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Michel ZORDAN présente des extraits de ses romans. Il se laisse également aller à quelques réflexions sur l’actualité.

10 Oct

les raisons de l'exil : Cosette et Jean Valjean

Publié par Michel Zordan  - Catégories :  #Un auteur du Sud Ouest

    ledependant3fevrier1930Tome 1, Les Raisons de l'exil – Série Les Exilés de L’Arcange -ISBN-978-2-9532863-0-4- Auteur Michel ZORDAN

 

En passant sur l’avenue de la Grande-Armée, papa s’arrêta devant une porte cochère. Ses yeux fixaient une plaque sur laquelle était gravé « Fasci di combattimento ».

 
– Ces individus sont des voyous et des assassins. Comment les responsables politiques de ce pays ont-ils pu laisser les fascistes s’installer sur une si belle avenue ? J’espère que les Français ne se laisseront pas influencer par leurs belles paroles. N’ont-ils pas compris que…

Il avait suffi de quelques mots gravés sur cette petite enseigne pour voir resurgir la colère et la haine dans les yeux de papa. Notre père n’était pas homme à se donner en spectacle, pourtant, son haussement de ton avait déjà détourné vers nous quelques regards. À quelques mètres sur le trottoir, je remarquai une femme qui nous observait attentivement. Lorsque Mariéta entraîna papa, elle s’engouffra dans l’immeuble. À Floréal, nous n’avions accès qu’aux choses ordinaires, et cette distance nous protégeait de la réalité de la vie. Ici, l’ordinaire côtoyait l’extraordinaire et l’inacceptable, sans que personne y trouve à redire. Une pensée me réchauffa le cœur. Les fascistes n’étaient peut-être pas si fiers que cela d’arborer leur nom sur cette prestigieuse avenue, puisqu’ils l’avaient mentionné en italien et non en français. Autant dire que peu de gens savaient qui ils étaient vraiment.

Au 32, rue des Loges, chaque fois que Mariéta prenait l’ascenseur pour le quatrième étage, les mêmes visions envahissaient son esprit. C’étaient toujours les mêmes images, pourtant, elle ne parvenait pas à faire le point, tout restait flou et confus. Au début de son séjour, elle mit ça sur le manque d’habitude. Mais, depuis, elle avait repris l’ascenseur dans d’autres circonstances, comme à la tour Eiffel par exemple, et elle n’avait rien ressenti d’anormal. Mariéta savait que quelque chose de pas ordinaire se passait. Elle avait l’impression de recevoir un signal, mais elle avait beaucoup de difficultés à le décrypter. Était-ce de nouveau la Demoiselle blanche ? Il y avait bien longtemps que celle-ci ne s’était plus manifestée. Voulait-elle lui faire comprendre certaines choses ?

Papa semblait avoir oublié l’incident de l’avenue de la Grande-Armée, mais je savais qu’il n’en était rien.

Chaque jour, il y avait une ou plusieurs visites au menu. Florette nous entraîna vers le Sacré-Cœur, basilique de style byzantin élevée à la fin du dix-neuvième siècle. Ensuite, vers Notre-Dame-de-Paris, chef-d’œuvre de l'art gothique français, érigée de 1163 à 1345. La visite se poursuivit par le jardin du Luxembourg. Les après-midi, papa rentrait tôt pour passer un peu de temps avec Edmonde de Barsac. La Dame en blanc et notre père consacraient quotidiennement une à deux heures aux recherches sur Henri de Barsac. Papa apprit beaucoup sur la famille de la Dame en blanc, mais la tâche s’avérait fastidieuse. Dans les malles, rien n’était vraiment rangé, les lettres et les écrits s’étaient entassés çà et là, au hasard des déménagements et des décès. Florette, Mariéta et moi, nous n’étions de retour que vers six ou sept heures du soir. Pour vendredi, Florette avait programmé la visite du château de Versailles. Et, pour samedi, celle de l’exposition coloniale internationale qui se situait porte Dorée, dans le bois de Vincennes. Pour ces deux dernières visites, Edmonde de Barsac souhaitait se joindre à nous. Lucien Vermeil nous conduirait dans la Mercedes.

Plusieurs fois, alors que nous circulions à pied dans les rues de la capitale, il m’avait semblé apercevoir la femme qui s’était engouffrée dans l’immeuble de l’avenue de la Grande-Armée. Je n’avais pas osé en parler à papa, ni même à Mariéta ou à Florette. À chaque fois, les images étaient furtives, imperceptibles, presque irréelles. Mais peut-être était-ce mon imagination qui me jouait des tours. Après tout, pour quelle raison cette femme nous surveillerait-elle ?

Cette semaine était passée trop vite, beaucoup trop vite. Nous avions fait le plein de souvenirs. Nous avions découvert un autre univers, un pays qui paraissait enchanté, où tout semblait facile…, enfin presque. Toutes ces automobiles, ces immeubles de luxe avec leurs ascenseurs, ces restaurants, ces salles de spectacles, et les beaux magasins. Ces trains qui circulaient sous terre, et dans toutes les rues, la lumière électrique qui demeurait allumée toute la nuit. C’est devant l’un de ces hôtels de luxe que, pour la première fois de ma vie, je pus voir un homme noir. Il était revêtu d’un habit impeccable de couleur rouge, avec d’imposantes épaulettes, qui le faisaient ressembler à un musicien de fanfare. Je restai bêtement à le fixer, mais Mariéta me tira par le bras. Florette m’expliqua qu’il était le portier de l’hôtel. Son rôle consistait à ouvrir les portières des véhicules qui arrivaient et à aider éventuellement les passagers à en sortir. Elle m’expliqua que pouvoir disposer d’un homme de couleur pour ce travail était très classe.

Nous avions aussi découvert le revers de la médaille. Pour la première fois de ma vie, j’avais vu des hommes, et même une femme, qui mendiaient. Florette nous avait laissé entendre que la plupart d’entre eux étaient dans la force de l’âge et qu’ils pouvaient travailler. Leur donner de l’argent ne faisait que les encourager à demander l’aumône. C’était peut-être en partie vrai, mais à deux reprises je m’étais avancé pour glisser une petite pièce dans la main tendue.

Juste pour essayer de comprendre, Mariéta était plusieurs fois remontée au quatrième par l’ascenseur, mais elle n’avait toujours pas élucidé les raisons de ses perceptions imagées. Elle ne s’était confiée à personne. Peut-être lors d’un prochain séjour, avec un peu de recul, elle comprendrait.

Moi non plus, je n’avais pas demandé à Edmonde la raison pour laquelle ce même ascenseur ne s’arrêtait pas au troisième.

Maintenant, la famille Montazini allait retourner dans son monde, ce soir, nous serions de retour à Floréal. Papa n’avait rien pu découvrir de plus concernant le séjour de Henri de Barsac à L’Arcange. Devant son obstination, la Dame en blanc avait promis de poursuivre les recherches. Elle m’avait également demandé de choisir autant de livres que je le souhaitais sur les étagères qui se trouvaient au quatrième. Je rentrai à Floréal avec une trentaine d’ouvrages traitant de différents thèmes. Sur le chemin du retour, j’entrepris de lire le premier tome des Misérables. Victor Hugo avait commencé à écrire ce chef-d’œuvre en 1845, il l’avait ensuite oublié quelques années pour le reprendre en 1860 avant sa publication en 1862. J’étais fasciné par les personnages de Cosette et de Jean Valjean.

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