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Michel ZORDAN présente des extraits de ses romans. Il se laisse également aller à quelques réflexions sur l’actualité.

17 May

une ombre sur le monde

Publié par Michel Zordan  - Catégories :  #littérature, #Loisirs&Culture, #les exilés de l'arcange, #Littérature BD & Poésie, #Un auteur du Sud Ouest, #roman, #rentrée littéraire, #Michel Zordan, #médias

une ombre sur le monde
une ombre sur le monde

Extrait - Ma famille ne savait rien ou presque de moi depuis plus d’une année. Par mesure de sécurité, et depuis mon engagement dans la résistance je ne donnais pas de mes nouvelles. Les deux dernières fois que mon père en avait eues, c’était par la maman d’Amandine en septembre de l’année dernière et par le commissaire Ravel de Perpignan, au mois d’octobre de l’année dernière également. Papa avait connu l’homme en 1936 lors d’une rocambolesque affaire. Mais depuis plus rien. Malgré leur âge avancé, Patou et Victor veillaient toujours sur leur maître et leurs petits maîtres. Ces derniers leur en faisaient voir de toutes les couleurs, mais nos deux chiens encaissaient sans réagir. Peut-être parce qu’ils pensaient qu’avoir de petits enfants auprès d’eux était un immense privilège et qu’il fallait accepter d’en payer le prix.

Perdu dans ses pensées, papa n’entendit pas tout de suite le bruit de moteurs qui se rapprochait. Victor s’était lui relevé et dressait les oreilles. À son tour Patou se mit en éveil, leur réaction alerta mon père qui se leva, et fit le tour de la maison. Du côté du chai et très loin au nord-ouest, un avion se dirigeait vers L’Arcange. Il ne passerait peut-être pas sur la maison, mais il n’en serait pas très loin. En fixant l’énorme oiseau, mon père constata qu’il n’était pas seul, quatre gros moustiques tourbillonnaient autour de lui. Puis il aperçut une grosse fumée noire à l’arrière du bombardier quadrimoteur Lancaster de la RAF. Malgré cela, le mastodonte semblait imperturbable et poursuivit sans dévier de sa route. Papa avait pourtant l’impression qu’il perdait de l’altitude. Pendant ce temps, les Messerschmitt bf109 le harcelaient toujours de leur étrange ballet. Un deuxième panache de fumée noire fit son apparition, mais de l’autre côté. Le spectacle était fascinant, les acteurs se rapprochaient maintenant très rapidement. Le gros oiseau perdait progressivement de l’altitude et disparut bientôt derrière le rideau d’arbres. Papa s’attendait à entendre une explosion, mais la valse incessante des Messerschmitt bf109 lui fit comprendre qu’il ne s’était pas écrasé. Peut-être par manque de puissance ou pour se protéger, le bombardier anglais était descendu à très basse altitude. Il devait déjà survoler Sos, dans une à deux minutes au maximum il serait sur eux. La vision avait quelque chose d’hallucinant, les gros moustiques devenaient maintenant des frelons, montant et redescendant en piqué. Ils tournoyaient de façon incessante, mais on ne savait rien de la bête traquée.

Le spectacle se rapprochait à très grande vitesse. L’espace d’un instant papa revint sur terre, il pensa tout de suite aux jumeaux. Il quitta des yeux la féérie dramatique, se précipita devant la maison et aperçut Fabien et François, encore assis sous les pruniers. Les jumeaux ramassaient tranquillement les fruits. Il courut vers eux, mais dans un vacarme épouvantable, les bruits des combats se firent soudain entendre. La gigantesque bête blessée, faite de rivets et de tôle d’acier, réapparut à moins de cinq cents mètres. Le bruit était assourdissant, l’hallali se poursuivait. Sûr de leur fait, les rapaces se faisaient de plus en plus pressants, mais le géant n’avait pas l’intention de capituler. Les mitrailleuses du Lancaster répliquaient sans faiblesse aux MG 17, calibre 7,9 mm des chasseurs allemands.

