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Michel ZORDAN présente des extraits de ses romans. Il se laisse également aller à quelques réflexions sur l’actualité.

29 Dec

Les cahiers de mon père

Publié par Michel Zordan  - Catégories :  #les exilés de l'arcange

les cahiers de mon pere2-copie-1Auteur Michel Zordan - Extrait : C’est pour mon quinzième  anniversaire, le 17 juin de cette année 1958 que papa m’a « légué »  ses cahiers. Il y raconte sa vie, celle de sa famille, les Montazini depuis leur arrivée en France en 1930. Cette famille est devenue la mienne alors que j’avais quatre ans. Dans la lettre qui fait de moi son « légataire» il me recommande de les conserver bien précieusement, afin que ma petite sœur Simonetta puisse à son tour  les lire, si elle le souhaite lorsque son moment sera venu.  Ils sont au nombre de trente sept, et numérotés. Ils ont dormi durant des années bien rangés, à L’Arcange, au grenier,  sur une étagère. À l’abri dans des boites métalliques, emballage de biscuits Gondolo. Tous savaient qu’ils étaient  là, mais tous ont respecté le souhait de papa : ne pas y toucher. J’ai durant mes différents séjours à la ferme avec grand-père, déjà  compris que la vie de la famille Montazini ne s’est pas déroulée douce et tranquille. Celle des Etchebéry, la famille de maman est aussi jonchée de péripéties et de tragédies. Certaines se mêlent d’ailleurs à celles des Montazini.

 

L’entre-deux guerres fut témoin de la deuxième vague d’immigration italienne vers la France. Durant les années 20, et les années 30, des dizaines de milliers d’Italiens quittèrent leur pays, pour trouver asile en Gascogne et dans d’autres régions de l’hexagone. Les raisons de ces exils, furent multiples, la principale cause étant la montée en puissance du fascisme. Mon père, Mariéta et  grand-père, faisaient partie de ces derniers.

 

 

Maman s’appelle Sonia Etchebéry, et moi Baptiste Montazini. Nous habitons tous les deux à la ferme Etchebéry, située au pied de la Montagne Arradoy, à quelques minutes de Saint-Jean-Pied-de Port.  Maman m’a déjà beaucoup raconté  sur sa vie, et sur celle de sa famille  exterminée à Gernika en 1937. Pour sa rencontre avec mon père,  Sylvio Montazini,  elle m’a aussi raconté, mais en occultant quelques points de détail. Avec ces cahiers, je vais découvrir vingt-deux années de la vie de la famille de mon père. Vingt deux années que je sais semées d’embûches, parfois de drames. Mais aussi de bonheurs et d’espérance. Vingt deux années, depuis 1930, arrivée des Montazini en France, et jusqu’en 1952, date du voyage de papa à L’Arcange. C’est à cette occasion que nous avons fait la connaissance  de sa femme Angelika et de ma demi-sœur Simonetta. Six années depuis ce voyage, six années durant lesquelles nos existences  se sont déroulées sans accros ou presque.  Peut-être qu’après le dernier drame survenu pendant la fête de Floréal,  un dimanche après-midi d’août 52, le sort ou le destin avait décidé de calmer le jeu, laissant la famille Montazini, les Etchebéry  et  leurs amis, vivre enfin dans la tranquillité. J’ai passé une année chez papa en Australie, à Adélaïde. Avec ma petite sœur Simonetta nous avons fait plusieurs séjours dans la Barossa Valley, au milieu des vignes,  à Stockwell, chez  les Hartmann la famille d’Angelika. Une année inoubliable et j’espère bien y retourner un jour. Tout le monde m’attend là-bas. Après mon bachot sans doute, le temps de convaincre grand-père de m’accompagner.  Papa,  Angelika et Simonetta nous ont de nouveau rendu visite en France il a deux ans,  toujours pendant nos grandes vacances. Ils doivent en principe revenir l’année prochaine !  C’est grand-père qui m’a apporté les cahiers à la ferme Etchebéry, le jour même de mes quinze ans, un véritable trésor.  Dans ces lignes à l’écriture régulière, flotte en permanence l’esprit de mon père. Je découvre écrit de sa main,  parfois encore sous le choc de l’émotion, des situations qui me tirent les larmes des yeux. D’autres des sourires et mêmes des éclats de rire que je dispense sans modération. De toute façon, assis sur un rocher tout en haut dans la montagne Arradoy, à part Réglisse, Gribouille et les brebis,  personne ne peut m’entendre. Ce qui m’étonne un peu c’est le style de l’écriture. Des premières lignes aux toutes dernières, il n’a pas véritablement changé, pourtant plus de vingt années se sont écoulées. Dès les premiers cahiers, que mon père a intitulé « Les raisons de l’exil » une fascination s’installe, un attrait qui s’amplifie tous les jours un peu plus. Je m’attelle à la lecture dès que j’atteins le sommet de  L’Arradoy, jamais ailleurs. Ce sommet est pour moi comme un sanctuaire,  un lieu sacré, un peu comme une église, un temple  pour  les croyants. Lorsque le temps tourne au maussade, je rejoins une petite maisonnette que j’ai moi-même restaurer il y a deux étés. Ganiz, le grand-père Ezkerra qui s’occupe de notre troupeau lorsque je suis au collège, m’a bien aidé quand même. Prisonnière des ronces durant des décennies, nous l’avons délivré, remonté les murs de pierres taillées et de galets, et refait  le toit de lauzes. L’intérieur est garni d’une excellente paillasse de foin bien sec.  J’ai attendu les grandes vacances pour commencer à lire mon héritage. Chaque matin, je monte dans les estives avec Réglisse, Gribouille et le troupeau ; et le soir venu,  je redescends vers la ferme Etchebéry, en ne pensant qu’au jour qui va suivre et qui me permettra de poursuivre. Je ne propose même plus à maman de m’accompagner, ce qu’elle faisait de temps à autre l’année passée. Préférant être seul pour dévorer les lignes. Elle a comprit et ne s’en offusque pas. D’ailleurs son travail à la fromagerie lui laisse peu de temps. Je sais qu’un jour ou l’autre j’arriverais au passage de sa rencontre avec  papa, mais je ne suis pas pressé. Je veux juste m’imprégner de cet extraordinaire héritage que je peux vivre aux travers de ces lignes. Je dévore, mais en dégustant, sans me presser, comme un privilège que moi seul possède. Relisant certains passages que je pense avoir mal compris, ou qui me paraissent plus importants que les autres. Ah, un petit détail, les cahiers que j’amène avec moi,  ils sont dans mon sac à dos, celui que papa m’a offert pour mes huit ou neuf ans.  Il est toujours en très bon état. 

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