Le seigneur de Saint-Cirq
Contes et légendes ? Dans ce récit, fiction et histoire se mêlent et s’entremêle… Je me présente, Gaillard de la Popie, né à Saint-Cirq le 6 mars de l’an 1253. Fils de Galhard de la Popie et d’Ermengarde de Cardaillac. Je suis le benjamin, le petit dernier d’une famille....
Episode 6 - Dans la matinée, conduit par l’homme qui m’avait amené, deux inconnus se présentèrent. Ils discutèrent un moment avec mon gardien, puis ils s’approchèrent, me dévisageant, mais ne s’adressant pas à moi. Je ne comprenais rien à leur langage, mais Altiq, apparemment si. Leurs vêtements de bonne facture étaient très différents de ceux d’Altiq. Leurs bottes semblaient en très bon état aussi. Leur chevelure bien mise et leur barbe bien taillée. Sûrement des gens importants, mais que faisaient-ils ici ? Qui étaient-ils et d’où venaient-ils ? Était-ce eux qui avaient commandité mon enlèvement ? Puis les deux hommes s’éclipsèrent.
Pour le repas de midi, ce ne fut pas un festoyer, mais je pus manger à ma faim. Dans un chaudron Altiq nous avait concocté une soupe épaisse, mélanges de légumes et même peu de viande.
– Dis-moi demi-portion, tu sais jouer aux dés au moins ? À la rafle tu sais jouer ?
J’avais déjà vu des dés, mais je n’y avais jamais joué.
– Non, mais tu pourrais m’apprendre !
– Il nous faut un enjeu. Si tu perds, c’est toi qui feras la soupe !
Le jeu était très simple, il s’agissait de trois dés à lancer. Celui qui obtenait le plus gros score, gagnait. Il suffisait de comptabiliser le nombre de parties gagnées. Altiq s’énervait un peu lorsque je gagnai, poussant même des jurons. L’après-midi passa assez rapidement. Ne pouvant se fier au soleil, Altiq considérait que le temps des repas, étaient celui de nos estomacs réclamant pitance.
– Dis-moi Altiq, tu es de quelle contrée ?
– J’ai pas de famille, je ne suis de nulle part.
– Tout le monde à une famille ! Et tu es bien né quelque part ? Comment es-tu arrivé jusqu’ici ?
– Je me souviens d’une chaumière, avec d’autres enfants. Je ne sais pas si c’était mes frères et mes sœurs. Il y avait aussi un homme et une femme. Tout le monde dormait dans la chaumière, moi dans l’étable. Puis un jour, des cavaliers sont arrivés et m’ont emporté avec eux. Je travaillai tout le jour, mais je mangeai à ma faim.
– Tu faisais quoi comme travail ?
– Dans une mine de fer. Avec ma petite taille, je pouvais passer dans les toutes petites galeries. C’était dur, mais j’étais bien nourri. Puis un jour, j’ai fait une chute, je me suis fracturé la jambe. Je ne pouvais plus travailler dans la mine, alors d’autres cavaliers, des malandrins sont venus me chercher. Ils m’ont appris à détrousser les gens sur les foires et les marchés. Avec ma petite taille je pouvais me faufiler sans me faire remarquer. Puis j’ai changé de maître à plusieurs reprises. Il y a quelques mois, je suis arrivé ici, tout en haut. Ensuite on m’a fait descendre. Depuis je ne suis pas remonté. Dans cette grotte c’est moi le maître, les autres ont peur d’y rester. Certains ont même peur d’y descendre. Nous sommes dans les entrailles de la terre, c’est déjà un peu l’enfer, l’antre du malin, le repaire du diable. Pour moi ça ne va très bien, personne ne vient trop me déranger. De temps en temps, on m’amène un prisonnier à garder. Ici c’est facile, pas besoin de barreau, ni même de porte. Une fois j’ai eu deux damoiselles, guère plus âgée que toi. Elles sont restées ici pas plus de huit jours. Il y en avait une qui pleurait à longueur de journée, l’autre jouait aux dés et même aux dames avec moi. Le dernier c’était un damoiseau, du double de ton âge. Le premier jour il s’est épanché comme un malheureux. Après ça allait mieux. Et toi, tu viens de quelle contrée ?
– De Saint-Cirq, un village perché sur la falaise, en une dizaine de lieues en amont de Cahors. De ma chambre je vois le Lot, tout en bas. Mais comment savais-tu mon nom ?
– Le malandrin qui t’a amené ici l’a cité. Il a aussi dit que tu valais ton pesant d’or. Elle est riche ta famille ? Tu as des frères, des sœurs ?
– Riche, je ne sais pas trop ce que ça veut dire. Mon père possède plusieurs fiefs, ma mère également, et mes grands parents aussi. J’ai trois grands frères. Mais ici, tu sais où nous sommes, dans quelle contrée ?
