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Michel ZORDAN présente des extraits de ses romans. Il se laisse également aller à quelques réflexions sur l’actualité.

02 Mar

La Louve de Notre-Dame

Publié par Michel Zordan  - Catégories :  #la louve de Vianne

la louve de Notre-DameContes et légendes ? Dans ce récit fiction et histoire se mêlent et s’entremêlent… En avril chez votre libraire... 

Chapitre I  - La louve et les Templiers

Extrait - Vianne est une charmante bourgade de Gascogne sise en pays d’Albret. Blottie dans un coude de la Baïse. L’une des particularités de Vianne est d’être une bastide fortifiée ; deux tours et une partie des remparts sont toujours visibles aujourd’hui. Chaque année, à partir de juin et jusqu’à fin août sont organisés des marchés fermiers nocturnes.

C’est sur l’un de ces marchés fermiers que je rencontrai une vieille dame proposant des plantes médicinales. Engageant la conversation, l’herboriste semblait très bien connaître l’histoire de la contrée. De fil en aiguille elle me parla de Jourdain de l’Isle, héritier de Vianne de Gontaut-Biron, qui fonda en 1284 la bastide en l’honneur de sa défunte tante. D’après cette sympathique dame, Jourdain de l’Isle n’était pas un gentil, mais un méchant, et il finirait comme un méchant. Gentiment elle me demanda si j’étais allé saluer la louve.

 

– De quelle louve s’agit-il, ma chère dame ?

 

– De celle gravée sur le mur de l’église Saint-Christophe pardi !

 

L’herboriste m’expliqua alors que l’église Saint-Christophe avait été rebaptisée après sa reconstruction au XIVe siècle. À l’origine elle se nommait Notre-Dame de Villelongue et faisait partie du village de Vilalonga. C’était sur le mur de cette église qu’était apparue la louve. Une énigme véritable, cette louve ! Comment était-elle apparue à cet endroit ? Quel rôle avait-t-elle joué dans l’histoire du pays d’Albret ? Était-ce un signe, une marque secrète ? Était-elle seule ? Les louves ne sont jamais seules. Détail qui avait peut-être son importance, la louve a été gravée sur une seule et même pierre. Cela voulait peut-être dire qu’elle venait d’ailleurs. Apportée là par les Compagnons au moment de la restauration de l’église. Mais quelle restauration, celle de la reconstruction, après que Jourdain de l’Isle l’eut détruite,  ou alors celles intervenues au fil du temps, avant même que Vianne ne fût fondée, en lieu et place du village de Vilalonga. L’histoire de Vianne est étroitement liée à celle du pays d’Albret, et de la Gascogne. Vianne de Gontaut-Biron reçoit en héritage de son père Vital de Gontaut-Biron, seigneur de Mongaillard, le château de Mongaillard et ses dépendances, celui de Puch et celui de Gontaud en Agenais, plus quelques autres petites possessions. Les terres sur lesquelles le village de Vilalonga est érigé font alors partie intégrante du château de Mongaillard. Quelque trois kilomètres plus à l’Ouest se situe Xaintrailles, autre fief gascon, et haut lieu historique en pays d’Albret. Mais un autre fief, devenu illustre grâce à son seigneur, est imbriqué au milieu de tous, celui de Lasmazères. Après plus sept siècles Lasmazères existe toujours, mais il n’est plus qu’un simple lieu-dit.

 

Xaintrailles, Mongaillard, Vianne, avec presque en son centre Lasmazères, et la source du Diable. C’est dans ce triangle que se cachait l’énigme de la Louve de Vianne.

 

Comprenant que j’étais curieux d’en savoir davantage, l’herboriste glissa, en plus des quelques plantes que je venais de choisir, une petite carte dans le sachet.

 

– Maintenant tu sais où me trouver ; si tu veux savoir, n’hésite surtout pas. Ici, c’est pas l’endroit, je ne peux pas tout raconter.

 

– Je n’y manquerai pas, chère Madame.

