaisants.
De toute façon, ici, Daryl pouvait légitimement espérer que son épouse Ashley ne subisse aucune tentation. Les seuls Anglais du village (pardon du bourg) avaient plus de 50 ans, donc pas de risque.
Malheureusement c’est mon âme que le diable choisissait de sacrifier pour tenter la pécheresse. Après un premier avertissement sans frais, je persévérai tant la deuxième couche me semblait encore plus attrayante que la première. Maman m’avait mis en garde, papa également, mais en pure perte. Tout le monde le sait, les jeunes savent tout et ont toujours raison, les parents radotent sans cesse, ils ont peur de tout. Et puis tout s’enchaîna assez rapidement, je fus prit dans l’engrenage, dans un tourbillon, j’en avais conscience, mais incapable de quitter le chemin, je persistais. Malheureusement, la tuile reçue sur ma petite tête était d’un très gros gabarit et subsiste encore aujourd’hui quelques morceaux ici et là.
Le siège de « la palombe blanche » l’association qui m’avait valu une partie de ces ennuis n’était plus à la ferme et je ne m’impliquai maintenant dans celle-ci que très rarement.
Bon maintenant que vous savez tout, et je vais enfin pouvoir entreprendre de nouvelles conneries. Chasser le mal par le mal, vous connaissez. ? Je vous explique, la méthode est imparable. Imaginez qu’une guêpe vous pique, ça fait mal. Mais si juste après, vous vous donnez un grand coup de marteau sur un doigt, vous allez constater que comme par magie vous ne ressentez plus rien de la piqure de guêpe. Sans trop le savoir j’allais appliquer la méthode avec tout le savoir faire dont j’étais capable.
L’innocence de Daryl Maxwell reconnue, celui-ci fut libéré, il vendit le Moulin de Saint-Jean s’en retourna vivre à Londres. Cette fois l’acheteur un certain Austin Alexander Abbott nous vint de plus loin encore, de Dallas au Texas. Apparemment, le spécimen avait fait fortune dans la citronnade. Tout le monde sait ça, les américains ont tous fait fortune, c’est pour cette simple et unique raison que dans ce pays, la sécurité sociale n’existe pas. Étant tous riches, les habitants peuvent sans peine se payer tous les soins dont ils ont besoin. Ce serait quand même bien, si en France il n’y avait que des riches, plus besoin de sécu, plus besoin de restau du cœur, plus besoin de … plus besoin non plus de parti de gauche. Mais quel embouteillage à droite. Vous rendez-vous compte, tout ce monde à reconvertir, je préfère ne pas y penser. Laissons les choses telles qu’elles sont : des très pauvres qui ne pourront jamais s’en sortir ; des pauvres en devenir ; des moyens riches qui s’agrippent et qui ne veulent surtout pas devenir pauvres ; des riches qui veulent devenir encore plus riches et des très riches qui savent qu’ils peuvent devenir plus riches encore. Ça c’est la France, ça marche comme ça, ne changeons rien. Un tien, vaut mieux que deux tu l’aura. Sont quand même très fort en maxime les Français.
Ce vendredi soir à mon arrivée au Bouscarot maman ne me laissa même pas le temps de descendre de voiture. Je pense qu’elle devait veiller mon arrivée.
– Tu ne devineras jamais la dernière lubie de l’américain, il est en train de se faire un golf, mais pas un miniature comme à Pastourelle ! Non, non, un vrai, un grand, un dix huit trous, à ce qu’il paraît. Il est même venu à la maison pour essayer de nous acheter les deux champs et le bois que nous avons à côté de son lac. Il nous en a même proposé un bon prix, ton père lui pas dit non, mais pas oui non plus. Qu’est-ce que tu en penses, toi ? De toute façon, on garderait les autres terres, même si on sait que tu ne prendras pas notre suite, alors tu en penses quoi ?