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Michel ZORDAN présente des extraits de ses romans. Il se laisse également aller à quelques réflexions sur l’actualité.

23 Aug

Jean, Maître de chai, ou les justiciers de Saint-Jacques

Publié par Michel Zordan  - Catégories :  #Bibliographie Michel Zordan, #contes et légendes, #Un auteur du Sud Ouest, #rentrée littéraire, #Jean, Maître de chai

Collection contes et légendes - Nous sommes en l’an 1356, la France traverse le conflit le plus long de son histoire : la Guerre de Cent Ans. Depuis la capture début septembre, à Poitiers, par les Anglais, de Jean II le bon, c’est la débandade dans tout le royaume de France, tout le pays est à feu et a sang. Les grandes compagnies de routiers, bandes de voyous sans foi ni loi, dépeceurs, coupe-jarrets, crevures vermines, et bandits de grands chemins en tous genres, s’en donnent à cœur joie. Charles, le dauphin, ne sait plus où sont ses amis, ni même ses ennemis. Un conseil de trente-six membres est institué, le prévôt des marchands, Étienne Marcel tente de faire face.

Un matin du mois d’octobre,  Jean, Maître de chai à Villecomble d’Armagnac prend la route, vers Compostelle. Un terrible malheur vient de le frapper.  Lorsqu’il parvient au monastère de Madiran, il prend conscience que ce chemin lui a peut-être été tracé, par une force divine, pour une épreuve bien particulière.  Cette force divine,  ne va pas s’arrêter là,  et le poussera, bien plus loin.  Durant plusieurs mois, il avancera, sans véritable contrainte, conscient  d’accomplir volontairement, un chemin de croix, une pénitence censée l’absoudre d’un péché qu’il aurait  commis.  

 

Jean, Maître de chai - Les justiciers de Saint-Jacques  - 195 pages 

Je suis Jean, Maître de chai, enfin j’étais… au château Lapeyrade, fief du vicomte de Villecomble. C’est un mardi du début du mois d’octobre de l’an 1356, entre chien et loup, que je parviens enfin à Madiran, petite bourgade du piémont pyrénéen. Je devais m’éloigner, ma seule idée sur l’instant, m’enfuir au plus vite. J’ai alors réuni quelques guenilles, quelques nourritures, et j’ai quitté la petite grange dans laquelle un ami m’avait recueilli et caché à Lagraulet. Ils auraient fini par me retrouver, alors j’ai fait ce que je devais faire, partir. C’est seulement après deux à trois lieues que l’idée m’est venue. Je ne pouvais pas aller nulle part, sans but, c’est alors que l’idée d’entreprendre un pèlerinage à Compostelle m’est venue. Depuis mon départ, j’ai marché sans discontinuer. Je ne me suis accordé que quelques haltes, au hasard des granges et des abris rencontrés aux abords du chemin. La pluie, je suis parti avec, elle m’a accompagné tout du long. Douze lieues que je marche et douze lieues qu’elle me trempe de la tête aux pieds. Arrivé à Madiran, je n’en peux plus, la grande rue est déserte, mais j’avise l’échoppe du talmelier.

– Bien le bonjour talmelier, j’arrive de bien loin, je tombe sous la fatigue, peux-tu m’indiquer un endroit où je pourrais reposer et sécher ma pauvre carcasse ! J’ai quelques sous, je peux payer pour un bol de soupe et une paillasse. Je peux même aider !

– Bien le bonjour jacquet, c’est ma foi vraie que tu as l’air fatigué et mouillé comme une panosse. Tu peux toujours te rendre au monastère, les vendanges sont à peine commencer. Le travail ne manque pas, et tu n’as pas l’air d’un fainéant. Si tu les aides, les moines pourront sans doute te garder quelques jours. Le temps de te refaire une santé. Leur vin est très bon, enfin, le blanc… le rouge, si tu le bois avant le solstice d’hiver, ça peut aller, après il te tord l’estomac, plus encore que l’arsenic.

C’est frère Eustache qui me reçoit. Les jacquets sont de la main-d’œuvre pas chère, et qui se contente de peu, encore faut-il pouvoir les retenir.

– Bien le bonjour mon fils. Une paillasse pour la nuit et un bol de soupe bien chaude, c’est avec grand plaisir. Mais je crois que le plus urgent pour toi, c’est encore de faire sécher tes vêtements.

Même si les moines se doivent de faire acte de charité chrétienne, en ces temps pas très catholiques, l'habit ne fait pas le moine, et la prudence est de mise. Il suffit toutefois de quelques petites questions, sans y paraître, pour trier le bon grain de l’ivraie. Mais lorsque je dévoile mon métier, Maître de chai, je comprends que frère Eustache ne peut pas me laisser repartir.

– Maître Jean, tu m’as l’air d’un homme plein de sagesse, et seule l’ignorance a pu te laisser croire que tu pouvais entreprendre ce pèlerinage en automne. Mais crois-moi, cette décision est malheureuse, dans quelques jours, plus loin au pied des montagnes des Pyrénées, les neiges précoces vont sans doute commencer à tomber, et tu vas geler sur pied. Il paraîtrait, que du côté de Saint-Jean, au pied du port, c’est assez loin, eh bien, il paraîtrait qu’au mois de novembre dernier, dans la montagne Arradoy, tous les pieds de vigne ont éclaté sous la force du gel. Impossible de déterrer les raves, et les poireaux. Les salades étaient noires comme le diable. Il paraîtrait même, qu’on a retrouvé un berger, mort, gelé dans les estives. Ça fait froid dans le dos. Ici, tu auras une bonne paillasse, et de la bonne soupe bien chaude. C’est bientôt la saison des potirons, et notre soupe au potiron, tu te relèves la nuit pour t’en délecter. Lorsque la tâche de la journée est rude, on y ajoute quelques topinambours, quelques navets, et même parfois, quelques tranches de lard. Sauf bien sûr, les jours maigres. Le matin, tu auras du lait à foison, et même une ou deux tranches, de bon pain et du fromage. Et du vin, du meilleur, tu pourras en boire autant que tu en veux. Enfin, le soir… Nous autres moines, nous prions beaucoup, toi, tu ne seras pas obligé. Et au printemps prochain, quelques jours avant le solstice d’été, après le soutirage, les bons jours reviendront et tu pourras repartir pour ton périple vers Saint-Jacques. Tu emporteras quelques provisions et du bon vin à foison. Alors, tu en dis quoi ?

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