 

Je la remerciai, et me dirigeai sans attendre vers l’église, pour saluer la fameuse louve. Effectivement sur le mur extérieur de l’église, elle était là. Ce n’était pas une gravure d’artiste, très sophistiquée. Mais une simple marque au burin assez profonde, un peu naïve, tracée comme un hommage par un Compagnon. Peut-être un repère, ou même une indication pour les générations futures ? J’étais tout à coup très intrigué, et me saisis de la carte que la vieille dame avait glissée dans le sachet. Inscrit dessus, un nom et une adresse : Jeanne Hermensende Plantes médicinales Ferme de Manguia 47230 – Lasmazères.

 

Sans trop comprendre pourquoi, je retournai sur le marché, Jeanne Hermensende ne semblait pas très surprise de me revoir.

 

– Alors tu l’as vue la louve ? Si tu reviens me voir, c’est que la belle t’intrigue ! Les gens racontent tout et n’importe quoi à son sujet, mais moi seule je sais. Viens me voir à la maison demain, mais point de trop bonne heure. Le matin je cueille des herbes, et je ne sais jamais trop quand je retourne. Je vais t’indiquer la route à suivre. Pour te faire patienter je te laisserai un peu de lecture et même de la boisson fraîche. Une recette à moi, une sorte d’élixir qui éclaire et libère l’esprit.

 

J’avais du mal à trouver le sommeil. Je me levai aux aurores, et partis sans attendre pour la ferme Manguia. Bizarre ce nom pour une ferme ? Mais bon, sûrement l’un des habitants aux origines.

Grâce aux informations de Jeanne Hermensende, je trouvai assez rapidement. La bâtisse de taille moyenne se situait à l’orée d’un bois, assez isolée, à l’ouest de Vianne, passé Montgaillard. Une bien belle demeure, de plain-pied, avec  une partie de murs à colombages. Assez répandus dans les villages et les villes d’origine médiévale, ce n’était pas très courant de retrouver des murs de ce type à la campagne. Ici, ils étaient magnifiquement conservés et peints à la chaux. Devant, un peu sur le côté s’élevait un énorme et majestueux chêne, sûrement plusieurs fois centenaire. À la base du tronc, un siège de bois sans dossier sur lequel reposait un coussin regardait loin devant. Une table miniature l’accompagnait, sûrement pour les boissons fraîches ou la collation de quatre heures. Je frappai ; aucune réponse, mais j’étais prévenu. Je m’installai sur la terrasse et commençai à éplucher la littérature laissée par Jeanne. Plusieurs revues sur les plantes s’entassaient là. Mais c’est un vieil ouvrage assez épais, à l’aspect d’un grimoire, qui attira rapidement mon attention. Sur les feuillets de papier un peu grossier, l’écriture manuscrite en pleins et déliés courait, fine et gracieuse. Je feuilletai les premières pages, lisant quelques passages au hasard. Puis je me servis un verre du breuvage concocté à mon intention par Jeanne. Comprenant que l’attente serait longue, je me levai, emportant mon grimoire et mon verre vers le siège de bois sous le chêne. Je laissai mon dos aller contre le gros tronc, buvant une gorgée… puis deux.

 

Très rapidement une agréable sensation me fit frissonner. Tonique, la boisson de Jeanne, peut-être une recette à exploiter.

 

Sans plus attendre j’entrepris la lecture… Les phrases se présentaient comme une mise en scène, rappelant des faits historiques de l’époque médiévale…


L’Ordre du Temple… De l’an 1096, à l’an 1268, huit croisades eurent lieu en Terre Sainte. Très nombreux furent les chevaliers gascons à y participer. L’Ordre du Temple était un ordre religieux et militaire créé à Jérusalem en janvier 1129, peu après la fin de la première croisade. Le but de ces moines-chevaliers était de servir d’escorte aux pèlerins chrétiens qui osaient s’aventurer dans la région. Parmi les Templiers, des centaines étaient issues de la chevalerie chrétienne du Royaume de France. Cette pratique de protéger les pèlerins en Terre Sainte existait déjà depuis quelques décennies, mais aucune organisation fiable n’était recensée avant cette date.

