Les prémices
Auteur Michel Zordan - Extrait : À peine eut-il prononcé ces derniers mots, qu’une rumeur s’éleva de l’assistance. Aux regards que certaines personnes lui lançaient, Ferdinand Maldive comprit qu’il aurait dû laisser un peu de temps au temps. Chacun y allait de son avis, mais c’est Armand Malcoeur qui ouvrit le premier les hostilités.
– Monsieur l’ingénieur, quand il aura plu pendant quinze jours de rang, comme en 1931, vous allez faire comment avec votre hercule de plus de trois tonnes et ses roues en fer ? Il va s’embourber, nos champs seront tous tassés après seulement trois à quatre passages. De plus, nos bœufs et nos vaches, on les nourrit avec l’herbe de nos prés, ça ne nous coûte rien, alors que pour le tracteur, il faudra acheter le carburant et en plus, ça ne fait pas de veau, ni de lait.
Ces derniers mots provoquèrent l’hilarité d’un bon nombre de personnes dans l’assistance, mais Ferdinand Maldive avait de la répartie et connaissait bien son sujet.
– Avec notre Hercule et la charrue trois socs qui va avec, vous ferez en un jour le travail que vous faites normalement en une semaine. Lors de vos labours d’automne, le sol est encore très chaud et même après quinze jours de pluie, vous pourrez entrer dans vos champs très rapidement. Avec les bœufs, vos labours n’excèdent pas 15 à 20 cm de profondeur ; avec notre tracteur, vous pourrez pénétrer le sol jusqu’à 35 cm et même plus. Vous allez ainsi atteindre et faire remonter à la surface une partie de terre que les racines de vos cultures n’ont jamais encore atteinte, et la récolte n’en sera que meilleure. En ce qui concerne l’achat du carburant, dans la mesure où vous serez capables de travailler plus vite, vous pourrez entreprendre le défrichement de quelques-unes de vos prairies. Vous allez donc produire plus et gagner plus. En ce qui concerne les veaux, rien ne vous empêche de vendre vos bœufs et d’acheter plus de vaches, vous aurez ainsi du lait et des veaux.
La réponse était pertinente et en avait mouché plus d’un, mais Ferdinand Maldive n’était pas du tout sûr d’avoir convaincu un très grand nombre de personnes parmi toutes celles qui l’écoutaient. Pendant quelques minutes encore, le jeu des questions-réponses se poursuivit. L’ingénieur s’adressa une nouvelle fois à l’assistance.
– Mesdames et messieurs, nous avons quelques mises au point à effectuer, mais demain matin, vers 10 heures, nous allons procéder à une démonstration de fauche. Celle-ci se fera dans la prairie de monsieur Émilio Montazini, au bord du ruisseau ; je vous y donne rendez-vous.