Le seigneur de Saint-Cirq
Contes et légendes ? Dans ce récit, fiction et histoire se mêlent et s’entremêle… Je me présente, Gaillard de la Popie, né à Saint-Cirq le 6 mars de l’an 1253. Fils de Galhard de la Popie et d’Ermengarde de Cardaillac. Je suis le benjamin, le petit dernier d’une famille....
Episode 7 - Après les prières du matin, nous poursuivîmes vers l’aval, et nous arrivâmes en vue d’un pont. Personne à l’horizon, nous nous approchâmes. Une petite inscription indiquait la direction d’un moulin sur La Bave. Peut-être cette petite rivière se nommait-elle La Bave ? Je ne connaissais pas d’affluent du Lot de ce nom, mais j’étais loin de connaître tous les affluents du Lot. Puis d’un coup, Altiq me harponna par le bras, sautant dans l’eau, m’entrainant avec lui. Heureusement le niveau n’était pas très haut, juste un peu au-dessus de la taille.
– Des chevaux arrivent, cachons-nous là dessous !
Quelques instants plus tard cinq à six cavaliers passaient sur le pont, sans même ralentir.
– Tu crois qu’ils sont à notre recherche ?
– Peut-être, mais peut-être pas ! L’important est que personne ne nous voit. Nous allons poursuivre nous tenant loin du chemin.
À quelques cent pas devant nous, une chaumière. Et peu sur le côté, une étable avec peut-être une vache ou deux et dans le parc un troupeau de chèvres. Sur le toit de la fumée. La vilaine était sûrement en train de préparer le repas du midi.
– Ça te dirait un repas chaud ?
– Tu veux que l’on aille dans cette maison faire l’aumône ?
– Qui t'as dit que je voulais mendier ! N’oublie pas que je suis un voleur, un détrousseur de grand chemin. J’ai été formé par les plus grands. Non, je vais entrer dans cette bâtisse et chaparder notre repas. Peut-être y trouverais-je navets, panais, ou topinambours ? Et pourquoi pas un morceau de pourceau ou même de bœufs ?
L’idée d’Altiq était d’entrer dans l’étable de libérer une vache ou deux et de les apeurer. Elles ne manqueraient pas de s’enfuir, démolissant au passage la frêle barrière, libérant du coup le troupeau de chèvres. Après il suffisait d’attendre que la fermière sorte pour rattraper ses bêtes. Sans hésiter Altiq entreprit de mettre des actes sur ses paroles, m’entrainant avec lui. Dans l’étable se trouvaient trois vaches et un veau. Sans la moindre appréhension il détacha la première, puis la deuxième et enfin la troisième. Puis il se saisit d’une fourche et frappa sèchement l’arrière train de l’une d’elles. La bête fonça vers la sortie et comme prévu embarqua dans son élan la barrière. Altiq récidiva avec la deuxième, la troisième ne demanda pas son reste. Le troupeau de chèvres suivit, et bientôt tous les animaux gambadèrent autour de la chaumière. Avant dernière partie du plan, attendre derrière la chaumière. Très rapidement la vilaine sortit, maugréant, rouspétant après les fugueuses, mais laissant sa porte ouverte.
– Toi tu restes ici, je retournerais dans un instant.
Pataud boitillant, mais rapide, Altiq pénétra dans la chaumière. La femme était très bien occupée et ne risquait pas de revenir de sitôt, mais j’étais quand même anxieux. Le temps me semblait interminable, enfin Altiq réapparu soulevant en signe de victoire un baluchon improvisé dans sa main droite.
– Nous avons eu la main heureuse, mais faut pas traîner dans le coin !
Après une demi-lieue, mon compagnon jugea qu’il était maintenant temps de profiter du larcin. Le bougre n’avait pas fait dans le détail. Versant carrément dans un grand torchon la belle poularde et ses légumes qui mijotaient dans le chaudron. Il n’y avait plus de jus, mais le solide me paru très appétant.
– Le repas de Monseigneur est avancé.
– Merci Seigneur de nous avoir permit de trouver ce repas. Je vous promets que lorsqu’nous serons rentrés chez moi, nous nous confesserons et nous ferons pénitence. Amen.