 

Tous les chevaliers ayant participé aux croisades, tous les Templiers ont-ils agi dans un but désintéressé, pour défendre la Chrétienté ? Certains n’auraient-ils pas profité de l’aubaine ? Le trésor des Templiers, ça vous dit quelque chose…

 

Gaston IV de Béarn, dit le Croisé, fut vicomte de Béarn de 1090 jusqu’à sa mort en 1131. Son surnom de Croisé est dû à son rôle durant la première croisade. C’est lui qui, sous le pontificat du pape Urbain II, à la demande de Raymond de Saint-Gilles, mena les chevaliers du sud du Royaume de France à la première croisade en 1096. Le but : prendre la ville sainte de Jérusalem, pour venir en aide aux Chrétiens et empêcher la propagation de l’islam. Pour certains, même s’ils sont de fervents croyants, la motivation des chevaliers n’est pas complètement désintéressée : l’Orient résonne comme richesses faciles. Là-bas, c’est certain, l’or se ramasse à la pelle. Il suffit de se baisser pour cueillir les pierres précieuses.

 

Parmi ses compagnons d’armes, Gaston IV de Béarn entraîne son frère Centulle de Bigorre. Puis Raymond, vicomte de Castillon, son frère Pierre, également vicomte etAmanieu II, sire d’Albret. Auraient également fait partie de la balade deux cousins du sire d’Albret, tous deux ses vassaux : Anthelme le seigneur de Xaintrailles, et Perceval celui de Montgaillard, terres sises en Albret.

 

14 mai 1097 les Croisés sont devant Nicée, capitale du sultanat seldjoukide de Roum. Laissant les Lorrains menés par Godefroy de Bouillon s’installer au nord, les Normands de Bohémond de Tarente à l’est, Raymond de Saint-Gilles et Gaston IV de Béarn s’installent au sud. Le siège peut commencer. Le 16 mai les assiégés tentent une sortie, ils laissent plus de deux cents hommes sur le champ de bataille. Le 19 juin, la ville est prise. Mais Nicée n’est qu’une étape ; le but des Croisés est de prendre Jérusalem et le 26 juin, Nicée est rétrocédée aux Byzantins de Manuel Boutoumitès. Nicée est une ville riche, très riche ; que s’est-il passé durant ces sept jours ?

 

Puis ce fut la bataille de Dorylée et celle d’Antioche. Après bien des péripéties, conflits d’intérêt et dissensions diverses entre les différents chefs, les Croisés arrivèrent enfin en vue de Jérusalem. La ville sainte fut prise par les Croisés en juillet 1099. Gaston IV de Béarn n’y participa pas ; brouillé avec Raymond de Saint-Gilles, il prit part au siège d’Ascalon sous les ordres de Godefroy de Bouillon. Amanieu II, sire d’Albret, l’avait déjà rejoint. Vers la fin de cette même année 1099, Gaston IV s’en retourne vers ses terres du Béarn auréolé de gloire et les bagages pleins de trésors.

 

Lorsque Gaston IV s’en retourne vers ses terres du Béarn, ses amis et compagnons d’armes l’accompagnent, encore que… Il semblerait qu’Amanieu II, sire d’Albret et ses deux vassaux, Anthelme et Perceval, les seigneurs de Xaintrailles et de Montgaillard ne retournent en Albret que quatre années plus tard, en l’an 1103.

 

Après le retour des croisades d’Amanieu II, sire d’Albret, la maison d’Albret, alliée « discrète et opportuniste » des Plantagenet, connaîtra un essor fabuleux. L’un des plus fabuleux de la noblesse française après celle des Capétiens, sa rivale. En 1589, c’est l’apothéose, Henri de Navarre accède au trône de France et devient Henri IV. Sa mère est Jeanne d’Albret, et son grand-père maternel le roi de Navarre. Tous deux descendants de la famille de Gaston IV de Béarn dit le Croisé et de celle d’Amanieu II, sire d’Albret.

Anthelme le seigneur de Xaintrailles, compagnon d’armes d’Amanieu II, sire d’Albret, mourra sans héritier direct. Ses neveux Pierre d’Astafford, Conrad de Padern et Anselin de Gontaut deviennent les nouveaux co-seigneurs de Xaintrailles.  Ils entreprennent la construction du château vers la fin du XIIe siècle.

