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Michel ZORDAN présente des extraits de ses romans. Il se laisse également aller à quelques réflexions sur l’actualité.

14 Jun

les raisons de l'exil

Publié par Michel Zordan  - Catégories :  #Un auteur du Sud Ouest, #roman, #rentrée littéraire, #livres d'occasion, #les exilés de l'arcange, #Littérature, #Loisirs&Culture, #Littérature BD & Poésie, #Michel Zordan, #médias

les raisons de l'exil
les raisons de l'exil

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Extrait - Mardi matin, papa avait rendez-vous avec le puisatier qui devait restaurer l’intérieur du puits. Plusieurs pierres étaient déjà tombées dans le fond, et toute la structure menaçait de s’effondrer.

Lorsque je le rejoignis au bord du puits, l’homme était déjà descendu tout en bas à l’aide de la chaîne et du seau qui servait à puiser l’eau. Il souhaitait se rendre compte de l’étendue des dégâts. Quand j’entendis sa voix, demandant à papa de le remonter doucement, j’accusai un léger mouvement de recul. Les sons émis par l’homme semblaient venir d’outre-tombe. Et puis sa tête émergea. Le cheveu hirsute, une barbe qui n’avait sûrement jamais vu de rasoir, avec au milieu de la figure une bouche malicieuse, surmontée d’un gros nez retroussé et de deux petites billes noires. La vue de cet être et son regard qui me fixait étrangement me provoquèrent des frissons dans le dos. On ne pouvait pas lui donner d’âge. Il était pieds nus, pas beaucoup plus grand que moi, mais bâti tout en épaisseur. Lestement, il sauta de la margelle du puits. Un peu désorienté, je fis un pas en arrière. D’une voix gutturale, il fit son rapport à papa :


– Ce n’est pas grand-chose, mais le niveau de l’eau est assez bas. Deux à trois jours de travail, et tout sera en ordre. J’en profiterai également pour curer le fond.

Sans que ses petites billes noires cessent de me fixer, il s’adressa de nouveau à mon père :


– Il faudrait que le petit me donne un coup de main pour descendre le matériel et m’aider à remonter les pierres du fond. Ça me fera gagner un jour.

L’homme avait tout de l’apparence de l’ogre décrit dans les contes de Perrault, mais en miniature. J’espérais que papa trouve une excuse pour refuser, mais ce fut le contraire :


– Il n’y a aucun problème, les enfants sont en vacances. Mariéta vous amènera les repas.

Sans perdre de temps, il tendit la main à papa et me donna un petit coup sur l’épaule.

– Très bien, je serai là demain matin à six heures. Sois prêt, petit, la journée se fait le matin.

Sans ajouter un mot de plus, il récupéra son vélo et repartit.

– Papa, tu as vu le bonhomme, tu veux vraiment que je reste seul avec lui et, en plus, à côté du puits ?


– Sylvio, cet homme a une excellente réputation. S’il avait déjà mangé des enfants, ça se saurait.

La ressemblance avec l’ogre de Perrault n’avait pas échappé à papa.

De toute la journée, l’image de l’ogre en miniature ne me quitta pas un seul instant, et je passai une très mauvaise nuit. Lorsque, au petit matin, papa tambourina à ma porte, je venais tout juste de trouver le sommeil. À six heures moins le quart, le puisatier était devant la maison. Il avait rangé ses outils dans un petit charreton qu’il tractait derrière son vélo. À six heures tapantes, avant même que le soleil ne se lève, nous étions à pied d’œuvre. Heureusement, papa avait eu pitié de moi et resta avec nous. Le puisatier fixa sa lampe à acétylène sur le front et descendit vers les profondeurs. À l’aide de quelques barres de bois, il éleva un échafaudage au fond du puits. Il y installa les pierres que nous aidions à remonter avec la chaîne et le treuil. À dix heures, papa nous laissa seuls. Moins de cinq minutes plus tard, l’ogre réapparaissait pour le déjeuner. Je savais que sa tête allait surgir au-dessus de la margelle. Pourtant, dès qu’il fit surface, je ne pus m’empêcher de sursauter et de faire un pas en arrière. Nous avions passé quelques heures ensemble, mais il m’impressionnait toujours autant. Ma réaction eut pour effet d’inscrire un large sourire sur sa figure d’ogre.


