La cloche à fromage ou souvenirs de gosses

Mais les souvenirs d’enfance sont-ils tous fiables ? Certains ne sont-ils pas que le fruit de l’imagination ? On appellerait ça se raconter des histoires ! Peut-être, mais peut-être pas ?
La cloche à fromage - Quatre à cinq ans, ça fait loin, pourtant je m’y vois encore. Dans notre grande cuisine au sol de terre battue, deux grandes tables. Une, face à la cheminée, pour préparer et prendre les repas. L’autre sert pour le repassage, mes grands frères et sœurs y font leurs devoirs. Pour s’assoir, des bancs, et quelques chaises. Sûrement parce qu’il est plus facile de se procurer du pétrole que du carbure, les deux lampes à carbure ont laissées leur place à deux lampes à pétrole. Peut-être aussi le modernisme qui nous avait trouvé. Dans les murs, un grand placard, tout à coté un autre, plus petit. Proche de la cheminée une très vieille cuisinière à bois complète l’image. Je n’ai pas le souvenir d’une pendule dans notre maison, mais seulement d’un réveil.
Dans l’étable entre vaches et bœufs pour travailler, une laitière pourvoie à notre alimentation : petit déjeuner, beurre, fromage, laitage et pâtisserie. Eh oui, pas de frigo (de toute façon, sans électricité !), mais une vache pour le remplacer, et en plus elle nous faisait un veau tout les ans. À cette époque, habiter à la campagne est un privilège, même les pauvres y mangent des gâteaux et nous, plutôt deux fois qu’une. Problème physiologique oblige, environ deux mois avant le vêlage, les laitières sont sèches. Nous devions donc trouver chez un voisin le lait nécessaire pour le petit déjeuner. Durant cette période, en plus de quelques jours après la mise bas, pas de beurre, pas de laitage, et pas de fromage, encore que…
Moi je suis assis à la table face à ma mère, ma tête dépasse juste, mais comme il y a un petit frère, je suis déjà considéré comme un grand et j’en suis très fier. Pour rien au monde, je n’accepterais un coussin sous les fesses. En bout de table, mon père. Il prend le pain de sept livres, le signe, coupe une bonne tranche pour chacun, et le repose du bon coté, le plat. Tout autour, mes cinq frères et sœurs, plus le petit dernier sur sa chaise haute. Le soir, le souper commence toujours par de la soupe, une bonne assiettée. Ensuite viennent, soit une omelette, soit une bonne tranche de jambon de pays, ou du jarret de porc, ou une épaisse tranche de pâté au foie gras (si, si), ou … avec une salade. En période faste arrive ensuite le fromage et même parfois après, une crème, un riz au lait, ou... Bref même pauvre, dans la famille on se tient bien à table. Mais en période sèche, l’assiette de soupe est doublée, et le morceau de pain qui accompagne l’omelette, ou… l’est également … Cela ne veut pas dire que le fromage n’est pas là, bien au contraire. Il est confortablement installé sous la cloche qui trône au milieu de la table. Il s’agit bien souvent d’Emmental acheté à « prix d’or » au marché. Pour les pauvres, dès qu’il faut acheter, c’est toujours à prix d’or. Arrive alors le moment fatidique, celui ou maman ouvre la cloche, coupe un morceau… puis deux. Petits les morceaux, mais nos yeux ne les quittent pas, des fois que…Faut quand même pas trop rêver. Le premier se dirige vers l’assiette de mon père, l’autre vers la sienne. Puis la cloche se referme. À partir de cet instant, nous les « gosses », pouvons nous servir en frottant un morceau de pain sur la cloche de verre. Il nous fallait bien sûr frotter délicatement, tout en fermant religieusement les yeux. Très important de fermer les yeux, et surtout y croire très, très fort. Après quelques secondes, et beaucoup d’imagination, la magie opérait, la récompense était là. La saveur, les senteurs et l’onctuosité du fromage se propageait dans le pain. Il ne nous restait plus qu’à religieusement déguster. Vous pouvez essayer, ça marche… MZ
PS 1: On serait tenté... mais non, faut pas. Ne pas voir dans ces quelques lignes autre chose que ce qui est écrit.
PS 2 : Si vous aussi avez des souvenirs de mômes, vous pouvez me les transmettre, ils seront publiés, dans le blog, sauf bien sur si ceux-ci mettaient en cause d'autres personnes. Chez nous pas de règlement de compte, on règle ça à l’ancienne, autour d’une table.