rentrée littéraire 2013 - la louve de Notre Dame
Contes et légendes ? Dans ce récit, fiction et histoire se mêlent et s’entremêle…Je me présente, Gauthier Valdemar, lieutenant de Louveterie de Jourdain de l'Isle, seigneur de Montgaillard. Je suis né en octobre 1257, fils d’Aléide Valdemar femme de chambre de Vianne de Gontaut-Biron et de père inconnu.
Episode 4 - Plus j’approchai et plus le vacarme se faisait entendre. J’espérai juste une chose, que ces gens n’aient pas trop piétinée la voie de l’animal. La pluie s’invitait maintenant à la chasse, tout ça n’était pas de bon augure. Arrivé sur la scène, une dizaine de personne battaient les fourrés. Contre le ruisseau, haranguant leurs chiens pour les faire pénétrer au plus profond. Lorsque j’aperçus Adelphe Fromentin le forgeron, je me dirigeai vers lui.
- Le bonjour Gauthier, je crois que Nicelle t’a dérangé pour rien. Il n’y a pas de loup par ici. Regarde, ses brebis et ses agneaux sont sains et saufs, ils sont là-bas, bien tranquilles. Il devait s’agir d’un chien errant comme toujours.
– Adelphe, tu es certain que le troupeau est au complet ?
– Bien sur ! S’il s’agissait d’un loup, les animaux se seraient affolés, en plus la sale bête aurait fait un saccage. Ces diables tuent plus pour le plaisir que pour se nourrir. Quand nous sommes arrivés, les brebis paissaient tranquillement. Non, Nicelle à eu peur d’un chien, errant, qui lui aussi a prit peur lorsque qu’il nous a entendu. De toute façon, nous avons battu tous les fourrés, je peux t’assurer qu’il n’y a rien.
- Tu as peut-être raison ! Dis à tes gens de reprendre leurs chiens et de retourner au travail. Laisse quand même quelqu’un pour surveiller les brebis, le temps que Nicelle retourne. Moi, je vais jeter un coup d’œil, juste pour être certain.
Adelphe Fromentin et sa troupe quittèrent rapidement les lieux. J’étais quand même intrigué. S’il s’était agi d’un chien errant, le temps que les gens du village arrivent sur les lieux, il aurait attaqué le troupeau. Or, pas de trace d’attaque, bien au contraire, les brebis et les agneaux paissaient tranquillement. Petit à petit le calme revint, la tension retomba. Je laissai la meute sous la surveillance de Lucifer, et partais à pied le long de la haie sur la rive du ru. Juste accompagné de Ripaille, et de Bastienne. Après une centaine de pas, Bastienne poussa un premier coup de gueule, Ripaille se rallia immédiatement. Le silence revint, mais les deux limiers semblaient collés à la voie, les émanations étaient bien là. Difficile de distinguer un pied sur le sol, tant l’herbe avait été piétinée, mais l’attitude des chiens suffisait. Ni l’un ni l’autre n’étaient créancés sur la bête noire, mais ils descendaient d’une grande lignée, les gènes y étaient inscrits depuis des générations. Puis Ripaille marqua un temps d’arrêt, Bastienne à son tour. Je m’approchai. Un passage dans la haie, très succinct, mais c’était bel et bien un passage. Sur les ronces, quelques fils de laine de brebis et même du sang. J’étais certain de moi. Je remis les chiens sur la voie, mais en sens inverse. Après une cinquante de pas, à quatre, ou cinq pieds à peine de la bordure, nouveau temps d’arrêt. Cette fois les traces de laine et de sang étaient bien plus importantes. C’était certain, un prédateur avait ici même tué un agneau et l’avait emporté, sans que les autres animaux du troupeau ne se soient affolés. Bizarre, très bizarre même. Puis j’aperçu Nicelle arrivant vers moi. Je me relevai et l’attendis.
– Grâce à dieu mes brebis sont toujours là ! Alors, tu as trouvé quelque chose ?
– Peut-être ! Viens, tu vas compter tes animaux, je te dirais après !
– Sept agneaux, il n’y a plus que sept agneaux. Mes trente brebis sont bien là, mais il manque un agneau ! Comment cela peut-il être possible ? Maître Talmelier va me punir, il m’a déjà reproché que deux brebis n’avaient pas pu agneler correctement, les petits sont morts à la mise bas. Cette fois, il va me punir c’est certain. En plus la nuit dernière, il a encore essayé… je ne peux plus dormir, au moindre bruit je me réveille.
