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Michel ZORDAN présente des extraits de ses romans. Il se laisse également aller à quelques réflexions sur l’actualité.

17 Nov

Un exil plus loin

Publié par Michel Zordan  - Catégories :  #Un auteur du Sud Ouest, #les exilés de l'arcange, #Michel Zordan

La Cucaracha, la Cucaracha… une fois, puis deux fois. Assis à même le pont, le dos appuyé contre le bastingage, je sifflote. Et plus je sifflote, et plus...

Fin 1929, pour échapper à la vindicte d’un fasciste fanatique papa décide de notre exil en France. Le 3 février 1930, la famille Montazini, Émilio, mon papa, Mariéta ma grande sœur et moi Sylvio arrivons en Gascogne, dans le Gers. C’est au château Tourne Pique, dans la bourgade de Floréal que nous posons nos valises. À peine quatre mois plus tard, le capitaine Aristide Clément Autun, propriétaire du château, propose à papa d’acheter la ferme de L’Arcange. Délaissée depuis plusieurs années, ses terres sont réduites à l’état de friches, mais cela nous est complètement égal. Nous sommes les plus heureux au monde, nous avons  enfin une maison bien à nous et l’important est là…

Port de Douvres, lundi 3 novembre 1947

La Cucaracha, la Cucaracha… une fois, puis deux fois. Assis à même le pont, le dos appuyé contre le bastingage, je sifflote. Et plus je sifflote, et plus le sentiment de révolte et de haine monte en moi. Seul papa avait compris ce que je ressentais vraiment. Aujourd’hui je dois m’éloigner. Mais pour éteindre définitivement cette révolte, cette haine, il n’y avait qu’une solution, revenir plus tard et débarrasser le monde de ces infâmes cafards. Et des autres, plus infâmes encore qui se cachaient derrière…

 

Le jour pointe son nez, et je suis l’un des premiers à monter à bord du SS Andes. À peine sur le pont, une tripotée d’enfants, garçons et filles, encadrés par deux adultes se pressent sur la passerelle. Ils marchent bien rangés, chacun portant un baluchon, un peu à la façon de petits soldats. La plupart n’ont pas plus de 7 à 8 ans – à peu près mon âge, lors de mon arrivée en France.

Ce paquebot n’est pas des plus luxueux, ni même des plus jeunes, mais l’essentiel est qu’il nous mène à bon port, dans l’hémisphère Sud à quelques seize mille kilomètres de la France. Transformé en navire de guerre en 40, puis démobilisé fin 45, repeint à la va-vite, le SS Andes a repris du service en tout début d’année pour être affecté aux transports des migrants vers l’Australie.

Vers 9 heures le navire largue les amarres et je me dirige vers la salle à manger en quête du petit déjeuner. J’ai déjà pu constater durant les quelques mois passés en Angleterre, pendant la guerre, que nos divergences en matière de gastronomie sont abyssales. En contrepartie, leur full breakfast, même indigeste, vous cale l’estomac de très longues heures. Faut-il encore pouvoir l’avaler !

Il n’y a que quelques personnes assises dans une grande salle tout en longueur. Après cinq à six minutes d’attente, et sans même un bonjour, un serveur aux allures de baroudeur de gargote dépose devant moi une tasse de thé bouillante, accompagnée d’une assiette fumante, aux odeurs de graisses brulées. Le bacon façon semelle côtoie des œufs mal cuits, visqueux, et des saucisses huileuses. Le tout agrémenté de pommes de terre écrasées baignant dans une sauce rosâtre. Je n’ai pas le choix, je suis condamné presque deux mois durant à ce régime, je dois absolument m’adapter. Et les Australiens, sont-ils plus respectueux des estomacs que leurs congénères Anglais ? Je constate que quelques autres passagers ont une opinion identique à la mienne, touchant à peine à leur assiette. Sans trop réfléchir je me lance à l’assaut… Je dois seulement penser à autre chose et je repense alors aux enfants montés à bord : qui sont-ils ?

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