Le seigneur de Saint-Cirq
Contes et légendes ? Dans ce récit, fiction et histoire se mêlent et s’entremêlent… Je me présente, Gaillard de la Popie, né à Saint-Cirq le 6 mars de l’an 1253. Fils de Galhard de la Popie et d’Ermengarde de Cardaillac. Je suis le benjamin, le petit dernier d’une famille....
Episode 10 - Ce matin Alayde décida de retourner au marché, toujours en milieu de matinée. De nouveau je repérai les ogres en action. Cette fois ce fût un jeune seigneur accompagné de sa donzelle, qui se fit délester de sa bourse. La technique de ces petits bonhommes était imparable. Pendant que l’un d’eux amusait la belle, lui offrant des fleurs sorties d’un chapeau, l’autre boursicotait le godelureau et disparaissait daredare dans la foule. C’est lorsque les hommes du prévôt sur leur monture s’approchèrent de nous, sûrement intrigués par le voile dissimulant Alayde, que je sentis sa main presser fortement la mienne. Tout le temps que Mahaut passa à discuter le prix d’une poularde avec le marchand, ils restèrent là à nous observer. Nous faisant bien comprendre que nous étions les concernés. Dès qu’ils eurent disparus, Alayde et moi repartîmes vers la maison. À peine arrivé, la Dame fondit dans un torrent de pleurs. Assis à coté d’elle je tentai de la consoler, mais son désarroi était grand. Surement identique à celui de ma mère lorsqu’elle avait apprit mon enlèvement. Puis Alayde se mit à parler, je sentis véritablement son envie de se soulager.
– Ce sont ces infâmes voyous qui me l’ont prit. Le prévôt Adémar Fulbert, ne l’était pas encore, mais c’est lui qui a commit cette ignominie. Ce n’était encore qu’un bébé, à peine quelques semaines. J’avais vingt ans, j’aimai un jeune homme, Guillaume, Guillaume Ascelin. Il était écuyer de Renaud de Pons, le Seigneur de Bergerac. Je…
Elle s’interrompit lorsque Mahaut arriva.
– Dame Alayde, il ne faut point raconter cette histoire, Gaillard n’est qu’un enfant. Il ne peut pas tout comprendre. Un des hommes du prévôt m’a suivi, mais je l’ai semé.
– Dame Alayde, je ne suis qu’un enfant mais j’ai besoin de comprendre. Vous pouvez tout me dire, je ne raconterai rien, promis.
– Tu as raison Gaillard, je vais tout te dire. On t’a enlevé à ta maman, et je sais ce qu’elle doit endurer en ce moment… J’avais vingt ans, j’aimai un jeune homme, Guillaume, Guillaume Ascelin. Il était écuyer de Renaud de Pons, le Seigneur de Bergerac. Le malheur était que j’avais déjà été promise à un homme, et cet homme n’était autre que Renaud, le seigneur de Bergerac. Avec Guillaume, nous nous aimions en secret, mais au mois de juin 1251, contrainte et forcée j’épousai Renaud. Quelques mois plus tard, Renaud fut fait prisonnier par les anglais parce qu’il refusait l’hommage au Roi Henri III pour les terres qu’il avait reçu en dot de notre mariage, celles de Bergerac et de Gensac. Exilé en Angleterre, je n’eu aucune nouvelle de mon époux durant plusieurs années. Je trouvai le réconfort en la personne de Guillaume et lorsqueje compris que j’attendais un enfant, celui de Guillaume bien sur, nous avons pris la décision de nous enfuir. Je voulais rejoindre une tante en Gascogne, Vianne de Gontaut-Biron. Elle habitait le château de Montgaillard passé la Garonne. Malheureusement, nous avons rapidement été rattrapés. C’est Adémar Fulbert, l’homme aujourd’hui prévôt de cette ville qui commandait la troupe, une vingtaine d’hommes. Je n’ai vraiment jamais su qui les avait envoyés à notre poursuite, sûrement les Anglais. Ou alors c’est Adémar Fulbert, lui-même qui en avait prit l’initiative. Bien vite Guillaume fût fait prisonnier. Adémar Fulbert l’obligea à s’agenouiller et il le décapita devant moi. Cet homme est d’une cruauté sans limite, ce fût horrible, jamais je ne pourrais oublier ça. Je fus conduite directement au couvent de Cadouin. J’y restai cloitrer jusqu’à la naissance du