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Michel ZORDAN présente des extraits de ses romans. Il se laisse également aller à quelques réflexions sur l’actualité.

08 Jun

Gaillard de la Popie, seigneur de Saint-Cirq

Publié par Michel Zordan  - Catégories :  #le seigneur de Saint-Cirq

Saint-Cirq-la PopieEpisode 1 - Contes et légendes ? Dans ce récit, fiction et histoire se mêlent et s’entremêle…

 

En 1259 le Capétien Louis IX, dit Saint-Louis, et le Plantagenêt Henri III, signe à Paris un traité qui abandonne à l’Angleterre un grand nombre de provinces du Sud-Ouest. Le Quercy, la Gascogne, le Limousin, le Périgord, la Guienne, l’Agenais, la Saintonge et une partie de la Charente, passe officiellement sous suzeraineté Anglaise. Cet accord censé apporter la paix, sera au contraire l’élément déclencheur de la Guerre de cent ans.

 

Dans les mois qui suivirent, plusieurs seigneurs du Quercy et non des moindres se rebellent. Les anglais n’ont rien à faire chez nous. Chez nous, c’est la truffe, le foie gras, le confit d’oie et de canard. L’agneau du Quercy, les salaisons de pourceaux, les génisses Aubrac, le fromage de chèvres, l’huile de noix, et le vin de Cadurcia. Rien à faire des pâtisseries gélatineuses, du pouding, des rôtis bouillis et de l’eau chaude sucré. Chez nous, la gastronomie était un art, pas un truc juste bon à se caller l’estomac. Conscient du cataclysme qui risquait de s’abattre sur eux, les La Popie, les Cardaillac, les Barasc, les Gourdon, les Barasc, et bien d’autres, hommagaient une grande part de leurs biens, au comte Alphonse de Poitiers. Alphonse de Poitiers, comte de Toulouse n’était autre que le frère de Saint-Louis,Roi de France. Mais chacun n’y voyait pas les mêmes intérêts.

 

 

Je me présente, Gaillard de la Popie, né à Saint-Cirq le 6 mars de l’an 1253. Fils de Galhard de la Popie et d’Ermengarde de Cardaillac .

 

Je suis le benjamin, le petit dernier d’une famille de quatre garçons. Mes grands frères se prénomment Bertrand, Arnaud, et Pons. Notre lieu de vie, le château de Saint-Cirq. Accroché à la falaise, bien ancré sur son piton rocheux, il domine d’un œil protecteur la rivière Lot. Lorsque je regarde par la fenêtre de ma chambre, je la vois s’écoulant, de boucle en boucle, vers Cahors, sise à dix lieues plus au nord. C’est l’un de nos ancêtres qui le fit construire là, pour veiller sur les gabarres transportant les marchandises au fil de l’eau. Hugues de Cardaillac mon oncle, est aussi seigneur de Saint-Cirq pour un quart. Hugues de Cardaillac, est le frère de notre mère Ermengarde, et sa femme Guiscarde de la Popie, est la sœur de notre père. Au début du siècle, lors de la Croisade des Albigeois ce n’était pas l’entente cordiale entre les Gourdon, les La Popie et les Cardaillac. Les Gourdon et les Lapopie avaient rejoints le camp de Simon de Montfort, alors que les Cardaillac rejoignaient celui du comte de Toulouse. Depuis les choses se sont bien arrangées, et l’entente est plus que cordiale. Deux autres châteaux sont érigés dans la partie basse de Saint-Cirq, celui des Cardaillac et celui des Gourdon. Ils sont de moindre importance. C’est le notre, celui des La Popie qui domine. Mon grand-père Déodat de la Popie et ma grand-mère Guenièvre de Gourdon habitent le château de Cénevières à deux lieues et demie en amont.

 

Mon premier véritable souvenir, je devais être âgé de presque cinq ans. C’était un jour de janvier par très grand froid. Une épaisse couche de glace recouvrait le Lot, et depuis plusieurs jours déjà la neige tombait, n'accordant que peu de répit. Avec mes grands frères, nous nous étions aventurés sur le chemin qui donnait à la rivière. Pas plus d’une demi-lieue. Mais c’était certainement l’une de mes toutes premières sorties, sans ma mère, ou ma nourrice, aussi éloignée du château. D’habitude mes grands frères, Bertrand treize ans, Arnaud douze, et Pons onze ans partaient à cheval. Mais par ce temps, pas question. Ils n’avaient été autorisés à sortir qu’à la condition d’amener avec eux leur plus jeune frère, moi. Une façon pour notre père de pourvoir à mon éducation. L’endurcissement physique faisait partie de l’apprentissage de la vie. Pour moi cette balade c’était mes premiers pas d’homme, j’étais très fier. Nous marchions à la queuleuleu, nos bottes s’enfonçant profondément dans la neige fraîche. Encadré par Bertrand, Arnaud et Pons, tous trois armés, je me sentais vraiment en sécurité. En plus de la dague à leur ceinture, Bertrand et Arnaud avaient sur leur épaule un véritable arc et de véritables flèches dans leur carquois. Un cadeau d’anniversaire de grand-père Déodat, pour leur douzième anniversaire. Fabriqué à leur intention par son armurier. Pour Pons, l’arc serait pour bientôt. Le ciel était bas, quelques nouveaux flocons faisaient leur apparition et le jour commençait déjà à éteindre ses lumières. Entre chien et loup, sournoise, profitant de l’aubaine, la pénombre s’installait. Heureusement, la blancheur de la neige contrariait ses plans. La nuit n’était plus très loin, mais je me sentais en totale sécurité. De temps à autre Bertrand s’arrêtait, montrant au sol des traces d’animaux. Sus scrofa, renard, belette, putois, fouine, lièvre, lapin, grive, merle, et même rouge- gorge, pinson et mésange traquaient une bien maigre pitance.

