les prémices du jeudi noir 24 octobre 1929
Les prémices – Série les exilés de L'Arcange -ISBN 978-2-9532863-2-8 - 444 pages- Auteur Michel Zordan - Editions 3Z
Aux États-Unis, depuis le jeudi noir du 24 octobre 1929 et la période de grande dépression qui s’en était suivie, les petits et les moyens porteurs avaient perdu toute confiance dans les actions et les marchés spéculatifs boursiers. Ils s’étaient alors tournés vers des valeurs qu’ils estimaient plus sûres, et les diamants en faisaient partie. De la même façon qu’ils avaient profité de la prohibition, les trafiquants s’organisèrent. Ce fut une catastrophe pour l’organisation De Beers qui contrôlait jusque-là le marché mondial des pierres précieuses. Complètement dépassée, cette organisation n’arrivait plus à endiguer l’hémorragie. Pendant presque deux années, ce trafic permit de faire transiter vers les États-Unis pour des millions de dollars de petits et moyens diamants, jamais de très grosses pierres. La devise des trafiquants était simple : petits diamants égale petits risques.
En France, à leur grande satisfaction, Jackson Denver et Michael Deyland, avaient enfin reçu l’appui des autorités judiciaires. Le 17 novembre 1933, au petit matin, les entrepôts de la Spiritvins, rue du Port, à Marseille, et ceux de la Spiritvins, 32 quai des Chartrons, à Bordeaux, furent investis par d’importantes forces de police. Les policiers savaient maintenant ce qu’ils cherchaient et à quels endroits ils devaient chercher. Tous les fûts d’alcool, armagnac, cognac et autres eaux-de-vie furent contrôlés. Sur Bordeaux, rien de suspect ne fut découvert le premier jour. Par contre, dans l’entrepôt de Marseille, on retrouva 17 sachets de pierres de petites tailles : rubis et saphirs. Le système utilisé était simple, mais efficace. Arrivés à Marseille, les fûts étaient vidés et les trafiquants opéraient en introduisant et en fixant les petits sacs à l’aide de fils de laiton. Exactement comme je l’avais suggéré, juste derrière la plaque d’identification du producteur. Les fûts d’alcool avec les pierres précieuses partaient ensuite de Marseille, point névralgique du trafic, vers Palerme, en Sicile. En réalité, la mafia n’était pas à l’origine de ce trafic, trop compliqué à organiser sur le territoire français. Elle était seulement partenaire, en permettant aux organisateurs de profiter des réseaux de distribution mis en place pendant les 10 années, et plus, qu’avait duré la prohibition dans le pays. Au port de Palerme, la mafia prélevait son dû et la cargaison repartait vers le continent américain. Mais les pierres précieuses n’étaient pas seulement dissimulées dans les fûts d’armagnac ou de cognac.
Le 18 novembre, dans l’entrepôt de la Spiritvins de Bordeaux, le hasard permit à l’enquête de faire une avancée spectaculaire. Une caisse de 12 bouteilles tomba sur le sol ; elle s’ouvrit et sept d’entre elles se brisèrent. En ramassant les débris pour éviter de se blesser, la police fit une étrange découverte. Les organisateurs du trafic avaient encore trouvé une idée originale, simple, mais géniale. Ils intégraient dans chacune des bouteilles un diamant, juste avant l'embouchonnage. Ces bouteilles de vin assez spéciales étaient vendues aux États-Unis sous le nom de « French millésime ». Sur l’étiquette, une petite référence permettait au commerçant d’établir le tarif. Celui-ci était en fonction du vin, rouge bien entendu, Bordeaux, Bourgogne ou Côtes-du-rhône, mais il était surtout basé sur la valeur de la pierre, rubis ou saphir, qui y était intégrée. Les États-Unis, redevenus en partie un pays où l’alcool pouvait de nouveau couler à flots, étaient très libéraux en matière de commerce. En seulement quelques mois, ce business un peu particulier prit une ampleur extraordinaire. Dans plusieurs États, on savait qu’en achetant une bouteille de « French millésime », on faisait un placement en diamants. Ce commerce ne fut bien sûr jamais légalisé, et tout en niant énergiquement, les autorités laissaient faire. Certains n’y voyaient même que des avantages. Les stocks accumulés étaient tels que, officieusement, les bouteilles de « French millésime » furent vendues aux États-Unis pendant environ trois années, de 1933, fin de la prohibition, jusqu’en 1936. À la veille des élections présidentielles de 1936, certaines pressions incitèrent les autorités à mettre un terme à ce commerce.
Aux États-Unis, contrairement à ce qui se passa en France, les responsables de ce juteux trafic ne furent jamais inquiétés. La justice préféra trouver des accords avec ceux-ci. Pour la plupart, ces diamants provenaient bien des mines de diamants du Sierra Leone. Ils étaient acheminés en France, sur Marseille, via le Liban, par un commerçant du nom d’Aziz Jaffar. Le Liban étant sous protectorat français, la police française arrêta Jaffar en mars 1934. Il fut remis en liberté quelques semaines plus tard et il s’évapora dans la nature. Dylan Wayner, patron de la Spiritvins France et Europe, fut également arrêté, mais il ne fut reconnu coupable que de trafics de diamants. Expulsé vers les États-Unis après une année d’incarcération, il ne put jamais être inquiété pour le double meurtre des époux Clesques.