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Michel ZORDAN présente des extraits de ses romans. Il se laisse également aller à quelques réflexions sur l’actualité.

25 Sep

Rentrée littéraire 2012 : foot OM / Nîmes1932

Publié par Michel Zordan  - Catégories :  #Un auteur du Sud Ouest

L-insolence-du-sort.jpgLes exilés de l'Arcange - L'insolence du Sort - Auteur Michel Zordan ISBN 978-2-9532863-1-1

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Extrait - Papa m’interrogea du regard. Tant pis pour les remparts de Carcassonne, nous allions partir vers Lyon, l’aventure continuait. Le commissaire Valentino prit la parole.

 

– Monsieur le juge, vous pourriez ne partir que demain matin ! Après toutes ces émotions, je pense que Messieurs Émilio et Sylvio Montazini ont bien mérité quelques compensations. À cinq heures, je vous amène au stade pour voir le match de football de l’Olympique de Marseille contre le Sporting Club Nîmois. Vous savez que notre club a remporté la coupe de France en 1926 et en 1927,  ainsi que le championnat de France amateur en 1929. Depuis cette saison, nous sommes passés professionnels. L’équipe du club nîmois est solide mais avec Alcazar, Boyer et Durand, je suis tranquille. On va les balader, ils n’ont aucune chance. Ensuite, je vous emmènerai au restaurant, mais dans un vrai cette fois, pas comme hier soir. 

 

Je ne comprenais pas ce que le commissaire voulait dire par : un vrai restaurant. La veille au soir, après avoir marché un peu sur le port et dans les petites rues adjacentes, un peu par hasard, nous étions entrés dans une petite taverne, La Sardine. Nous avions dégusté des plats typiquement méditerranéens : l’incontournable bouillabaisse, de la morue à la marseillaise et, en dessert, du cake au pain d’épices. Il y avait énormément de monde qui entrait, sortait et parlait très fort. L’ambiance était festive, tout le monde bousculait un peu tout le monde. La plupart des clients étaient des marins qui s’exprimaient dans un langage que je ne comprenais pas, ils venaient sûrement du monde entier. Ce qui m’avait un peu surpris, c’était les femmes qui accompagnaient certains de ces marins. Elles n’avaient pas l’air d’être leurs femmes et pourtant elles semblaient très, très affectueuses avec eux. Elles s’asseyaient sur leurs genoux et même, s’ils ne parlaient pas la même langue, elles semblaient très bien les comprendre. C’était leurs vêtements qui m’avaient le plus surpris. Ce n’était pas ceux que j’avais l’habitude de voir sur les autres femmes, surtout celles de Floréal. Toutes ces dames, assez jolies pour la plupart, paraissaient très gentilles, bien sûr, mais, à mon goût, elles étaient quand même un peu trop voyantes. Le commissaire Valentino continua à énoncer les réjouissances.

 

– Ensuite, cinéma ! Nous irons au Palace voir le dernier film de l’enfant du pays, Fernandel. Il tient le rôle principal dans “La Fine Combine” d’André Chotin.

 

Damien Chrétien abdiqua. Sylvio et Émilio avaient encore eu une journée très éprouvante, ils méritaient bien cette petite récompense. La première fois que j’étais allé au cinéma, c’était lors de notre voyage chez la Dame en Blanc, à Paris, en novembre dernier. Pour le football, j’en avais déjà entendu parler. Ce n’était pas comme au rugby, ça se jouait avec un ballon rond et seulement avec les pieds. Il n’y avait que le gardien qui pouvait saisir la balle avec les mains. À quatre heures quarante-cinq, deux voitures nous déposèrent devant le stade. Il y avait une foule considérable qui faisait la queue au guichet. Le commissaire Valentino nous fit signe de le suivre et se dirigea directement vers l’entrée. Nous partîmes ensuite vers les tribunes officielles où nos places étaient réservées. Jamais, je n’avais vu autant de monde réuni à la fois, le stade me parut gigantesque. Lorsque les deux équipes arrivèrent sur le terrain, d’un bloc, les spectateurs se levèrent et les cris que j’entendis me firent présumer du pire.

 

Ce n’était pas les commentaires du commissaire Valentino, placé juste à côté de moi, qui me rassurèrent.

 

– Pour le moment, ils sont encore calmes. Tu verras, au premier but, ils vont se déchaîner !

 

Le speaker fit les présentations et puis tout s’enchaîna très vite. Le club nîmois effectua l’engagement et, rapidement, on entra dans le vif du sujet. J’observai mon père, placé juste à côté du juge Chrétien. Il me regarda à son tour et nous échangeâmes un clin d’œil. Aujourd’hui encore, tout aurait pu basculer dans le drame, mais papa avait fait front et l’affaire s’était bien terminée.

L’Olympique de Marseille était en difficulté et le commissaire Valentino vociféra après Paul Schnoeck, un défenseur marseillais qui, d’après lui, n’avait rien à faire, en cet instant, sur la pelouse.

 

–Ce n’est pas possible, il n’avance pas ! Il a dû faire une ventrée à midi et il n’a pas digéré ! Ou alors quelqu’un lui a mis du plomb dans ses chaussures, ou alors il a pris celles de sa femme !

