Occitania, les voleurs de royaume
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Extrait : Au matin du quatorze juin de l’an 1276, à plus de trois cents nous quittons Saint-Cirq pour la Gascogne. Les Cardaillac, les Gourdon sont des nôtres. Je ne vois aucun des Barasc. Un point de ralliement se situe à Cahors. À partir du lendemain, une véritable petite armée converge vers le fief du Sire d’Albret pour assister aux épousailles de ce seigneur de Lasmazères qui m’est complètement inconnu. Je n’ai entendu prononcer son nom pour la première fois, qu’il y a quelques semaines. Mais qui est-il réellement pour que les seigneurs du Quercy et apparemment de toute la Guienne lui accordent une telle importance ? D’après père, et grand-père Déodat ce mariage est juste un prétexte pour se rencontrer. Mais je suis persuadé que certains ont une idée bien plus précise sur les raisons de ce rassemblement.
Officiellement, la Gascogne est possession de la Guienne, et la Guienne des Anglais. C’est Louis IX qui nous a vendus aux Anglais par le traité de Paris de 1259. Louis IX, dit « le bon » (pas pour nous, mais paix à son âme, il est mort à Carthage, sûrement empoisonné par ceux-là mêmes qu’il avait trahis), avait officiellement échangé la Guienne aux Anglais contre d’autres possessions plus au Nord. Il n’y a plus guère que l’Agenais qui n’est pas encore tombé dans l’escarcelle des Anglais. Cette contrée figure bien dans le traité de 1259, mais avec une mention spéciale, et Philippe III le Hardi, Roi de France, fait trainer les choses.
En 1271, à la mort d’Alphonse de Poitiers, comte de Toulouse, bien que faisant partie de la Guienne, la plupart des seigneurs du Quercy hommagent en faveur de Philippe III le Hardi, Roi de France, et dixième dans la dynastie des Capétiens. Mais pour un nombre conséquent de seigneurs de Gascogne et des autres contrées, c’est loin d’être le cas. Certains mènent double jeu, attendant de voir, s’accommodant aussi bien du vent du Nord, de l’ouest, de l’Est, que du vent d’Autan. Notre petite armée qui se dirige vers Nérac, c’est sans aucun doute pour convaincre certains que nos âmes ne sont pas à vendre. Les Anglais d’Édouard Ier le Plantagenêt, ne seront jamais les maîtres en Quercy et les quelques petits privilèges qu’ils accordent à certains ne sont que des leurres.
Arrivés à Tournon, haute place de l’Agenais, les paysages changent radicalement. Devant nous s’offre une large plaine. En abordant Agen, nous savons que notre voyage touche vers sa fin. Lorsque nous arrivons dans les coteaux surplombant Nérac, nous découvrons plusieurs villages de tentes aux différents blasons. Chaque clan a son pré carré, sûrement réservé en fonction de son importance et des affinités. Le nôtre est mitoyen de celui des Ducs de Gascogne. Le touchant à gauche. Très puissants les Ducs de Gascogne. D’après ma famille leur chef proclamé le comte d’Astarac, un Plantagenêt est très proche des Anglais. À droite s’étalent les tentes de Guilhem Raymond de Pins, et de ses amis les seigneurs de l’Agenais. Soutenus dans l’ombre par l’Ordre du Temple très bien implanté dans la contrée, ils sont alliés de Philippe III le Hardi, roi de France. L’équilibre a été bien pensé. Ici, et comme chez nous, la culture de la vigne est partout. À peine arrivés, des envoyés du bailli de Nérac nous accueillent. Nous proposant barriques de vin de Buzet, miches de pain, jambons et autre charcutaille. Puis arrive une flopée de gens pour aider à monter notre campement. Je suis très surpris. Comment le Sire d’Albret s’y est-il pris pour convaincre tous ces seigneurs d’accepter son invitation ? Et comment s’y est-il pris pour qu’ils acceptent d’installer leur camp, côte à côte ? Je ne suis pas le seul à être surpris. Accompagné des mes trois frères, Bertrand, Arnaud, et Pons, Père nous envoie en reconnaissance. Nous sommes ébahis par l’affluence et la qualité des participants. Une bannière attire mon attention, je reconnais sans hésiter celle des Turenne. Si cette bannière est là, peut-être qu’Alayde, la Dame de Bergerac, Margueritte de Turenne est là aussi !
– Mes frères, je reconnais ce blason. Mon périple en terre de Bergerac, la Dame qui m’a accueilli, la maison forte dans laquelle nous étions retranchés, c’était la sienne. Allons nous informer, j’aimerais bien la saluer.
Nous approchant, nous devons montrer patte blanche. Déclinant nos identités, ignorant même si la Dame est présente, je demande à être reçu. Encadrés par six hommes en armes nous avançons dans le campement, nous dirigeant vers une tente plus imposante. Puis je l’aperçois, brodant, assise sur un siège rehaussé de coussins bleu pastel. Sans attendre, je saute de mon destrier et cours. À genou devant elle, je lui prends la main et l’embrasse.
– Pardon Dame Alayde, pardonnez-moi je n’ai pu m’empêcher. Je suis confus. Il y a très longtemps, mais je ne vous ai jamais oublié, jamais je n’ai oublié ce que nous avons vécu ensemble.
Le regard de Dame Alayde n’a pas changé, toujours cette tristesse, dans ce regard bienveillant. Elle ne semble pas très surprise de me voir.
– Gaillard, tu sembles le même, mais tu es devenu un homme. Je suis très heureuse de te voir. Moi non plus je ne t’ai jamais oublié. Je pense souvent à toi, je suis très heureuse de te retrouver ici.
C’est au tour de mes trois frères de saluer Dame Alayde. Ils ont déjà été présentés lors de ma délivrance à Bergerac et nous passons un long moment à converser. La Dame de Bergerac habite toujours le château de Gensac, mais seule. Son premier époux Renaud de Pons est décédé. Pour assurer sa sécurité, elle a épousé en deuxième noce, Alexandre de la Pébrée. Mais il réside dans un autre fief et n’est pas présent en ces lieux. J’ai toujours le magnifique ouvrage de Pierre Abélard qu’elle m’a offert. Le frère Émery du monastère de Saint-Cirq m’a aidé à mieux le comprendre et je lui en fais part. Osant, je lui pose la question sur cet étrange rassemblement. Je sais que le mariage n’est qu’un prétexte.
– Le Sire d’Albret a beaucoup insisté sur l’importance de ma présence ici. Il a, parait-il, des révélations de la plus haute importance à me faire. C’est son émissaire particulier qui m’a rendu visite pour me convaincre. Il ensuite a envoyé une très forte escorte pour me chercher et m’accompagner. De mon côté je n’ai pas lésiné sur les moyens.
Je lui demande si par hasard elle a des nouvelles du clan des Ogres et des moines prêcheurs du couvent des Jacobins de Bergerac : les frères Hugues, Eudes, Hervé, Helgaud, Renoul et tous les autres. Elle n’a pas plus de nouvelles du clan des Ogres que des moines prêcheurs, si ce n’est que ces derniers habitent toujours le couvent.
En début d’après-midi une soixantaine de Seigneurs, les plus importants seront reçus par le Sire d’Albret Amanieu VI au château de Nérac. Père nous demande de choisir entre-nous, celui qui l’accompagnera, avec grand-père Déodat. La plus courte paille me désigne.