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Michel ZORDAN présente des extraits de ses romans. Il se laisse également aller à quelques réflexions sur l’actualité.

21 Jan

Gaillard, seigneur de Saint-Cirq

Publié par Michel Zordan  - Catégories :  #le seigneur de Saint-Cirq, #Michel Zordan, #Un auteur du Sud Ouest

Je me présente, Gaillard de la Popie, né à Saint-Cirq le 6 mars de l’an 1253. Fils de Galhard de la Popie et d’Ermengarde de Cardaillac. Je suis le benjamin, le petit dernier d’une famille....

 Franchissant la porte,   je  m’apprêtai  à  sortir lorsque  je compris que l’homme en charge de l’attelage devait être un débutant.  Il avait un mal fou à faire reculer  la charrette chargée de barriques. Sa gestuelle, ses ordres ne correspondaient absolument pas à ceux habituellement usités. Lorsque celle-ci  butta sur le muret du puits, tout se passa très rapidement.  Une douzaine d’hommes en armes s’éjectèrent des fûts. Aussitôt l’un des moines me cria.

 

  Gaillard sauve-toi, sauve-toi vite !  

 

Je restai comme pétrifié, impossible de réagir.  C’est frère Sylvestre m’agrippant par l’épaule,  me tira vers l’intérieur. Très rapidement, il referma la porte, la bloquant d’une lame de bois sur le travers.

 

  Ici tu es en sécurité, n’en bouge surtout pas. Veuille sur les Trappes, moi je vais donner la main aux autres.  Referme vite derrière moi !

 

Le moine  déplaça une caisse de fromage mis au rebut et ouvrit une trappe au sol. Puis il disparu.  Je refermai aussitôt, mais rouvris l’instant d’après, partant sur les traces du frère Sylvestre.  Descendant une échelle, j’accédai à un tunnel, tout  juste éclairé par l’ouverture. Il se poursuivait de part et d’autre, peut-être vers les caves. Mais à droite à une vingtaine de pas,  un fragment de lumière, de la poussière entre deux planches et des bruits de combats indiquaient que des choses sérieuses se passaient là-dessus. Je m’avançai,  montai discrètement le petit escalier, puis m’aidant de la tête et des mains je soulevai légèrement la trappe. Dans la cour les moines ne s’en laissaient pas conter.  Mais où donc avaient-ils pu trouver aussi rapidement des armes ?  Et qui leur avait apprit à s’en servir aussi efficacement ?  Un des assaillants gisait déjà  au sol.  De mon observatoire je n’avais pas de vue d’ensemble et je fus tenté de relever un peu plus la trappe, pour mieux profiter du spectacle. À moins de deux pas, la bataille faisait rage. Dans sa robe de bure le père Sylvestre en faisait voir de toutes les couleurs à l’un des assaillants qui se demandait sûrement dans quel guêpier il s’était fourré.  Le duel se déplaça légèrement,  mais  le cliquetis des lames m’incita à ouvrir plus encore la trappe, pour profiter plus encore.  Lorsque j’aperçus des assaillants arrivant en renfort par le portail  resté ouvert,  je criai à mes amis.

 

  Attention, à la porte !  

 

Immédiatement ce fut la ruée sur les nouveaux arrivants dont la plupart furent rapidement refoulés. Enthousiasmé par l’efficacité de mes amis, j’en perdais toute prudence.  Au même instant je ressentis un choc violent au niveau du crâne. La trappe s’était refermée, et je me retrouvai tout au fond, groggy, les fesses sur la terre battue. Je portai la main au cuir chevelu,  une grosse bosse naissait. Puis du sang  commença à s’écouler.  Au-dessus la bataille se poursuivait,  sans attendre je me relevai et remontai le petit escalier.  Je poussai sur le trappe, mais impossible de la décoller. J’insistai, mais rien n’y fit. Je compris alors que le sang ne provenait pas de mon crâne, mais de la trappe. Un homme, sûrement occis devait la bloquer.  Je repartis dans l’autre sens, remontant dans la salle de démoulage.  J’ôtai alors la barre de bois,  ouvris légèrement la porte et passai discrètement mon museau dans l’ouverture. Dans l’instant la porte m’échappa, bousculé par un assaillant et je me retrouvai de nouveau les fesses au sol. L’homme se présentait un coutelas dans une main, une épée dans l’autre.  Son visage menaçait,  un sourire en forme de rictus en disait long sur ses intentions. Heureusement,  je me rappelai les leçons d’Artix le maître d’armes du clan des Ogres. Sans hésitation je me projetai entre ses jambes et me propulsai dans l’entrée. J’étais déjà dehors, remontant l’escalier vers la terrasse.  Arrivé  tout en haut,  me retournant, j’aperçu l’homme sur les premières marches.  Deux solutions s’offraient à moi.  Soit je m’enfuyais et retournai vers les appartements d’Alayde, avec le risque que le malandrin m’y suive. Soit, je faisais face.  J’avisai alors un petit tas de bûches posé à même le plancher à moins de deux pas. Sans plus réfléchir j’en saisissais une, et lorsque l’assaillant arriva à portée,  je lui jetai au visage. Juste pour le déstabiliser.  L’homme tenta de l’esquiver, puis il tanga vers l’arrière, puis vers l’avant, puis encore vers l’arrière. Mais l’équilibre était rompu et il dégringola jusqu’en bas. Le frère Hugues ne lui laissa pas  le loisir de se relever.        