Le quadrimoteur ne devait pas se trouver à plus de cent cinquante ou deux cents mètres d’altitude. Mon père avait l’impression qu’il allait toucher les arbres. Il courait, mais en même temps, un peu comme dans un cauchemar, il ne pouvait détourner la tête de la scène. Le monstre d’acier était sur eux, dans un sursaut il saisit un enfant sous chaque bras et plongea sans réfléchir dans la haie toute proche. À peine furent-ils à l’abri qu’il entendit l’impact des balles sur le sol. Trois petites branches du prunier à côté duquel ils s’étaient réfugiés tombèrent à deux ou trois mètres d’eux en virevoltant. Le Lancaster blessé passa à ce moment sur la maison, les deux moteurs encore en état de marche à leur puissance maximum. Le bruit était terrifiant. Papa attendit quelques secondes que le danger soit définitivement écarté. Le bruit était déjà reparti très loin en direction du bois de Lian, il devait déjà arriver sur Condom. Il se releva alors. Les petits se relevèrent également, ils ne semblaient pas avoir été inquiétés.

– C’est ça la guerre, pépé ?

– Oui, mon François, c’est ça la guerre !

– Tu crois que le gros avion, il va tomber ?

– Non Fabien, je ne pense pas, même s’il ne lui reste que deux moteurs, je suis certain qu’il va s’en sortir.

Encore sous le choc, papa avait toujours pensé que sa famille serait à l’abri en zone libre. C’est pour cette raison qu’il avait insisté auprès de Mariéta pour qu’elle vienne avec Julien, ses jumeaux et Edmonde se réfugier à L’Arcange.

Que venait faire ce bombardier dans cette région ? La guerre les avait-elle rattrapées ? Il se retourna, sur le seuil de la porte, ma sœur Mariéta tétanisée avait assisté à toute la scène. Horrifiée, elle restait sans réaction, les deux mains sur la bouche, sans qu’un mot ne puisse en sortir. Elle se précipita vers eux et les prit tous les trois dans ses bras.

– Tu as vu, maman ? On a fait la guerre. Pépé, il nous a emporté dans la haie pour pas que les avions nous tirent dessus.

– Tu sais, Pépé, tu cours encore très vite pour un pépé !

Un bruit de moteur se fit de nouveau entendre, très loin au nord-est, trois petits points repartaient vers leur base.

Regardez les enfants, ils ne sont plus que trois, je crois que le gros avion va s’en sortir, apparemment il en a descendu un.

Mariéta et papa écoutaient les jumeaux, ils savaient que la tragédie avait été évitée de justesse. Le vacarme avait sorti la Dame en Blanc de sa sieste, elle les rejoignit sous le prunier. Dans le détail, papa lui raconta ce qui s’était passé. Tout en expliquant, il aperçut des traces d’impacts sur le sol. Il se baissa, creusa un peu de sa main et ramassa deux petits objets. Mon père avait en main deux balles de mitrailleuses.

– Regardez, on ne pourra pas les oublier, ils nous ont laissé des souvenirs.

Papa ne pouvait dire si les balles étaient anglaises ou allemandes. Un quart d’heure plus tard, le chauffeur de la Dame en Blanc, Lucien Vermeil, revint de Condom. Il était dans la ville lorsque Le Lancaster et les chasseurs allemands passèrent à moins de cinq cents mètres du centre, mais il ne savait rien de plus.

Grâce à une relation, le chauffeur était entré en contact avec une personne qui pourrait éventuellement lui fournir du carburant au marché noir. Il rentrait de Condom avec un bidon de cinquante litres du précieux liquide.

Dans le journal du lendemain on apprit que le Lancaster de la RAF avait, avec cinq autres bombardiers, pour mission de détruire les installations portuaires occupées de Bordeaux. Poursuivi par les Messerschmitt bf109 il était ensuite repartit, sans qu’on en sache la raison, vers l’est

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