 

Durant quelques centaines de pas nous suivîmes des pieds de bête noire. Lorsque Arnaud et Bertrand armèrent leur arc, j’en déduisis que l’animal n’était sûrement plus très loin.

 

Lorsque j’entendis Arnaud crier : – prenez garde,  derrière ! Je me retournai pour apercevoir à moins de dix pas, non pas sus scrofa, mais un gigantesque loup. Gueule entrouverte, queue droite, légèrement ondulante,babines retroussées, canines bien dégagées. Très rapidement la première flèche partie, lui léchant les poils du dos. Celle de Bertrand fit mouche, pénétrant le poitrail. La bête eut alors un petit mouvement de recul. Mais elle revint à la charge, prenant appui, prête à se catapulter sur nous. Cette fois le trait d’Arnaud l’atteignit à la cuisse avant gauche et celui de Bertrand sur le flanc droit. L’animal n’insista pas et s’enfuit dans les fourrés. Je n’avais pas eu le temps d’avoir peur, mais plus question de chasser sus scrofa. Le retour s’amorça prudent, toujours prêt à faire face. À peine arrivé, Bertrand raconta à notre père. Le lendemain, un peu avant midi, notre mère m’accompagna dans la cour. Le loup était là, occis. Dans la matinée, une battue avait été organisée  par le lieutenant de louveterie. La bête blessée était retrouvée aux portes du village et achevée. J’avais l’impression que ses gros yeux me fixaient. Le rictus de la mort laissant entrevoir ses énormes canines, du sang suintait de sa gueule. J’étais presque moins rassuré que la veille. Papa dû s’en apercevoir et me prit alors dans ses bras.

 

  –Tes frères m’ont dit que hier, tu avais été très brave, et tu n’avais point eu peur, c’est très bien. Je vais faire préparer la peau, en cape. Nous l’installerons au pied de ton lit. Tous les soirs et tous les matins tu pourras y faire tes prières.

 

Ce loup n’était sûrement pas seul. Affamés ils avaient dû descendre des causses et se rapprocher des villages. Un danger à ne pas négliger, il était temps d’avertir la population, surtout la plus isolée. Durant les jours qui suivirent les battues se succédèrent. Mon grand-père Déodat et mon oncle Hugues s’invitèrent à la fête. Le soir du haut de mes presque cinq ans, après que ma mère ou ma nourrice m’eut couché, je me relevai en cachette. Je retournai alors vers l’escalier, juste derrière la cheminée de la salle d’armes. Plusieurs petites ouvertures avaient été aménagées dans le mur, permettant à la chaleur de diffuser dans les étages. Très souvent Pons me rejoignait. Lui était âgé de onze ans. Caché là, assis sur une marche, nous écoutions les grands raconter les histoires de la contrée. Une des plus terrifiantes s’était déroulée à la Tour-de-Faure. Pas très loin de chez nous. Une horde de loups s’invitait dans une bergerie, tuant et massacrant tous les animaux. La bergère, et son jeune frère voulant sûrement défendre les moutons s’étaient fait massacrer à leur tour. Ils ne furent retrouvés que le lendemain, à moitié dévorés. Une autre, me fit faire des cauchemars horribles. Celle d’un mendigot retrouvé gelé pas très loin du cimetière. Les loups avaient tenté de le dévorer, mais tellement endurcit par le gel, ils durent renoncer. C’est de cet endroit que j’entendis pour la première fois mon grand-père Déodat parler d’un autre Déodat, mais un Barasc celui-là. Il semblait très en colère contre lui. Je ne compris pas tout des griefs que mon grand-père avait contre lui.

 

Le froid mordant, bien ancré poursuivit son œuvre jusqu’à fin janvier. Début février, le redoux s’annonça timidement. Le temps resta quand même très rude. Durant toute cette période, ni moi, ni même Pons n’avions le droit de sortir du château. Bertrand et Arnaud, le pouvaient, mais seulement en compagnie des plus grands.

 

 

Puis vint le jour où mon père apporta la cape du loup dans ma chambre, sa tête, gueule entrouverte fixant la porte d’entrée. La première nuit, je ne pus fermer l’œil. Mais je n’en disais rien à ma mère et encore moins à mon père, ni même à mes frères. Et puis, après quelques nuits tourmentées, je finissais par m’y habiter allant même jusqu’à compter les crocs du fauve. Tentant de lui fermer les yeux, m’amusant à lui faire des grimaces, mimant les gestes de mes grands frères, lorsque qu’il s’était attaqué à nous. Après quelques jours, il était devenu mon copain. Ensemble nous partions guerroyer jusqu’à Cahors, Cajarc ou même Limogne.



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