– Non, pas du tout, c’est pour ça qu’ils me laissent en bas. Je ne peux rien raconter de fâcheux aux prisonniers que je dois garder.
– Tu savais que je devais arriver ?
– Non, pas du tout. Des fois, je reste deux à trois semaines sans voir personne.
– Mais tu n’as pas envie de sortir d’ici, de voir autre chose ?
– Et pour faire quoi, pour recommencer à voler, au risque de me faire prendre. J’ai déjà passé plusieurs semaines dans un carcan, et aussi dans une cage, sur la place du marché à Brive. Les marauds ne faisaient tourner, avec la tête en bas. En plus, avec moi c’était plus marrant. Ça me donne pas envie de recommencer. Ici, je ne risque rien, il ne fait point trop chaud, ni trop froid et c’est bien comme ça.
Nous parlâmes un peu de tout et de rien, puis Altiq ressortit les dés.
– Tout à l’heure tu m’as parlé du jeu de dame, tu l’a encore ? Parce qu’au dame, moi je sais jouer !
– Oui, mais moi je ne sais pas trop y jouer. Je n’ai pas l’esprit assez habile, pas assez rapide, je perds tout le temps.
– Ce n’est pas très grave, je pourrais t’apprendre quelques trucs. Tu verras, c’est pas très compliqué.
Nous passâmes une bonne partie de la journée à jouer. Altiq n’était effectivement pas très habile, mais au lieu de le battre sèchement, j’essayai de lui faire comprendre les bases. L’aidant à jouer de telle façon, plutôt que d’une autre. L’aidant à bien réfléchir aux conséquences avant de tenter un coup.
– Eh bien tu vois, tu t’en sors pas si mal !
– Oui, mais avec toi c’est pas pareil, tu me dit ce que je dois faire et pourquoi.
Avant la soupe du soir je récitai le bénédicité. Altiq me regarda étrangement, mais il ne fit pas de commentaire. Après le repas, nous reprîmes le jeu de dames. Puis Altiq décida que c’était l’heure d’aller dormir. Je me mis alors à genoux et commençai mes prières. Je fus étonné de voir mon gardien s’agenouiller à côté de moi et me demander s’il pouvait les dire avec moi.
– Tu en sais une ?
– Non, mais si tu veux bien, je répéterais après toi. J’ai tellement de chose à me faire pardonner qui si je devais mourir maintenant j’irai directement en enfer. J’y suis déjà un peu, mais ici il ne fait point trop chaud.
Durant cinq journées l’entente fût cordiale. Le sixième, dans la matinée, j’accompagnai Altiq jusqu’à l’entrée pour prendre en charge des victuailles. Mais je restai un peu en retrait, cacher. Mon gardien discuta un instant avec l’homme qui effectuait la livraison. Lorsque ce dernier commença sa remontée, Altiq me fit signe d’approcher. Pendant notre retour il me sembla soucieux.
– Dis-moi, si je t’aidai à t’enfuir, je pourrais venir avec toi. Oh pas dans ton château, mais dans ton fief, sous ta protection. Le travail ne me fait pas peur, tu sais.
Sa proposition me surpris, la discussion avec l’homme, s’était donc à mon sujet.
– Il t’a raconté quoi le sacripant, tout à l’heure ? Vous avez parlé de moi ?
– Il a dit que demain, des gens allaient venir te chercher pour t’amener plus au nord. Tu as été vendu, à des gens puissants, mais je ne sais qui ils sont.
– Mais pour sortir d’ici, tu comptes t’y prendre comment ?
– Ça veut dire que tu acceptes de m’amener avec toi alors ?
– Je n’ai pas le choix, et puis tu fais tes prières, alors tu es un vrai chrétien maintenant. Il m’est impossible de ne pas tendre la main à un autre chrétien. Mais comment allons-nous sortir d’ici ?
– Ça fait des mois que je suis ici, j’ai eu tout le temps d’y penser. Tout en haut du gouffre, pour ne pas trop point se faire remarquer, je sais qu’ils ne mettent pas de garde. De toute façon pour eux, il est impossible de s’échapper d’ici.
– Oui, mais l’échelle du bas est remontée. Ça fait au moins de quinze coudées !
– Tu sais monter à la corde ? Moi oui, j’ai plus de force dans mes bras que dans mes jambes !
À quelques pas, de derrière un rocher Altiq sortit une corde à nœuds, d’au moins trente coudées.
– Tu as eu ça comment ?
– Ils me l’ont donné tout au début, ils voulaient que j’explore la grotte. Puis j’ai trouvé cette grande salle, et je ne suis pas allé plus loin. Mais j’ai conservé la corde. Avec ça, je vais pourvoir grimper jusqu’au premier palier. Après ça sera facile. Je n’aurais plus qu’à faire descendre l’échelle jusqu’à toi.
