Les derniers cahiers

Extrait : J’écris une deuxième lettre, à Amandine ma Blondinette et je décide de la délivrer moi-même. Depuis ma visite surprise du début décembre, nous nous sommes rencontrés à quatre reprises. Peu à peu, notre relation évolue, peu à peu nous osons des gestes, des comportements. Même dans les lettres que nous échangeons, nos écrits sont différents. Ils s’imprègnent de nos sentiments qui se transforment, des sentiments qui nous conduirons tout droit vers ces instants irréversibles qui modifieront à tout jamais notre relation. Cet après-midi-là, les parents d’Amandine prétextent d’une visite chez des amis pour nous laisser en tête à tête. Nous savons que c’est l’heure, l’heure de passer définitivement le gué, pour enfin nous retrouver de l’autre côté, sur l’autre rive. Nous connaissions les gestes, nous les avons maintes et maintes fois répétés, nous arrêtant toujours au bord de la falaise. Cette fois, nous n’hésitons plus et sautons ensemble dans le vide.
Nous sommes maintenant sur la rive des grands, avec notre amour comme seul bagage, pour tenter de traverser le plus grand océan qui soit : la vie.
J’aurais voulu arrêter le temps qui passe, ce temps qui diminue les bons moments et allonge ceux qui le sont moins pour rendre interminables les atrocités auxquelles le monde est confronté. Maintenant il est l’heure, celle de repartir vers cette existence que j’ai tenté d’imaginer, mais qui ira de toute façon bien au-delà de l’imaginable. Lorsque je lui remets la lettre, je comprends qu’elle a compris. Je lui parle de mes intentions et des conséquences.
– Tu n’auras pas de mes nouvelles et tu ne pourras pas m’en donner. Mais tu seras toujours près de moi ; ma force, mon courage, ce sera toi. Lorsque je reviendrai, tout sera terminé et nous pourrons vivre ensemble, pour toujours.
Quelques larmes perlent tout au fond de ses grands yeux bleus, mais à aucun moment elle n’essaye de me dissuader. Les adieux qui n’en finissent pas ne servent à rien, sinon à souffrir plus encore. Et pleurer devant une femme, cela ne se fait pas, alors je ne m’attarde pas, ouvrant et refermant rapidement la porte sans même me retourner. Lorsque j’arrive dans la rue, l’émotion est trop forte. Je voudrais revenir sur mes pas, la prendre dans mes bras, pour quelques instants encore, juste quelques instants. Pour lui demander pardon, pardon pour cette souffrance que je nous inflige, mais ce n’est plus possible, la porte est déjà refermée. Je n’ai plus qu’une seule issue : tout faire pour qu’un jour je puisse de nouveau l’ouvrir.