 

À peine me retournais-je qu’un deuxième assaillant surgissait de je ne sais où.  Je grimpai l’escalier jusqu’au deuxième étage, puis sans trop réfléchir, je sautais  dans la caisse du monte charge, tirant sur la chevillette pour la dégager. Sur la pente très raide, la tyrolienne s’élança, d’abord lentement. Avec l’intention de s’agripper à l’arrière, l’assaillant sauta de la terrasse, malheur lui en prit. D’un coup de pied sur la seule main qu’il avait assuré, je lui fis  lâcher prise. Beuglant comme un veau, il s’écrasa tout au fond dans la cour. L’engin prit rapidement une vitesse folle, et j’étais bien persuadé  de m’éclater à l’arrivée. Mais grâce à l’ingénieux système de freinage mis au point par l’ingénieur Imad,   la caisse s’arrêta à moins de trois coudées du sol, pour terminer son chemin au ralenti.  Un nouvel agresseur se précipita alors vers moi. J’avais l’impression d’attirer l’ennemi aussi sûrement que le miel attire les frelons.  Heureusement  je savais comment le système fonctionnait. Très rapidement je tirai sur une manette et je fus propulsé vers le haut sous les yeux ébahis du « frelon » qui s’écroula sous le coup de massue de frère Sylvestre.   Encore mille fois merci Seigneur Imad.

 

  Gaillard, je t’avais dit de rester surveiller les fromages !

 

Lorsque je vis la lourde porte de la cour se refermer,  je compris que la première partie était gagnée.  L’instant d’après Alayde apparaissait à coté de moi, me prenant dans ses bras.

 

  Gaillard mon petit, tu vas bien, j’étais très inquiète pout toi.  Devant ils sont partout, mais ils n’ont pu pénétrer dans la maison. La porte d’entrée est très résistante,  mon aïeul avait bien pensé.  Dieu merci, vous les avez repoussés ! 

 

Du sang apparaissait sur la robe de bure de frère Eudes, et de frère Hervé,  mais cela ne me semblait pas très sérieux.  Au sol, trois assaillants occis. Trois autres étaient prisonniers.  Les malandrins n’avaient pas fait le poids, mais qui étaient-ils ?  S’attaquer à des moines, s’était comme s’attaquer au Seigneur Tout-Puissant. Ce n’était pas monnaie courante,  qui avait eu cette audace, et pourquoi ?  Le jeu devait en devoir la chandelle,  mais quel était-il ?

 

Heureusement, les assaillants s’étaient présentés peu nombreux. Escomptant certainement sur l’effet de surprise, mais la surprise avait été pour eux.  Dehors  une centaine d’hommes armés avaient investis l’espace, faisant le siège.  Deux à trois questions me virent tout de suite à l’esprit. Qu’allions nous devenir ?  Comment allions-nous survivre ? Nous avions de l’eau grâce au puits dans la cour et de la nourriture en abondance. Enfin surtout du fromage, mais aussi quelques pourceaux, lapins et volailles, mais qui pourrait nous venir en aide ?  