 

Et la louve dans tout ça ? Un peu de patience, voilà j’y arrive…

 

C’est en décembre de l’an 1275, le quatorze, qu’elle est signalée sans doute pour la troisième fois… Les deux premières c’était quelques années auparavant, du côté de Montgaillard, et de Xaintrailles. Mais peut-être s’agissait-il d’un gros chien de retour à la vie sauvage. Cette fois pas de doute c’est bien une louve, attention pas une louve sous forme de gravure sur un mur ou une pierre. Non, une bergère, Nicelle Terrobe, aperçoit à quelques mètres d’elle une vraie louve, faite de chair et d’os et plus certainement une louve pleine, prête à mettre bas. La cloche de l’église Notre-Dame de Villelongue vient de sonner les dix coups, la bergère garde ses trente brebis, et ses huit agneaux déjà bons pour la broche. Dans un pacage à deux pas du village de Vilalonga, le long du ru de Laribot qui se jette dans la Baïse. Prise de panique, abandonnant ses bêtes, Nicelle Terrobe traverse le ruisseau, l’eau est assez haute, mais que nenni, elle se réfugie dans la première maison. L’alerte est donnée, une battue s’organise. À cet endroit pas de forêt, quelques bosquets tout au plus. L’animal sera repéré facilement, il suffira alors de le rabattre contre la Baïse, ou même de le faire descendre dans le ru et de l’empêcher de fuir.

 

Nicelle partit en courant à travers champs avertir Gauthier Valdemar, le lieutenant de louveterie du seigneur de Montgaillard, Jourdain de l’Isle, héritier de sa tante Vianne de Gontaut-Biron. C’est Gauthier et Gauthier seul qui pourra occire la bête noire. Mais il n’y a pas de temps à perdre, les brebis et les agneaux sont en grand danger et c’est le forgeron Adelphe Fromentin qui prit la tête de la demi-douzaine d’hommes armés de fourches et de faux. Adelphe Fromentin s’arma d’une lance. Il en avait quelques-unes en réserve, plus quelques épées, haches et autres fléaux. Alors tout jeune forgeron, c’est lui qui avait forgé les armes de Vital de Gontaut-Biron, l’ancien seigneur de Montgaillard et des seigneurs de Xaintrailles. Mais sa clientèle s’étendait dans toute la contrée et même jusqu’en Béarn. Un autre détail d’importance, Adelphe Fromentin pesait ses deux cent trente livres et dépassait largement la toise.

 

C’était son aïeul Adhémar qui avait forgé les armes d’Amanieu II, sire d’Albret avant son départ pour la première croisade en 1096. À l’occasion, Adelphe estourbira la bête et Gauthier Valdemar n’aura plus qu’à l’achever pour recevoir la prime. Les loups n’étaient pas légion dans la région et du haut de l’insolence de ses dix-huit ans, le lieutenant de louveterie passait le plus clair de son temps à surprendre les braconniers. À chasser à courre les renards, les chevreuils, le cerf ou même sus scrofa, le sanglier, et à conter fleurette aux bergères. Pas qu’aux bergères d’ailleurs.

 

Plus j’avançais dans la lecture et plus les mots, les pages mêmes, devenaient inconsistants, presque immatériels. Mais cette impression se compensait par une sorte de métamorphose m’impliquant à chaque ligne, à chaque page, plus avant encore dans le récit. J’avais la sensation, non pas d’en être acteur, mais de l’imaginer. Une force éclairait et libérait mon esprit, se transposant par des mots et des phrases, au fur et à mesure. Le grimoire ne servant que mon inspiration. Cet univers médiéval, vieux de plusieurs siècles, était maintenant le mien. La boisson de Jeanne jouait-elle un rôle ? Peut-être aussi le chêne contre lequel j’étais adossé.

 

Je me présente, Gauthier Valdemar, lieutenant de Louveterie de Jourdain de l’Isle, seigneur de Montgaillard. C’est sa tante, Vianne de Gontaut-Biron qui l’exigea dans le contrat du legs de ses biens à son neveu. Tout comme elle exigea que ses domestiques, Flore la chambrière, Asseline la vieille cuisinière et Guillot l’homme à tout faire, fussent maintenus à leur poste après son départ pour le couvent des Dominicaines de Condom. Asseline, au service de Dame Vianne depuis toujours, m’avait vu naître. Jouant avec grand bonheur le rôle d’une grand-mère que je n’avais jamais connue.

