Le seigneur de Saint-Cirq Lapopie
Contes et légendes ? Dans ce récit, fiction et histoire se mêlent et s’entremêle… Je me présente, Gaillard de la Popie, né à Saint-Cirq le 6 mars de l’an 1253. Fils de Galhard de la Popie et d’Ermengarde de Cardaillac. Je suis le benjamin, le petit dernier d’une famille....
Episode 2 - Mon deuxième véritable souvenir c’était je pense l’année suivante, mais en juillet. Toujours en vadrouille avec mes grands frères. C’était mon père qui avait une fois de plus ordonné à Bertrand, à Arnaud, et à Pons de m’amener avec eux. À pieds bien sur, puisque je n’étais encore assez grand pour monter à cheval. Le soleil brillait, il faisait chaud et cette fois nous nous aventurâmes plus loin dans la vallée. Dans les champs, vilains et serfs travaillaient à la moisson. Enfants, et parents, petits et grands, tous mettaient la main à la pâte. C’est lorsqu’ils nous saluèrent, s’inclinant légèrement, donnant du « Mes Seigneurs » que je compris que nous n’étions pas comme eux. Puis à un carrefour, Bertrand s’arrêta, montrant du doigt. Je levais la tête pour apercevoir, un homme se balançant au bout d’une corde. Il devait se trouver là depuis quelques heures, les corneilles et autres pies ayant déjà commencé leur repas. Bizarrement, ils avaient commencé par le visage, s’attaquant d’abord aux yeux. Peut-être pour éviter que le malheureux puisse les voir. Naïvement je posais la question.
– C’est quoi ça ? Et pourquoi il est là ? Il a fait quoi ?
– C’est une fourche patibulaire, c’est grand-père Déodat qui l’a faite installer ici. Ce manant a été condamné à être pendu, parce qu’il a occis un voyageur pour le détrousser. Ça c’est passé la semaine dernière, sur nos terres, sur le chemin qui mène vers Cahors. Les hommes du prévôt l’on retrouvé, et ça n’a pas trainé. Père a demandé de l’exhiber ici, afin que tout le monde puisse le voir.
Exécuter une sentence et exhiber un condamné sur ses terres, s’était prouvé à tous, sa toute puissance. Tous les seigneurs n’étaient pas autorisés à ériger une fourche patibulaire. À plusieurs reprises, repartant vers le château, je me retournai pour voir encore, et tenter de comprendre. Avec tous ces becs crochus qui déchiraient ses chairs, avait-il mal ?
Quelques semaines plus tard, une autre balade avec mes grands frères, nous conduisit dans les vignes. Les petites parcelles s’étageaient, exposées plein Sud, aux flancs des coteaux escarpés surplombant la vallée du Lot. Ici point de chemin à attelage, mais de petits sentiers tordus, tutoyant souvent le vide. Les vendanges avaient commencées. Sur notre passage, toujours le même rituel, les vilains et les serfs se courbaient légèrement, donnant du « Mes Seigneurs ». Les cuviers étaient installés au bord du chemin principal à quelques centaines de pas en contrebas, parfois même assez loin. Pour les porteurs, qui assuraient l’acheminement du raisin, la manœuvre pouvait s’avérer très dangereuse. Au moindre faux pas, c’était la chute, quelquefois vertigineuse. C’est tout en bas que j’aperçus un garçon guère plus âgé que moi, sautant à pied joint sur les grappes. Ça avait l’air marrant. Je laissai mes frères prendre un peu d’avance, puis suivant un porteur, je m’éclipsai. N’hésitant pas dans les endroits les plus pentus à me laisser descendre sur les fesses. Enfin je le rejoignis.
– Je peux essayer ?
Le jeune vilain me regarda un peu surpris, puis haussa les épaules. Pour lui, dès l’instant où je souhaitai faire comme lui, je n’étais plus un seigneur, mais un égal.
– Si, tu veux, mais tu dois d’abord enlever tes poulaines.
Sans hésiter je retirais mes chaussures et me retrouvai à trempougner joyeusement. Quelques instants plus tard, les quatre frères se retrouvèrent les pieds nus dans le moût. Nous passâmes là une bonne partie de l’après-midi.
