La petite grenouille qui rigolait

extraits - Les images sont toujours les mêmes. Ces dernières semaines, c’était, une fois, de temps à autre. Mais depuis quelques jours, c’est récurrent, je me couche, elles rappliquent juste avant que je m’endorme complètement. Je suis encore dans un état de semi-conscience, lorsqu’elles apparaissent sous forme de séquence, style film amateur super 8, et elles tournent en boucle. Je finis par m'endormir, et je me réveille, et rebelote… Je n’arrive à retrouver le vrai sommeil, qu’exténué, après de longues heures. Rapidement, le déclic s’est produit. Le petit bonhomme qui marche, c’est moi. Je dois être âgé de deux, peut-être trois ans. Mon grand-père, ma grand-mère, mon grand frère et ma grande sœur sont à une cinquantaine de mètres, autour de la charrette attelée à Bastille, occupés à charger du foin. Assis sur une couverture à l’ombre d’un gros chêne, vêtu d’un pantalon, d’un débardeur bleu, et de bottines vertes, je les regarde. Puis je me lève et marche vers eux. Le sol est inégal, et rapidement je tombe. Je me relève pour retomber aussitôt. C’est à cet instant que je l’aperçois. Une minuscule rainette verte. Dans ma petite tête, les grenouilles, ça vit dans l’eau, pas au milieu des prairies. J’en déduis que la petite grenouille s’est perdue et qu’elle ne sait pas retourner vers sa maison, qui doit se situer dans la grande mare au bord du chemin. Aussitôt je tente de l’attraper, mais elle saute, une, deux, puis trois fois. Trop compliqué de poursuivre debout, et me voilà à quatre pattes dans l’herbe rase. Je parviens enfin à m’en saisir. Elle gigote beaucoup, mais c’est normal, elle ne me connaît pas. Loin de ses parents, de sa famille, elle doit avoir très peur.
– Ne t’inquiète pas petite grenouille, je te ramène chez toi.
Je me relève, voilà c’est fait, la minuscule grenouille verte est maintenant dans le creux de mes petites menottes. D’un pas chaotique je me dirige vers la mare. Je parviens enfin au bord de l’eau, je sais que je ne dois pas m’en approcher, mais il s’agit de sauver une grenouille. Au creux de mes menottes, la petite se tient bien tranquille, trop tranquille. Lorsque j’ouvre, la pauvre ne semble plus respirer, j’ai dû la serrer un peu trop fort. Je la regarde un petit instant, puis je décide à la remettre quand même dans l’eau, au moins les siens retrouveront son corps. La grenouille s’enfonce très doucement sur le dos, pauvre petite, puis j’entends grand-mère qui m’appelle.
– Bruno, reviens par ici, la mare c’est dangereux, reviens tout de suite !