– J’ai une petite faim, pas toi ?

Ces quelques paroles m’inquiétèrent un peu, et j’espérais de tout cœur que Mariéta avait prévu la quantité.

Pendant que nous déjeunions, l’ogre miniature parut curieux d’en savoir un peu plus sur notre famille. La façon dont nous avions quitté l’Italie et notre choix de Floréal pour commencer une nouvelle vie semblaient l’intéresser.


– Tu n’es pas du pays, petit ! Il y a longtemps que vous êtes ici ? Ça n’a pas dû plaire à tout le monde que des étrangers deviennent aussi rapidement propriétaires !

Je ne souhaitais dévoiler rien de secret ni rien qui puisse porter préjudice à qui que ce soit. Aussi, je réfléchis longuement avant de répondre. Le puisatier avait bien plus qu’une petite faim. Tout le saucisson et la moitié de la coppa et du pain y passèrent. L’homme n’avait pas que l’apparence d’un ogre, il en avait aussi l’appétit. Dès qu’il fut rassasié, il se dirigea vers son vélo, ouvrit sa musette, en sortit deux grosses pommes et m’en tendit une.


– Tiens, je les ai ramassées de ce matin, ce sont les premières de l’année.

L’ogre n’eut pas besoin de couteau pour couper la sienne en deux. Sans effort apparent, ses énormes poignes la cassèrent en deux, puis en quatre. Il engloutit ensuite les quartiers, j’avais l’impression qu’il ne les avait même pas mâchés.

J’étais fasciné par l’aisance avec laquelle il avait fendu la pomme, ses doigts avaient la puissance d’un étau. Malgré sa petite taille, il valait mieux ne pas lui chercher querelle.

Le puisatier ne s’attarda pas et redescendit vers son chantier. De temps à autre, il me demandait de lui envoyer un outil ou un peu de ciment.

À midi pile, l’homme refaisait surface, il apparut au-dessus du puits, comme un diable sortant de sa boîte. Il avait l’air de s’amuser de la façon dont je réagissais.


– Petit, j’ai une de ces faims, j’espère que ta sœur ne nous a pas oubliés ?

Mariéta nous avait apporté le dîner quelques minutes auparavant. Mais elle ne s’était pas attardée, sûrement à cause de la description que je lui avais faite de l’énergumène. En plus de l’entrée et du fromage, ma sœur nous avait préparé un poulet d’au moins six livres avec des pâtes. Sans en avoir l’air, l’ogre miniature continua à me questionner. Je faisais toujours très attention aux réponses que je lui donnais. Si l’ogre était de petite taille, son appétit était, lui, de très grande taille. Il parlait et mangeait en même temps. En moins d’un quart d’heure, le poulet était dévoré, je n’avais, pour ma part, pu sauver qu’un bout d’aile. Par bonheur, je m’étais copieusement servi de pâtes. J’avais maintenant acquis la certitude de sa condition d’ogre, fort heureusement sous une forme miniature. Une chose m’étonna, il ne toucha pas à la bouteille de vin apportée par Mariéta, il ne buvait que de l’eau.


– Alors, petit, ça va sûrement mieux maintenant. Le poulet était un peu maigrelet, mais avec le fromage ça ira.

Je m’habituais assez vite à sa voix éraillée, mais son aspect d’ogre m’impressionnait toujours un peu. Je mourais pourtant d’envie de lui poser deux ou trois questions. Au cas où le courage viendrait à me manquer, je les formulais toutes d’un coup.


– Vous vous appelez comment ? Je ne vous avais jamais vu auparavant, vous habitez dans le coin ? Vous avez des enfants ?

De nouveau, ses billes noires me fixèrent et son sourire d’ogre refit son apparition.


– J’habite au milieu de la forêt de Massecot et je n’ai ni femme ni enfant. Je vis seul, avec mes appelants palombes. Pour moi, seules deux choses comptent, mon travail et la chasse à la palombe.

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