Lors de notre retour, je demandai à faire une halte par le chai, situé derrière le monastère. Je découvris alors tout un univers peuplé de moines. Les cuviers de raisins rouges étaient d’abord vidés de leur jus clairet. Puis ce jus déversé dans des fûts. Grâce à une chèvre, ces cuviers étaient ensuite levés devant des énormes cuveaux. Les moines les basculaient alors, faisant tomber les grappes tout au fond, pour la macération. Durant tout le mois d’octobre, à plusieurs reprises je demandai à Bertrand, ou à Arnaud de m’accompagner au chai. J’aimai bien l’animation qui régnait, et l’odeur qui s’en dégageait. Et je restai là, à regarder, sans trop poser de questions. Une impressionnante machine munie d’une grosse vis en son milieu attirait ma curiosité. J’avais demandé à l’un des moines qui me paraissait être le chef, à quoi elle pouvait bien servir.
– C’est un pressoir, seigneur Gaillard. Lorsque les grappes seront retirées de la macération. Nous allons les presser pour en extirper le jus. Nous aurons alors du « bourret », presque du vin.
Il m’expliqua tout un tas d’autres choses. Comme le processus de macération, permettant au vin d’obtenir sa couleur rouge foncé et même presque noire. Mais bien trop jeune j’avais du mal à faire le point.
Le jour J arriva, et moi j’étais là pour voir. Puis les moines s’affairèrent autour de l’imposante machine et le bourret commença alors à s’écouler. Comme le jus clairet tout au début l’avait été, il fut verser dans des fûts. J’avais remarqué que les fûts n’étaient jamais bouchés et que très rapidement une mousse rougeâtre odorante apparaissait tout au-dessus. J’appris sans très bien comprendre, que c’était le processus de fermentation, transformant le sucre en alcool.
C’est toujours de mon observatoire, assis dans l’escalier que j’entendis une nouvelle conversation concernant Déodat Barasc. Cette fois c’est mon oncle Hugues de Cardaillac, le frère de notre mère, qui s’en plaignait.
– Déodat Barasc est un voyou, et un traître. Dans son château de Cabrerets, ce mécréant héberge toujours une escouade d’anglais prêts à en découdre. De vrais diables à ce qu’on dit. Et il pense que ça lui donne le pouvoir de faire la loi, mais il se trompe. On doit lui donner une leçon. Avec son moulin de Cabrerets c’est la concurrence déloyale qu’il nous fait. Au lieu de conserver un dixième de la farine, il n’en conserve qu’à peine la moitié. Ça ne peut pas durer, il faut donner une bonne leçon à ce mécréant. Mon frère sollicite ton aide Déodat.
– Parle Hugues, quel est le plan de Bertrand ?
– C’est très simple, nous allons détruire son installation, empêcher son moulin de fonctionner. S’il ne peut plus moudre, ses clients seront obligés d’aller ailleurs et ailleurs c’est nous. Le temps qu’il fasse des réparations, ça durera des mois. D’ici là, nous trouverons autre chose. Nous avons une douzaine d’hommes sûrs, mais il nous en faut beaucoup plus. Il nous faudra faire vite, peut-être devront-nous affronter les Barasc et leurs amis anglais. Pour ça nous avons besoin d’hommes aguerris.
Un plan fut mis en place pour le surlendemain, et c’est là que je compris que mon grand frère Bertrand en faisait partie.
– Il a quinze ans, il est brave, c’est un homme à présent. Il est temps pour lui d’apprendre l’art de la guerre. Cette petite expédition sera très profitable. Je suis persuadé que nous ne trouverons aucune résistance.
J’étais surpris que mon père entraine mon grand frère dans cette expédition. Il y avait quelques semaines à peine, nous sautions ensemble, nous amusants comme des gamins que nous étions dans les cuviers de grappes. Mon frère avait certes plus du double de mon âge. Avec Arnaud, ils n’avaient pas hésité à nous défendre contre un loup. Mais je ne le voyais pas encore croiser le fer avec ces damnés anglais. Surtout ceux du château de Cabrerets que l’on disait très violents et sanguinaires.