Il me tendit des vêtements, à sa taille.
– Tiens passe ça, les tiens sont trop voyants.
Les braies étaient un peu grandes pour moi, la tunique également, mais ça irait quand même. Dans un baluchon, nous préparâmes de la nourriture, et de la boisson pour deux à trois jours. J’insistai pour prendre également les deux godets et les deux écuelles. Puis nous partîmes vers l’entrée. En quittant la barque, Altiq retira la bonde. Très rapidement elle s’en alla par le fond. Tout à l’extrémité de la corde, mon compère fit un très gros nœud, il devait maintenant la lancer afin qu’elle s’accroche sous une des poutrelles du premier palier, ou entre deux planches. Après une multitude d’essais, il parvint enfin à la caller contre le rocher, au-dessus de l’une des jambes de force qui maintenait le palier. Ce n’était pas l’idéal, mais pour Altiq cela semblait suffire. Il tira sur la corde à deux ou trois reprises pour mieux la fixer, puis sans un mot il commença son ascension. Malgré sa jambe raide, j’étais impressionné par la facilité, avec laquelle il grimpait. Sans trop de difficultés il parvint sur le palier, décrocha l’échelle et la laissa doucement glisser vers moi. Avant de repartir pour le sommet, Altiq poussa l’extrémité de l’échelle dans le vide, mais récupéra la corde.
– Ils croiront qu’elle est tombée parce que mal accrocher. Le temps qu’ils trouvent le moyen de descendre ça nous donnera un peu plus d’avance. Surtout ne regarde pas vers le bas, toujours les yeux vers le haut. Je passerai le premier, à l’arrivée je pourrais regarder si la voie est libre.
Je ne pouvais m’empêcher de regarder vers le bas, ça commençait à faire haut. Enfin nous retrouvâmes la liberté, les lieux étaient effectivement déserts. Rapidement Altiq m’attira vers les buissons tout proches.
– Tu m’as bien dit qu’au pied de ton château coulait une grande rivière ?
– Oui, c’est le Lot pourquoi ?
– Très simple, il nous suffit de trouver un ruisseau et de suivre le courant. Il nous amènera à ta grande rivière ! Après nous aviserons.
À défaut d’être grand, Altiq était très futé. Les vêtements, l’échelle, la barque et maintenant le ruisseau qui mène à la grande rivière. J’étais en de très bonnes mains. Rapidement, à la première flaque d’eau, il macula mes bottes, mes mains, et même un peu mon visage, ainsi que mes cheveux.
– Voilà, maintenant tu ressembles à un rustaud. Et les rustauds ils passent inaperçu.
Nous ne suivions jamais directement les chemins, nous marchions parallèlement en restant toujours à vingt ou trente pas. Nous avions laissé le village de Loubressac à notre droite et celui de la Poujade à notre gauche. Puis nous rencontrâmes un ruisseau. Nous le suivîmes dans le sens du courant, pour rencontrer un ruisseau plus important que nous suivîmes toujours dans le sens du courant. La nuit arrivait vite, lorsque j’aperçu une petite cabane sur les hauteurs.
– Regardes, pour passer la nuit ça serait bien.
Nous nous approchâmes, les lieux semblaient inoccupés depuis longtemps. J’appuyai sur le loquet, puis poussai la porte, qui s’ouvrit sans effort. Nous passâmes la nuit allongés sur la terre battue. Au petit matin Altiq me réveilla.
– Tiens pour le déjeuner tu auras une pomme et un morceau de pain. Alors, ta première nuit de liberté, c’était comment ?
– Le sol est dur, mais je ne regrette pas la paillasse de la grotte. Tu crois qu’ils sont déjà à notre recherche ?
– Non pas encore, rappelle-toi l’échelle, et la barque. Pas avant le milieu ou même la fin de la matinée, mais il ne faut pas traîner ici.
Après les prières du matin, nous poursuivîmes vers l’aval, et nous arrivâmes en vue d’un pont. Personne à l’horizon, nous nous approchâmes. Une petite inscription indiquait la direction d’un moulin sur La Bave. Peut-être cette petite rivière se nommait-elle La Bave ? Je ne connaissais pas d’affluent du Lot de ce nom, mais j’étais loin de connaître tous les affluents du Lot. Puis d’un coup, Altiq me harponna par le bras et me m’entraina dans l’eau avec lui. Heureusement le niveau n’était pas très haut, juste un peu au-dessus de la taille.
– Des Chevaux arrivent, cachons-nous là dessous !
Quelques instants plus tard cinq à six cavaliers passaient sur le pont, sans même ralentir.