– Tu crois vraiment que sur ce coup là, le Tout-Puissant est intervenu ?
– Altiq, le Tout-Puissant voit tout et entend tout. Lorsque tu as commencé à prier, c’est lui qui t’as guidé pour nous enfuir. Il t’a même soufflé l’idée. Et aujourd’hui c’est encore lui qui t’a inspiré et qui a permis que tu réussisses. Et si dans l’étable il n’y avait pas eu de vaches, et dans l’enclos des chèvres tu n’aurais pu rien faire.
– Mais alors, c’est aussi lui qui a permis aux malandrins de t’enlever ?
– Non, ça c’était le diable. Mais le Tout-Puissant a contrecarré ses plans, et a permis que je te rencontre et que je t’apprenne des prières. Après tu as été inspiré par lui. Tu es sorti de cette vie de malandrin en me proposant de m’aider à m’enfuir. Tout en m’accompagnant pour veiller sur moi. C’est encore lui qui t’a soufflé l’idée de suivre le premier ruisseau, pour arriver à ma rivière, le Lot. Tu vois, c’est très simple, avec la foi tu arrives à tout.
La poularde était à point, et les légumes aussi. Avec ce qu’il restait, nous pourrions encore faire le repas du soir. Une pomme pour faire passer le tout, et nous repartîmes. Lorsque nous arrivâmes en vue de la grande rivière, je constatai que les paysages n’avaient rien de commun avec ceux de Saint-Cirq. Nous devions être, soit loin en amont, soit loin en aval. Devions-nous remonter la rivière que je supposai être le Lot ? Ou au contraire, suivre le courant qui me paraissait bien plus fort qu’à Saint-Cirq. Altiq prit la décision.
– Nous allons suivre le courant, il sera toujours temps d’aviser lorsque nous saurons où nous sommes.
En fin d’après-midi nous passâmes en vue du village de Carennac. Je ne connaissais pas ce nom, Altiq non plus. À la sortie d’un bocage, le long d’un pacage, à flanc de colline nous aperçûmes une petite cabane toute faite de bois. C’était moins confortable que celle de la veille, la porte fermait mal, mais au moins nous ne dormirions pas dehors. Nous mangeâmes les restes de poulardes et de légumes. C’était froid, mais très bon quand même. Bien meilleur que les légumes et le peu de viande crus que nous avions emporté. Il faisait encore nuit lorsque des bruits, mêlés de quelques voix se firent entendre. C’était tout proche, puis ils s’éloignèrent. Les faits se reproduisirent une nouvelle fois. J’étais un peu inquiet, Altiq pas.
– Il doit y avoir une route très proche. C’est un attelage de bœufs, il va plus doucement. Le premier était sûrement tiré par des chevaux. Il doit y avoir une ville ou un gros bourg dans les parages. C’est sûrement jour de foire, nous allons y aller, j’aime bien les foires.
– Mais les malandrins qui nous recherchent y sont peut-être aussi !
– Peut-être, mais il y aura foule, nous passerons inaperçus.
Je savais pourquoi Altiq voulait aller à cette foire, sûrement pour délester quelques badauds de leur bourse. Ma prière du matin fut plus longue que la veille. J’expliquai au Tout-Puissant qu’il nous fallait un peu d’argent pour éviter de toujours être obligé de dérober notre nourriture. Je l’implorai afin qu’il nous permette de dérober deux bourses au plus, sans nous faire prendre.
Effectivement à quelques pas de l’autre coté de la colline, un chemin assez large descendait vers la vallée. Sans hésiter, nous le suivîmes. Après une demi-lieue nous abordâmes un gros bourg, presque une ville, sur un panneau je pus lire, Floirac. Je ne connaissais pas. Le jour était déjà haut, et le chaland déjà très dense. Aujourd’hui la ville vivait à un rythme effréné. Marchands ambulants, et paysans proposaient sur leurs étals, volailles et charcutailles, quartiers de pourceaux, fruits et légumes de saison. Sur le pavé, saltimbanques, gueux, vilains et troubadours, filles légèrement vêtues, manants et marauds de tous poils. Quelques gentes dames se pressaient ici et là. Lorsqu’Altiq me fit signe, le bougre avait déjà œuvré.