– Ne t’inquiète pas pour maître Talmelier, j’irai le trouver. Ce n’est pas de ta faute si une bête sauvage, s’est attaquée au troupeau. J’ai retrouvé des traces, de la laine et du sang sur le sol, là ou je me trouvais lorsque tu es arrivé. J’en ai également retrouvé sur les ronces le long de la haie. Un prédateur à tuer et emporter ton agneau, c’est certain. Mais quel prédateur peut tuer et même emporter un animal sans même faire fuir les autres ? Je ne sais pas, un chien errant attaque pour détruire, ce n’est donc pas un chien. Tu avais peut-être raison pour le loup, je ne vois que ça. Il a prélevé discrètement un agneau, un seul et il est parti. Tu vas m’en dire un peu plus sur ton loup. Décrit-le moi !
– Il était haut, au moins trois, peut-être quatre coudées, c’est sur. Il était tout noir, comme le diable, il avait une longue gueule menaçante, des crocs énorme, c’était terrible. Il était long, très long, cinq à six coudées, pas moins, et deux au moins de large…
– Nicelle arrête de raconter des bêtises, le loup que tu décris ressemble plus à Gascogne mon destrier, qu’à un loup. Je ne suis pas maître Talmelier, tu n’as pas à me convaincre. Dis-moi la vérité, juste la vérité !
– Ça devait être une femelle et elle devait être pleine, même prête à mettre bas. Toute noire, son oreille droite plus claire, presque grise. Je crois même que le bout était blanc. Longue comme une brebis, peut-être un peu plus, mais plus haute et moins large.
– C’est mieux, ça ressemble plus à un loup.
La pluie tombait maintenant en abondance. Pas la peine de chasser dans ces conditions. La louve n’avait sûrement pas son repaire très loin d’ici et j’avais mon idée. Si elle était prête à mettre bas, comme le disait Nicelle, la louve devait rechercher des proies faciles. Pour l’agneau, elle avait attendu qu’il s’éloigne du troupeau le coiffant discrètement en bordure de la haie. Puis elle avait rebroussée chemin, repartant par où elle était venue.
– Nicelle, il n’y aura pas de chasse aujourd’hui, le terrain n’est pas bon. Toi tu peux rester ici, il n’y a plus de danger pour ton troupeau. Moi je vais passer voir maître Talmelier, je vais lui expliquer que tu n’y es pour rien. Et qu’au contraire tu as fait ce qu’il fallait en donnant l’alerte et en venant me prévenir. Je vais aussi lui parler…de ses humeurs vagabondes, afin qu’il te laisse tranquille.
Je sentais Nicelle un peu déçue de me voir partir aussi rapidement. Elle et moi entretenions des relations… disons privilégiées. Je vous l’ai dit plus haut, j’appréciai la compagnie des filles et Nicelle était une gentille fille. Mais ni la situation, ni le temps ne se prêtait au batifolage. Peut-être que cette nuit, pour la réconforter…
La meute aux ordres, derrière Gascogne, nous prenions le chemin du moulin de Riot. Situé le long de la Baïse à une demi-lieue environ, c’était la demeure de maître Talmelier. Pas toujours facile le bonhomme, avec Nicelle et à plusieurs reprises, il s’était montré… entreprenant, trop entreprenant. Nicelle s’était toujours défendue, mais elle redoutait qu’il remette ça. La jeune fille dormait sur une paillasse, dans une dépendance du moulin. Chaque soir elle bloquait la porte de l’intérieur pour éviter que son maître ne la surprenne. Dans cette même dépendance, l’homme avait fait construire un four à pain, l’hiver Nicelle profitait d’une bonne chaleur. Moyennant finances il le mettait à la disposition de ceux qui n’en possédaient pas. Il louait également quelques terres au seigneur de Montgaillard, pour y élever des brebis, cultiver blé noir, seigle, et quelques légumes. Lui n’était pas paysan. En échange du meulage de graines, le travail aux champs ne lui revenait pas trop cher et l’homme ne s’en sortait pas si mal. Je laissais mon équipage devant le moulin.
– Je vous baille le bonjour maître Talmelier. Comment vont les affaires ?
