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Michel ZORDAN présente des extraits de ses romans. Il se laisse également aller à quelques réflexions sur l’actualité.

20 Oct

Les prémices

Publié par Michel Zordan  - Catégories :  #les exiles de l'arcange, #Michel Zordan, #roman, #rentrée littéraire

Les prémices

978-2-9532863-2-8 - 444 pages- Auteur Michel Zordan

Extrait : Ce soir-là, en rentrant à L’Arcange, une Torpédo noir et gris nous attendait dans la cour. Une vieille connaissance nous rendait visite : Lucienne Balland, la responsable du mouvement antifasciste gersois. Je m’avançai pour lui dire bonjour, puis prétextai aussitôt une visite à ma cabane pour laisser papa en tête à tête avec elle. La dernière fois que je l’avais vue à la ferme, nous étions en pleine tourmente ; je me demandais ce qui avait pu motiver sa venue !

– Allez les chiens, on y va !

Lorsque j’entendis le moteur redémarrer et quitter la cour, j’amorçai mon retour vers la maison.

– Alors papa, elle nous voulait quoi cette dame ?

– Elle souhaitait me prévenir que le commissaire de l’Aquila, Mario Estellio, a été arrêté, avec quelques-uns de ses amis. Il va passer en jugement prochainement pour haute trahison et notre affaire risque de ressurgir. Je lui ai parlé des Italiens que vous avez vus en grande conversation avec Chapignard. Elle a paru assez contrariée. Je lui ai donné le numéro de la voiture, peut-être pourra-t-elle en savoir un peu plus que notre gendarmerie ! En tout cas, elle m’a conseillé de faire très attention.

– Mais nous sommes des réfugiés politiques maintenant, les autorités italiennes ne peuvent plus rien contre nous ?

– Bien sûr, mais les fascistes peuvent toujours utiliser d’autres méthodes, tu en sais quelque chose. J’avertirai Yvan Laterre, mais sois bien prudent, ne pars plus jamais seul sur les routes. Garde en permanence Patou et Victor avec toi. Ne t’inquiète pas trop quand même, c’est moi qu’ils veulent et ils savent que je sais me défendre.

– Et pour Mariéta à Paris ?

– Dès demain, j’appellerai Edmonde pour la mettre au courant, mais je suis persuadé qu’ils ne s’en prendront pas à vous deux.

Ces nouvelles n’étaient pas très bonnes, mais nous étions habitués à vivre dans le doute, et la vie devait suivre son cours. Je savais que papa veillait sur nous et sur lui.

Dans les deux à trois jours qui suivirent, Adolphe Chapignard se rendit chez plusieurs paysans de la commune de Floréal. Papa ne savait absolument pas sur quel sujet précis leurs discussions avaient porté.

Hier, ma blondinette m’avait appris que ses parents et madame Eliette s’étaient mis d’accord pour repousser son retour à Toulouse. Elle n’y retournerait qu’à la rentrée de septembre. Peut-être que la maman d’Amandine souhaitait, par ce geste, effacer l’incident qui s’était produit pendant les dernières vendanges. Les vacances scolaires venaient de commencer ; nous serions donc encore ensemble pendant plus de deux mois.

Depuis que nous habitions L’Arcange, tous les jeudis et dès le premier jour des grandes vacances, la collation chez Antoinette Rosannés était devenu un rite immuable. Aujourd’hui ma blondinette avait remplacé Mariéta. Notre amie de la ferme des Bîmes arrêtait son travail juste pour nous. Antoinette prenait un immense plaisir à nous préparer des tartines de pain, nappées d’une bonne couche de beurre, recouverte d’une généreuse couche de confiture, le tout agrémenté de cerneaux de noix. Puis, avec un immense plaisir dans les yeux, elle nous regardait déguster. Nous ne pouvions quitter la ferme qu’après avoir terminé.

Ce 14 juillet, comme tous les ans, c’était la fête à Floréal : jeux sur la place, distribution de punch, et même… un bal.

Dès cinq heures, l’estomac bien calé, nous flânions déjà sur la place ronde. Sous les platanes, les grands jouaient aux quilles, les petits se poursuivaient en piaillant. Je proposai à ma blondinette un rafraîchissement. La terrasse du café de Pierrette Malfeu étant pleine à craquer, Amandine me prit par la main et m’entraina vers l’intérieur.

– Tu me feras danser ce soir?

– Danser ? Mais je ne sais pas danser moi !

– Je t’apprendrai, tu verras, c’est facile !

– Mais d’abord, comment sais-tu danser toi ?

– C’est maman qui m’a appris !

Avant que je puisse lui demander de préciser les circonstances, un gros nuage noir obscurcit notre horizon. Devant nous se tenait Etiennette avec ses tresses brunes. Je ne trouvais pas son nez si long que ça, ni même ses fesses si grosses, peut-être un peu potelées, mais pas si grosses. Ignorant complètement ma blondinette, la brunette me fixa, un air de défit dans les yeux.

– Bonjour Sylvio, j’espère que tu n’as pas oublié ! Tu as promis de me faire danser.

Je n’avais, bien sur, jamais promis quoi que se soit, c’était encore un coup tordu de la chipie. Sans attendre ma réponse elle nous tourna le dos, comme pour repartir, mais... Elle fit quelques pas, puis pirouetta.

– Je croyais que tu t’étais débarrassé de l’analphabète ? Tu sais, tu n’es pas obligé de te la traîner partout !

En moins de trois secondes, le visage d’Amandine passa de la stupéfaction, à l’indignation puis… à la colère. Avant que je puisse intervenir, elle se leva et se jeta sur la brunette, la tirant par les tresses et la faisant chuter. Devant les clients médusés, les deux fillettes se livraient maintenant à une lutte acharnée à même le sol. Pugnace, ma blondinette pris rapidement le dessus, et les manches du chemisier de la brunette ne résistèrent pas longtemps. J’étais tellement surpris par la situation que j’en restai coi, sans réaction.

C’est Pierrette Malfeu, la patronne qui mit un terme à la bagarre.

– Qu’est-ce que c’est que ce bazar ? Si à vos âges, vous vous battez déjà pour un garçon, vous n’êtes pas sorties de l’auberge !

A peine debout, la brunette, manches défaites et tresses en détresses, tourna les talons et partit, en chouinant, vers la sortie.

Ma blondinette, elle, se calma d’un coup. Elle épousseta son bras et le côté de sa robe, remit un peu d’ordre dans ses cheveux et se rassit presque comme si de rien n’était. Ses yeux bleus étaient juste un peu plus brillants.

– Ça m’a fait du bien, il y a longtemps que je voulais la moucher cette morveuse. Elle l’a bien cherché : analphabète, analphabète, c’est elle qui fait des dictées avec plus de trois fautes par mot. Et puis, je sais que tu ne lui as rien promis ! Tu ne lui as rien promis, n’est-ce pas ?

– Bien sur que non, tu le sais bien. Elle a fait ça parce qu’elle est jalouse, c’est tout !

– Tu crois qu’elle va revenir avec sa mère ?

– Vu l’état de son chemisier, je pense que oui. Il vaudrait mieux ne pas traîner ici et revenir ce soir avec papa et madame Eliette.

Dans la soirée, Pierrette Malfeu nous expliqua que madame Rambalin était effectivement venue demander des éclaircissements. La patronne du café avait répondu que c’était sa fille qui avait déclenché les hostilités.

A plusieurs reprises, Amandine m’entraîna sur la piste. Rapidement je compris que de nombreuses leçons seraient nécessaires avant que les pieds de ma partenaire ne soient complètement épargnés. On ne vit pas les Rambalin de la soirée.

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