les raisons de l'exil
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Le 31 au matin notre train quitta Gênes à l’aube, la neige commençait à tomber. Un peu après San Remo, un homme et une femme entrèrent ensemble dans notre compartiment. Leur façon de nous dévisager me semblait bizarre, je compris rapidement que leur attitude n’avait pas échappé à papa. Après quelques minutes, il se leva et se dirigea vers la porte.
– Mariéta, Sylvio, la nuit a été longue, allons dans le couloir nous dégoudir les jambes, ça va faire du bien.
Papa cherchait juste un prétexte, pour nous parler en toute tranquillité.
– Je ne sais pas qui sont ces gens, et ce qu’ils nous veulent, mais nous allons essayez de trouver des places libres ailleurs.
Puis presque immédiatement le train ralentit, et s’arrêta à la gare de la petite bourgade de Vallecrosia. Cet arrêt ne semblait pas prévu.
Aussitôt papa nous fit signe, sans hâte, mais sans attendre, nos bagages en mains, nous sortîmes dans le couloir.
Á peine avions-nous atteint le fond du wagon, qu’à l’autre extrémité, quatre hommes en uniforme noir des milices fascistes faisaient irruptions. Sans hésiter, ils pénétrèrent dans le compartiment que nous venions de quitter. Des cris et des éclats de voix se firent aussitôt entendre.
– Les enfants, ne restons pas dans le train, je ne sais pas après qui ils en ont, mais il vaut mieux descendre.
Sur le quai, papa nous poussa discrètement derrière un charreton de livraison. Nous fîmes semblant de nous intéresser au cheval de trait Ardennais. Á quelques mètres seulement, deux des quatre fascistes entrainaient sans ménagement la femme et l’homme dans une automobile. Les deux autres étaient sans doute restés dans le train. Notre père semblait hésiter. En quelques minutes, la gare toute entière fut investie par des uniformes.
– Nous ne pouvons pas prendre le risque de remonter dans le train, partons à pied.
La couche de neige atteignait maintenant dix bons centimètres. Notre père portait les deux valises, Mariéta se chargeait du sac à provision et moi des deux musettes. Après quelques centaines de mètres seulement, nos chaussures de cuir étaient imbibées d’eau, mais nous n’avions pas envi de nous plaindre. Nous étions si près du but, et si certains d’y parvenir, que nous considérions le contretemps que nous venions de vivre, comme une simple péripétie. Nous avions connu bien pires et nous avions envi de croire que notre avenir serait meilleur. Au carrefour papa nous montra un panneau du doigt.
– Regardez les enfants, c’est la direction de Vintimille, ce n’est sûrement plus très loin. Nous allons essayer de rejoindre la frontière par la route, il y a certainement un arrêt de car dans ce bourg.
Avant la sortie du village, l’attelage que nous avions aperçu dans la gare nous rattrapa et nous dépassa. L’homme stoppa le cheval, sauta de son siège et vint à notre rencontre.
– Bonjour mes amis, il ne fait pas bon voyager par ce temps, vous allez loin ?
Papa paru hésiter. Le bonhomme, petit, ventru, mal rasé, chapeau crasseux vissé sur la tête, chaussé de bottes de cuir et emmitouflé dans un gros manteau de peau de mouton n’attendit pas sa réponse.
– Ne vous inquiétez pas, avec moi, qui que vous soyez, vous ne risquez rien. Je vous ai vu descendre à la gare, lorsque les fascistes sont entrés dans le train. Vous souhaitez sans doute passer la frontière sans encombre. Ici rien n’est facile. D’un côté les antifascistes chassent les espions qui se rendent en France pour le compte de Mussolini, et de l’autre les miliciens chassent ces même antifascistes. Moi je ne fais pas de politique, mais je peux vous aider à arriver de l’autre côté sans encombre.