 

Je pus enfin comprendre la façon dont les moines avaient apprit à se battre. Frères  Sylvestre et Renoul avaient participé à la septième croisade. Guerroyant  en Terres  Saintes de 1248 à 1254. À leur retour,  amenant avec eux Imad,  le sarrasin ingénieur malade,  ils rejoignaient la communauté des frères prêcheurs,  et leurs inculquaient le maniement des armes.  Armes dissimulées un peu partout dans les ateliers dans l’intention bien évidente de repousser une éventuelle attaque.

 

À plusieurs reprises dans la journée, les assiégeants tentèrent, mais très timidement de donner l’assaut. Grâce à quelques flèches et quelques coulées d’huile bien chaude les moines les repoussèrent sans trop de difficultés. Je repensai alors au tunnel emprunté dans la matinée, ou donnait-il  exactement ?  Dans les caves, sûrement, mais peut-être aussi ailleurs !

 

  Frère Hugues, le tunnel, il donne où ?

 

  Il donne dans les caves, mais d’après les plans que nous avons retrouvés, il devait aussi conduire au château de Bergerac.  Il n’a jamais été terminé et ne dépasse pas l’enceinte de cette maison. Nous devons compter sur la providence, et la providence pourrait venir du clan des ogres. Ils sont sans aucun doute informés de la situation, et doivent chercher une solution. Nous allons les aider en priant le Seigneur.

 

À l’extérieur les hommes qui formaient le siège ne semblaient plus guère vouloir attaquer. Ils attendaient patiemment que la grande maison se vide de sa nourriture et que les assiégés se rendent. Dans ma tête toujours plus de questions affluaient en désordre. Adémar Fulbert pensait-il réellement que je pouvais être Hugues, l’enfant d’Alayde,  Marguerite de Turenne, la  Dame de Bergerac ? Et pourquoi avait-il été amené, et il n’était sûrement pas le seul,  à penser ça ? Hugues était mort,  ensevelie quelque part par les nones du couvent des Jacobins, réfugiées aujourd’hui à Monflanquin. Et Alayde, pourquoi s’était-elle laissé convaincre d’entrer dans ce jeu ?  Juste pour se venger du prévôt, Adémar Fulbert ?  Et si le prévôt avait de bonnes raisons de croire qu’Hugues n’était pas mort, mais recueilli, soigné par les sœurs, et peut-être confié à une famille ?  C’était peut-être pour cette raison que les sœurs avaient été chassées du couvent des Jacobins ?  Et maintenant quel était le plan du clan des ogres pour nous sortir de cette situation ?  Je posai la question à Alayde, aux frères Hugues et Sylvestre, mais je n’obtenais que de vagues réponses.  J’avais l’impression que l’épilogue était déjà écrit, et que nous attendions patiemment sa mise en oeuvre. 

 

Cela faisait maintenant presque deux  semaines que nous étions assiégés,  mais toujours pas de nouvelle des Ogres.  Pour la bonne cause, celle de nourrir les occupants de la maisonnée, deux pourceaux étaient passés de vie à trépas.  Je n’osais pas poser de question à Alayde concernant son enfant,  Hugues.  Et Mahaut, depuis quand servait-elle la Dame de Bergerac ? 

 

Au couvent des jacobins les moines,  ne pouvant plus fabriquer de fromages,  passaient le plus clair de leur temps à prier et à s’occuper à l’affinage. Bientôt un troisième pourceau fût sacrifié.

 

Un matin, un émissaire du prévôt demanda à être reçu. En fait d’émissaire il s’agissait d’un anglais, envoyé du roi Henri III.  Alayde, Margueritte de Touraine  le reçu.  Quelques instants après  son départ,  je pus discuter avec la Dame. Le prévôt avait mordu à l’hameçon et ses alliés anglais également.  Tous étaient persuadés que j’étais Hugues,  le fils de Margueritte de Turenne, la Dame de Bergerac. Pour eux,  Hugues, même s’il n’était pas le fils de Renaud de Pons était bel et bien l’héritier direct des Turenne.  J’avais beaucoup de mal à comprendre les motivations des Anglais. Que voulait-il exactement ? Alayde resta très évasive sur ce point, et le siège se poursuivit.  De qui pouvions-nous espérer de l’aide ?  Du clan des Ogres ?  Je ne voyais pas comment ils auraient pu chasser  les belligérants.    Et Altiq, qu’était-il devenu ?  Odard l’avait chargé d’aller rencontrer ma famille pour négocier mon retour à Saint-Cirq.  Mais  avait-il  trouvé son chemin ?