– Attention compagnon, pas plus de deux, sinon le Tout-Puissant ne comprendrait pas.
Altiq récidiva sans même que je puisse le voir. Très habile le sacripant. Nous déambulâmes dans les rues, nous attardâmes devant un spectacle de marionnettes. C’était la première fois que j’en voyais un, j’étais fasciné par le jeu. Altiq me tira par la manche, nous ne devions pas rester trop exposés. Lorsqu’un un doux fumet titilla nos narines. À même la rue, devant la façade de l’auberge du Joyeux Pourceau, tenant compagnie à des brochettes de grives, deux pensionnaires farcis se laissaient gentiment rôtir. Le jus bien gras, dégoulinant sur des tartines de pain de seigle. Je m’en pourléchai les babines.
– Tu veux dîner à l’auberge ?
– Ça va coûter cher, nous ne pouvons pas ! Et puis ont pourrait se faire remarquer.
– T’inquiète donc pas, les malandrins ne nous rechercherons pas dans une auberge. Pour le reste, je vais arranger ça.
– Non, pas question Altiq, l’argent que tu as dérobé c’est pour la nourriture. Le Tout-Puissant ne comprendrait pas.
– Mais c’est bien avec les deniers larcinés que je compte ripailler. Allez viens, c’est sûrement la première fois que tu festoies dans une auberge !
C’était vrai. Altiq se faufila jusqu’au fond de la salle, et sans hésitation il s’installa, et moi face à lui. Ça parlait, ça allait et venait dans tous les sens, mais personne ne semblait faire attention à nous. Nous étions juste des clients ordinaires. Lorsque le serveur s’avança vers nous, Altiq mit l’une des bourses en évidence. Le serveur apporta aussitôt une cruche d’eau, une autre de vin, ainsi qu’une grosse miche de pain. Je m’apprêtai alors à réciter le bénédicité, Altiq me fit signe qu’il valait mieux éviter. Pour un repas, le Tout-Puissant comprendrait et nous pardonnerait. Puis il sorti sa dague et trancha la miche. Nous commençâmes par du pâté en croûte, et quelques grives farcies. Suivirent deux bons gros morceaux de pourceau farcis, sur des tranches de pains de seigle arrosées de jus bien gras. J’étais repu. Altiq termina par une part de tarte à la poire, puis il rota un bon coup. Lorsque nous nous retrouvâmes dans la rue, la foule était toujours aussi dense. Un détail mis Altiq en alerte. À moins de cent pas, quatre hommes armés à cheval, scrutaient les badauds. Il me tira par la manche et m’entraina vers une ruelle.
– Nous allons sortir et poursuivre par la campagne. Je ne crois pas qu’ils soient là pour nous, mais inutile de tenter le diable. Ce sont sûrement les sbires du prévôt, ils surveillent la foire, pour prendre les chenapans qui larcinent et boursicotent. Nous n’avons rien à voir avec ça, puisque nous avons la bénédiction du Tout-Puissant.
Mon estomac était lourd comme une pierre, et je suivais mon compagnon d’infortune comme un somnambule. Je n’étais pas très habitué à manger autant et peut-être aussi le peu de vin versé dans mon godet par Altiq. Nous avions quitté la grotte depuis quatre jours déjà, mais impossible de savoir où nous étions avec exactitude. Nous suivions la grande rivière de vue, sans être vraiment certain qu’il s’agisse bien de la mienne. Le temps revenait au froid, cette nuit il gèlerait. Il nous fallait donc trouver un abri adapté. Un peu avant la tombée de la nuit, Altiq repéra une étable, avec au-dessus un fenil. Par chance elle était détachée de la chaumière, distante d’une centaine de pas, nous devions prendre le risque. Le froid commençait à être vif. À pas de loup, nous approchâmes et grâce à l’échelle nous montâmes tout en haut. Une bonne chaleur montait des bêtes, enfoui jusqu’à la tête dans le foin, il faisait bon. Nous ne tardions pas à nous endormir. Lorsqu’Altiq me réveilla, trop tard, le vilain était déjà en haut de l’échelle, pénétrant dans le fenil. Il commença à tirer son foin, le faisant tomber par les trappes donnant sur les râteliers. Ce n’est que lorsqu’il eu presque terminé qu’il s’aperçu de notre présence, fixant d’un air ahuri nos têtes qui seules dépassaient. Son premier réflexe, un mouvement de recul. Puis il se reprit, jurant comme charretier, levant sa fourche, prêt à nous embrocher. Altiq le prit de vitesse, s’éjectant tel un diable sortant de sa boite, il fila droit sur lui. Voyant ce petit bonhomme brinquebalant foncer vers lui, le vilain hésita. L’esquivant au dernier instant, revenant à la charge par l’arrière, Altiq le bouscula. L’homme chuta.