– Mais c’est Gaultier, et sa grande meute au complet. Je comprends maintenant pourquoi le seigneur de Montgaillard a augmenté mes impôts. Une meute de chiens aussi conséquente et aussi vorace, ça doit coûter très cher en nourriture. Tout cela pour chasser des loups qui n’existe même pas chez nous. Quelles bonnes nouvelles m’apportes-tu Gaultier Valdemar ?
– Une bonne et une nouvelle maitre Talmelier. La bonne c’est que vous ne paierez plus vos impôts en vain. Les loups sont ici, à nos portes et ils sont même déjà entrés chez nous. La mauvaise c’est qu’ils se sont servis dans votre cheptel.
En un instant le visage de maitre Talmelier blêmi, il devint aussi blanc que la farine sortant des meules. Je crus même qu’il allait défaillir.
– Comment ça, les loups, mon troupeau ? Mais c’est pas dieu possible, les loups ici, il n’y en a pas. C’est pas dieu possible, c’est pas des loups… Mais, et la Nicelle, pourquoi n’a-t-elle rien fait, c’est pour veiller au troupeau que je l’emploi, c’est…
– Heureusement qu’elle était là Nicelle, heureusement pour vous. Sans elle, à cette heure vous n’auriez plus de troupeau. Elle a tout de suite donné l’alarme et le loup n’a emporté qu’un seul agneau, et s’est sauvé.
– Comment ça il s’est sauvé ! Mais tu es lieutenant de louveterie, tu aurais du le prendre et l’occire. Et pourquoi tu es là, à discuter au lieu de courir après, tes chiens ils servent à quoi ?
– Maître Talmelier, on ne chasse pas le loup comme le blaireau. C’est malin un loup, très malin. Et par ce temps, inutile d’essayer de le prendre. Demain je m’y mettrai et avant huit jours tout sera rentré dans l’ordre, ne vous en faites pas pour ça. Par contre, Nicelle m’a parlé de choses plus… plus embarrassantes. Elle veut absolument aller à confesse, pour se plaindre au père Anselme.
- Comment ça Nicelle veut aller à confesse, comment ça embarrassante, je ne comprends pas. Et pour se plaindre de quoi au père…
– Maître Talmelier, ne jouez pas au plus fin avec moi. À plusieurs reprises vous avez essayé… avec Nicelle…enfin vous voyez ce que je veux dire… Nicelle est une jolie fille, et je peux comprendre, mais elle est déterminée à se plaindre au père Anselme… Vous savez comment est le père Anselme, lui ne comprendra pas. Il peut même en glisser un mot à Monseigneur l’Evêque, ça peut aller très loin.
– Mais elle t’a dit quoi exactement cette petite peste, jamais je ne l’ai importuné, jamais. Bien au contraire, je lui donne du travail, pas pénible du tout et ses gages sont conséquents. En plus je lui permets de dormir à côté du four à pain. En plein hiver elle a même plus chaud que moi. Dès qu’elle sera de retour, je la chasserai, je…
– Maître Talmelier, si vous faites cela, c’est comme si vous vous accusiez. Surtout après avoir sauvé le troupeau, elle aura tout le village pour elle. Un adultère forcé avec une jeune fille, ça peut aller loin.
– Mais jamais, il ne s’est rien passé, jamais, je le jure sur…
– Je sais maître Talmelier, je sais. Mais imaginez que tout cela arrive aux oreilles de Vianne de Gontaut-Biron, vous savez que le moulin de Riot lui appartient encore, imaginez sa réaction. Moi je la connais bien la dame de Montgaillard, je sais comment elle réagira. En repartant pour le château, je vais repasser voir Nicelle, je vais lui faire promettre de ne rien dire au père Anselme. De votre côté vous avez sans doute intérêt à ne rien lui dire non plus, et surtout à ne rien faire. Et surtout intérêt à laisser Nicelle tranquille. Dernier petit détail, trouvez un autre pacage pour vos brebis, le pré le long du Laribot doit être tranquille pendant quelques jours.
Je laissais maître Talmelier, perplexe et soucieux. Je crois que l’homme avait compris.
Dans le début de la nuit, au moulin de Riot.
– Nicelle, c’est moi, Gauthier, ouvre vite. Il fait froid dehors…
– C’est bien toi Gauthier....
Il faisait bien meilleur à l’intérieur. Une bonne chaleur douce envahissait l’espace. Et le four n’était pas seul en cause.
Vous pouvez communiquer avec Gauthier : gauthier.valdemar@laposte.net