 

Le mot “femme” n’était pas exactement le terme qu’il utilisa. Ensuite, Marseille se dégagea et le commissaire retrouva son siège. Pas pour longtemps. Les Nîmois remontèrent encore le terrain vers le but marseillais. Je scrutai le visage du commissaire qui, une fois de plus, avait changé de couleur. Il était comme tétanisé, il ne pouvait plus articuler un mot. Et puis, ce fut l’interception et la contre-attaque de l’Olympique de Marseille. De violet, le visage du commissaire vira au rouge vif mais aucun son ne sortait encore de sa bouche. Je commençai à m’inquiéter, l’apnée durait maintenant depuis trop longtemps.

 

À la 27e minute, ce fut l’explosion. Alcazar, dit Pépito, fit une passe en retrait sur Jennings qui, d’une fantastique reprise de volée du gauche, trompa le gardien nîmois. Le ballon finit sa course au fond des filets. À part quelques dizaines de spectateurs, qui devaient être du stade nîmois, tout le monde était maintenant debout, en liesse. Les sirènes faisaient un bruit d’apocalypse et le commissaire d’en rajouter.

 

– Petit, je te l’avais dit que ce milieu était fantastique ! En plus, nous avons le meilleur entraîneur du monde et ce n’est pas fini ! 

 

Je commençai à me prendre au jeu. Je me surpris même à crier et à pester lorsque le boulet de Boyer frôla la transversale. Le commissaire me rassura.

 

– T’en fais pas petit, ce n’est que le premier acte. Nos champions, ils ont toujours besoin d’un peu de temps pour prendre leurs marques. Les Nîmois, ils vont rentrer chez eux avec la musette pleine. En arrivant, ils pourront ouvrir un magasin !

 

À peine avait-il fini sa phrase que Laurent Di Lorto, le gardien de Marseille,faisait une toile et encaissait un superbe but de plus de 30 mètres. Le commissaire en resta sans voix et un froid glacial envahit tout le stade. Compte tenu du rapport de force, même les supporters de Nîmes hésitèrent à applaudir leurs joueurs. Je découvrais, alors, le commissaire sous un angle nouveau. Lui qui, dans son travail, était presque réservé, toujours très mesuré dans ses propos, il était un autre homme dès qu’il s’agissait de football et de son équipe de Marseille. La passion prenait alors le dessus et il avait du mal à maîtriser ses émotions. À la 36e minute, d’un coup de patte magique, Sherry trouva Eisenhoffer sur la droite. Une passe en retrait sur Gallay et la balle se retrouva, pour la deuxième fois, au fond des filets du club nîmois. Les supporters de Marseille reprirent de la voix, le commissaire se releva, les sirènes retentirent à nouveau. Le spectacle était grandiose. Je n’avais jamais connu une telle effervescence, le stade était au bord de l’implosion. La mi-temps fut sifflée sur le score de 2 à 1. Les gosiers étaient secs et papa descendit au bar avec Damien Chrétien pour ravitailler toute la bande, en attendant la deuxième mi-temps.

 

Dès la reprise du match, les Nîmois se montrèrent encore très dangereux. Puis Marseille rééquilibra le jeu : la balle resta dans le camp des Nîmois et les attaques se firent plus incisives. À la 83e minute, Alcazar marqua le troisième but marseillais, le but de la délivrance. À la 93e, l’arbitre siffla la fin du match : l’Olympique de Marseille l’emportait sur le club nîmois par 3 buts à 1.

 

Durant tout le trajet pour nous rendre au restaurant, le commissaire ne tarit pas d’éloges sur son équipe. Il refit plusieurs fois le match, à sa façon bien sûr. Il avait retenu une table pour sept heures trente, dans un établissement chic de la Canebière, “Aux Pieds et Paquets”. Nous devions avoir fini de souper vers neuf heures trente, pour ne pas manquer la séance de dix heures au Palace.

Le commissaire était vraiment de bonne humeur. La victoire de son équipe l’avait rendu encore plus chaleureux.

 

– Mes amis, les pieds et paquets que vous allez déguster sont les meilleurs au monde. D’ailleurs, il n’y a qu’à Marseille, et peut-être un peu à Lyon, qu’on sait les faire. 

 

Je ne savais absolument pas ce qu’étaient les pieds et paquets. Pour ne pas passer pour un ignorant, je n’osai pas demander à papa. Si lui aussi l’ignorait, ça pouvait le mettre dans l’embarras. Le restaurant “Aux Pieds et Paquets” n’avait absolument rien de commun avec La Sardine. La devanture était très chic, bien éclairée. Dès que la porte fut franchie, un homme avec un nœud papillon s’avança prestement vers le commissaire pour le saluer. Il avait l’air d’être très connu dans la place. La table qui nous était réservée se situait au fond de la salle. Lorsque je l’aperçus, l’angoisse commença à monter. Il y avait, de part et d’autre des trois assiettes destinées à chaque convive, une multitude de verres mais également un nombre encore plus élevé de couverts : fourchettes, cuillères, couteaux de toutes sortes. Il y avait même une pince. À quoi toute cette quincaillerie pouvait-elle bien servir ? Jamais je ne saurais utiliser correctement tout ça ! C’est vrai qu’au restaurant La Sardine, c’était plus bruyant mais, au moins, il n’y avait qu’une fourchette, une cuillère et un couteau. Et les verres ! Il y en avait trois pour chacun, et moi qui ne buvais que de l’eau ! Le commissaire Valentino crut percevoir quelque inquiétude dans mon regard et il m’installa à son côté. Je fis signe à papa de se mettre de l’autre côté.

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