– Gaillard, prends le baluchon et sauve-toi, vite !
Je ne demandai pas mon reste, et filai, jetant le baluchon au sol, descendant les barreaux deux à deux. À peine arrivé au bas, Altiq apparaissait déjà à la porte de l’étable. Il avait dû emprunter la trappe à foin et s’était retrouvé dans le râtelier. Avant de nous échapper, Altiq donna un bon coup de pied dans l’échelle, la faisait basculer.
– C’est dommage qu’il soit arrivé aussi vite, j’aurai bien bu un peu de lait chaud moi ! C’était marrant, non !
Tant que cela se terminait comme de cette façon, oui c’était plutôt marrant. Je n’avais maintenant qu’une idée en tête, connaître le nom de la grande rivière. Lorsque nous aperçûmes la ville de l’autre coté de la rivière, je proposai de nous y rendre.
– Non, il n’y a pas assez de monde, nous allons nous faire remarquer. En plus c’est le seul pont dans la contrée, il doit y avoir un péage. Si nos malandrins viennent poser des questions au gardien, il se souviendra de notre passage. Restons sur cette rive, c’est plus prudent.
Altiq avait raison, nous n’étions pas encore assez loin, nous devions prendre des précautions. Dans l’après nous arrivâmes en vue de Saint-Julien-de-Lampon. Il faisait froid, mais un peu moins que la veille au soir. Aujourd’hui nous n’avions mangé que des légumes crus et les deux dernières pommes. Une bonne soupe chaude, ça nous manquait, surtout par ce froid. Altiq hésitait, devions-nous nous rapprocher du bourg et festoyer dans une auberge. Nous avions les deniers pour ça, mais devions-nous prendre ce risque ?
– Non, une auberge c’est encore trop risqué. J’ai peut-être une solution. Tu m’as bien dit que la grande ville à coté de chez toi s’appelle Cahors. Voilà comment je vois les choses. Toi tu es le fils d’un petit commerçant, le dernier d’une fratrie de six enfants, tous bien portant. Ton père, pour remercier le Seigneur, a décidé que tu deviendrais prêtre. Il a reçu l’accord de Monseigneur l’Evêque. Il m’a chargé, de t‘accompagner jusqu’à la paroisse qui doit t’accueillir. Alors tu penses quoi de mon idée ? Il suffit maintenant de te trouver un nom.
– Ton idée c’est quoi au juste, tu veux raconter ce mensonge à qui ?
– Puisque le Seigneur a permit que je larcine quelques deniers, autant les utiliser en faisant en sorte qu’il en profite. Nous irons voir le curé du bourg, je lui ferais un petit cadeau et il nous hébergera pour la nuit. Alors mon idée, tu là trouves comment ?
– Pourquoi pas, je pourrais m’appeler Jean, Jean Bénac et nous arrivons du village de Gintrac. J’ai vu ça, plus en amont.
Comment cette idée avait-elle germé dans le cerveau du petit bonhomme ? Même si nos malandrins venaient jusqu’ici, ils n’auraient jamais l’idée d’aller s’informer chez un prêtre. Le bougre m’étonnait de jours en jours. Déjà lorsque nous avions joué aux dames, son apprentissage avait été très rapide. Peut-être trop rapide pour un cerveau qui se disait malhabile et lent. Arrivé devant la porte du presbytère, Altiq n’hésita pas. Une femme nous ouvrit, sûrement la bonne du curé. Mon compagnon récita le mensonge, et la femme nous fit immédiatement entrer.