 

Je suis né en octobre 1257, fils d’Aléide Valdemar, femme de chambre de Vianne de Gontaut-Biron, et de père inconnu. Ma mère est l’une des seules domestiques à l’avoir suivie dans sa retraite au couvent. Retraite est peut-être un bien grand mot, puisque Vianne de Gontaut-Biron qui avait contribué en 1261 à fonder le couvent, y avait par la même occasion fait construire sa propre demeure. Très souvent j’avais interrogé maman sur l’identité de mon père ; jamais je ne pus obtenir gain de cause. Des indiscrétions me firent comprendre que j’étais sûrement un bâtard d’Amanieu VI d’Albret, alors époux de Vianne de Gontaut-Biron. Le mariage entre Vianne et Amanieu VI d’Albret fut déclaré nul par une bulle du pape Clément IV le 22 septembre 1268. Y avait-il un rapport de cause à effet ? Je ne saurais trop dire. Très jeune, je ne comprenais pas pourquoi j’étais le seul enfant de domestique à avoir accès à presque tout le château. Ma mère et moi y avions d’ailleurs nos appartements, très modestes, mais bien plus confortables que ceux des autres serviteurs. Toujours prévenante envers moi, et même plus, Vianne de Gontaut-Biron qui n’eut jamais d’enfant, avait convaincu maman de m’envoyer à l’école de Vilalonga. Les cours étaient dispensés par le frère Jacquemin et le frère Pascoual. Deux moines de l’église Notre-Dame de Villelongue. Très sévères, mais également très droits, les deux religieux ne m’épargnèrent rien. Maintenant je savais lire, écrire et même compter. Le latin, le gascon n’ont plus de secret pour moi.

 

La charge de lieutenant de louveterie, c’était sans aucun doute un petit dédommagement. Lorsque pour mes seize ans je pus enfin entrer dans mes fonctions, la dame de Montgaillard me fit un autre superbe et inestimable cadeau. En effet, un lieutenant de louveterie ne peut l’être que s’il dispose d’une meute. Et mon cadeau ce fut cette meute. Modeste certes, mais déjà bien mise, puisque propriété de l’un de ses lointains cousins, l’ayant hérité d’un oncle défunt, découplant en Périgord noir. Il s’agissait de huit magnifiques grands fauves de Bretagne. Le lointain cousin de la dame de Montgaillard ayant plus besoin d’espèces sonnantes et trébuchantes que de chiens, elle se proposa de les acquérir. Durant trois jours et trois nuits je ne quittai pas mes chiens, dormant à leurs côtés dans le chenil. Mon préféré était aussi le plus vieux. Son ancien maître l’avait baptisé Lucifer. J’adorais jouer avec Tiphaine, la plus jeune, à peine trois mois lorsqu’elle arriva à Montgaillard. Maintenant ma meute s’est étoffée, douze chiens la composent. La chasse, j’étais tombé dans le chaudron tout petit, accompagnant dès mes dix ans le seigneur d’Albret. Ou même les seigneurs de Xaintrailles. Je compris plus tard que le superbe poulain que maman m’avait offert, et que je baptisais Gascogne, c’était un cadeau d’Amanieu VI d’Albret. Le père, qui ne pourrait jamais être mon père. Mais je n’avais pas de rancœur, les autres garçons de mon âge et même les filles du village travaillaient déjà très dur. J’étais conscient d’être un privilégié, ma vie me plaisait bien, et je faisais tout pour la vivre à fond. J’avais une deuxième passion encore naissante, mais déjà très florissante. Peut-être héritée de mon père, qui ne pouvait pas être mon père : j’aimais la compagnie des filles et même des femmes. À quinze ans à peine, Flore, une chambrière de la dame de Mongaillard  m’initia aux vertiges de l’amour. Durant quelques mois, elle s’ingénia à pourvoir à mon éducation sentimentale. Depuis, sûrement pour ne pas perdre la main, je multipliais les conquêtes. Un lieutenant de louveterie, ça en impose. J’étais en train de soigner mes chiens…

 

– Gauthier, Gaultier… Viens vite, c’est le Diable, viens vite…

 

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