bébé. Après on m’accompagna ici, dans cette maison qui appartenait à mon père, Archambaud de Turenne. Je ne pouvais pas en sortir. Un jour je reçu un message secret. Une certaine personne me proposait de m’accompagner en Gascogne chez ma tante, Vianne de Gontaut-Biron. Je pourrais y vivre en toute sécurité et Hugues mon enfant, pourrait s’y faire baptiser. Rendez-vous fût donné au milieu de la foule sur le marché. Avec tout ce monde, c’était parfait pour ne pas se faire remarquer. Je trouvais le moyen de m’y rendre, dissimulé par un voile, emportant mon bébé dans une couverture. Sur place je rencontrai facilement l’homme qui devait m’aider. Mais avant même de quitter le marché, Adémar Fulbert surgit sur son destrier, et se saisit de mon enfant. Au même instant son cheval prit peur, il se cabra et Adémar Fulbert échappa mon bébé qui tomba au sol. Dans la cohue qui s’en suivit, je réussissais à reprendre Hugues et à m’enfuir. Pas pour longtemps, rapidement on me retrouva et je fus conduite de nouveau ici. À peine dans ma chambre je constatai que mon bébé avait cessé de respirer. Les sœurs du couvent des Jacobins le prirent en charge, mais elles ne purent le ramener à la vie. Elles se chargèrent de l’ensevelir, mais jamais je ne sus où. Pour moi c’était la fin, je me laissai dépérir. Quelques semaines plus tard on m’annonça que je partais pour Biron dans un fief appartenant à ma tante, Vianne de Gontaut-Biron. À Biron je fus très bien entouré, la chambrière de ma tante, Aléide Valdemarétait d’une bonté exquise. Un an plus tard, on m’a convaincu de reprendre ma place au château de Bergerac et de faire semblant. C’est à ce moment que j’appris que les sœurs du couvent des Jacobins avaient été chassées. Elles avaient trouvées asile dans un autre couvent du coté de Monflanquin. La raison, je ne la sus jamais vraiment ? Peut-être parce qu’elles s’étaient occupées du corps de mon petit Hugues. Mon époux était toujours prisonnier des anglais, qui me harcelaient sans cesse. Malgré l’intervention du Roi de France, Louis IX, je dû me résigner à hommager tous mes biens en faveur du roi d’Angleterre. La libération de mon époux Renaud en dépendait. Il y a quelques semaines un homme est venu me rendre visite, au château de Gensac. Un petit homme du nom d’Odard. Il m’a expliqué qu’Adémar Fulbert devenu prévôt de Bergerac lui causait du tort, beaucoup de tort. Mais je crois qu’Odard à des griefs autres que pécuniaires envers cet homme. Le chef des ogres avait entendu parler de mon histoire, et il m’a aussi parlé de toi. Il pense que tu été enlevé sur ordre des anglais, pour obliger ton père et ta famille à hommager en faveur du roi d’Angleterre. Je sais que vous avez hommagé en faveur du comte de Toulouse, et ça ne plait pas du tout aux anglais. L’enlèvement et le chantage c’est leur méthode. Ici en Périgord, ils trouvent de nombreux alliés, mais en Quercy les choses sont bien différentes. C’est pour cela qu’ils n’ont pas agit ouvertement. Après, tu as eu la chance de tomber sur Altiq. Il avait une dette envers Odard, une erreur faite il y a bien longtemps. En t’emmenant avec lui, il pensait pouvoir la payer, et il a eu raison. Odard l’a envoyé dans ta famille pour la rassurer et négocier ton retour. Une petite prime pour t’avoir tiré des griffes des anglais. L’idée d’Odard est d’intriguer Adémar Fulbert, de lui donner l’illusion que je suis de retour à Bergerac, avec mon enfant bien vivant et de l’attirer ici même. Après, les ogres s’en occuperont, et je suis persuader qu’ils vont l’occire sans l’ombre d’une hésitation. L’important est de faire en sorte que personne ne puissent les soupçonner. Voilà Gaillard, tu sais à peu près tout. Nous allons jouer la comédie encore quelques jours, nous rendre au marché régulièrement. Puis lorsque cette affaire sera terminée, les ogres te raccompagneront chez toi.