 

 Dans l’après-midi je me rendis chez les moines. Je les trouvai fort occupés, non pas à la prière,  mais à la fabrication de flèches.  Je sentais chez eux comme une effervescence inhabituelle.  Mais où donc avait-il trouvé le bois de viorme ?  Dans l’un des petits ateliers donnant sur la cour, frères Helgaud,  et Renoul s’activaient  autour d’une petite forge, martelant des pointes. J’avais l’impression de ne pas être tout à fait  informé de la situation réelle ! 

 

  Frère Sylvestre, pourquoi tout ce remue-ménage ?   

 

 Je ne vois rien ici qui soit remue-ménage.  Notre réserve  de flèches était au plus bas, et depuis que nous ne pouvons plus fabriquer notre Trappe, nous avions tendance à fainéasser. Il est grand temps de nous secouer, de ne pas nous laisser aller.  Dieu Tout-Puissant nous a dicté cet exercice. 

 

  Mais le bois, vous l’avez trouvé où ?  À part pour le chauffage, quelques planches et bastings, je ne vois rien d’autre ici !

 

– Il était rangé, bien au sec, dans un grenier.  

 

Je fis mine de le croire, mais j’étais quand même très septique.  Je proposai ma contribution. Et je fus affecté à la mise en place de l’empennage. Puis à l’affutage des lames de pointe.  Arrivé la nuit, plus de deux cent trais étaient fin prêt.  Certains pas très droits, les plumes pas très bien ligaturées pour d’autres, mais pour le combat qu’ils auraient à mener cela était bien suffisant. Rentré dans les appartements d’Alayde, sans trop en avoir l’air, je reparlai du travail de l’après-midi.  Mais rien dans l’attitude de la Dame, ni même dans celle de Mahaut ne laissait présager une attaque imminente des belligérants. Peut-être le frère Sylvestre m’avait-il dit la vérité,  mais peut-être pas. Le lendemain je retournai au couvent et les moines poursuivaient leur labeur, s’entrainant même au tir. J’étais maintenant persuadé que quelque chose de très important allait se produire dans les jours à venir. Je donnai la main, sans poser de question. Tirant même quelques bonnes flèches qui me valurent les applaudissements de l’auditoire. Il est vrai qu’à Saint-Cirq, le tir à l’arc faisait partit de notre éducation.  Un petit détail m’interpellait.  La réserve d’huile de noix,  utilisée bouillante pour repousser les quelques timides tentatives d’assaut n’avait pas été renouvelée.  Dans la vaste cour, juste un fond de bac, mais les grands fûts se tenaient  dans les caves.  Ce n’était donc pas pour repousser une attaque que les moines se préparaient, mais bel et bien pour attaquer la troupe des assaillants. Attaquer les assaillants, mais dans quelles conditions ?  Je ne voyais pas une trentaine de moines,  même très aguerris et  bien armés faire une sortie avec l’espoir de défaire plus de deux cent soldats très bien armés également.  Il y avait donc une autre explication.   Peut-être l’arrivée de renforts ? Ces renforts ne pouvaient-être que les ogres d’Odard,  mais sûrement pas seuls !  Le soir, lorsque je rejoignis Alayde, son comportement était plein de contradiction.  Je la sentais inquiète, mais également euphorique, dans un état proche de l’enthousiasme.  J’étais maintenant persuadé que quelque chose de déterminant allait se jouer dans un temps très proche.   Je dormais très mal, me réveillant sans cesse, abordant des phases agitées, ne sachant plus si les situations étaient réelles, rêves  ou cauchemars.  Et lorsqu’enfin au petit matin, je réussissais enfin à m’endormir c’est un brouhaha extérieur qui me réveilla.  

 

La fenêtre de ma chambre donnait sur une courette,  avec vue directe sur l’arrière de l’une des deux tours crénelées. Je ne voyais rien de très particulier sur cette tour, mais j’étais certain qu’il se passait des choses  à l’extérieur, autour de la maison forte.  Sans attendre,  m’habillant rapidement,  je descendis l’escalier, ressortis dans la petite cour et remontai promptement dans la tour par l’escalier à vis.  Arrivé presque tout en haut, j’aperçu frères Hugues et Hervé.  Tous deux armés d’un arc, ils scrutaient  l’extérieur d’où montait les rumeurs. Eux aussi m’aperçurent.

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