– La Dame de Bergerac, celle qui a fait don du couvent, c’est bien vous alors ?
– Oui, c’est bien moi, mais il est important que tout le monde l’ignore. Mon vrai nom c’est Margueritte de Turenne, mais pour tous je suis Alayde.
– Mais après, vous allez faire quoi ?
– Après je retournerai à Gensac, jouer mon rôle de gente Dame.
Deux jours plus tard nous retournâmes sur le marché. À plusieurs reprises Mahaut joua de la voix, rouspétant après les marchands qui proposaient, soit des produits de mauvaises qualités, soit des prix prohibitifs. Personne ne semblait trop faire attention à nous. Comme d’habitude, Alayde et moi rentrions les premiers. Cela permettait à Mahaut de surveiller nos arrières. Ce jour là, rien à signaler. Je passai une bonne partie de l’après-midi chez les frères prêcheurs. Les aidant dans leur tâche, portant des seaux, touillant dans les grands bacs pour bien mélanger la présure afin d’obtenir le caillé parfait. S’en suivait l’étape du moulage. Tout en dessous, dans les caves des milliers de fromage s’affinaient, attendant le bon moment pour être déguster. Avec de longs pinceaux, des moines imprégnaient la croûte d’une huile de noix très parfumée. À la nuit tombée, repartant par la terrasse intérieure et les couloirs, j’emportai une savoureuse et odorante Trappe de Bergerac. Après le souper, avec Alayde nous lisions quelques pages de l’ouvrage de Pierre Abélard. La Dame de Bergerac tenta de m’expliquer le sens des mots et des phrases, mais cette lecture me semblait fort compliquée. Durant plusieurs jours nous nous rendîmes au marché, et même à la grande foire de fin de mois. Adémar Fulbert ne semblait pas s’intéresser à nous.
Comme d’habitude, en début d’après-midi je filai chez les moines. Je m’investissais de mon mieux, mais la tâche qui m’intéressait le plus, c’était le démoulage. La naissance du fromage en quelque sorte. La croûte n’était pas encore bien définie, mais le frère Sylvestre, en charge de cette étape essentielle, avait l’œil, la main et le nez très sûrs. Il scrutait le prétendant, le retournant délicatement, humant son fumet. Au moindre petit défaut, le fromage était écarté et finirait comme nourriture pour les pourceaux que les moines élevaient. Le démoulage avait lieu en début de matinée, sur une longue table étroite dans une salle toute en longueur. De la cour on y accédait par une étroite ouverture bâtit en voûte dans l’épaisseur du mur. Depuis plusieurs jours, je me levai de bonne heure afin d’y participer et de tenter de comprendre. Après le vin des moines de Saint-Cirq, c’était le fromage des moines prêcheurs. Puis de la cour une voix se fit entendre.
– Gaillard, le livreur de lait vient d’arriver, tu vas nous aider pour le transvasement.
Franchissant la porte, je m’apprêtai à sortir lorsque je compris que l’homme en charge de l’attelage devait être un débutant. Il avait un mal fou à faire reculer la charrette chargée de barriques. Sa gestuelle, ses ordres ne correspondaient absolument pas à ceux habituellement usités. Lorsque celle-ci butta le muret du puits, tout se passa très rapidement. Une douzaine d’hommes en armes s’éjectèrent des fûts. Aussitôt l’un des moines me cria.
– Gaillard sauve-toi, sauve-toi vite !