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Michel ZORDAN présente des extraits de ses romans. Il se laisse également aller à quelques réflexions sur l’actualité.

20 Feb

un exil plus loin

Publié par Michel Zordan  - Catégories :  #littérature, #roman, #Un auteur du Sud Ouest, #les exilés de l'arcange, #Loisirs&Culture

un exil plus loin
un exil plus loin

Durant la matinée je fais la découverte du navire. Je traine un peu, et lorsque j’accède à la salle de restaurant pour le déjeuner, elle est déjà au trois quarts vide. À peine assis j’aperçois deux petites têtes, l’une blonde l’autre rouquine, se cachant derrière les tables, progressant seulement lorsque les serveurs travaillent sur la partie avant ou en cuisine. Seules les mains apparaissent pour saisir, dans les assiettes, rosbeef, bacon et autres subsistances abandonnés. Même les patates écrasées disparaissent. Je me demande de quelle façon ils entreposent la nourriture. Sûrement en vrac dans un récipient, peut-être même dans un sac. En voilà deux qui ne font pas de manière, et qui doivent avoir très faim. La récolte est certainement partagée avec d’autres. Lorsque le baroudeur des gargotes avec son tablier crasseux se dirige dans leur direction dans l’intention de débarrasser les tables, je l’interpelle dans un anglais approximatif ; S’il vous plait monsieur, pourrais-je avoir un peu d’eau ? À contrecœur l’homme fait demi-tour et repart vers son antre. Les petites mains réapparaissent à quatre ou cinq reprises. Puis les deux têtes progressent vers la sortie. Je n’attends pas ma commande et me lève dans l’intention de les suivre à distance. Dans quelle partie du bateau a-t-on pu les loger ? Devant moi, à une vingtaine de mètres, le garçonnet et la petite rouquine, l’un portant un sac, l’autre un bocal de verre, descendent par un escalier amenant vers le pont G et les troisième classes. Ils marchent assez rapidement, mais sans inquiétude. Arrivés au fond d’un petit couloir, ils ouvrent une porte et la franchissent sans hésitation. Je rebrousse chemin, me demandant encore les raisons qui m’ont poussé à les suivre.

Le manège se poursuit durant le repas du soir et le lendemain. Personne ne semble se soucier de leur présence… sauf l’un des serveurs, le baroudeur de gargotes au tablier crasseux. Plusieurs fois je le vois s’arrêter brusquement, puis jeter un coup d’œil suspicieux vers l’arrière. Mais la salle est assez grande, tout en longueur et les gosses très vifs. Pour moi cela devient presque un rendez-vous, je m’assoie toujours de façon à pouvoir les surveiller, eux et… le serveur. Ces enfants, qui sont-ils ? Que font-ils sur ce bateau ?... Mais pour quelle raison ces gamins m’intéressent-ils autant ? Peut-être mon subconscient trouve-t-il là un moyen de détourner mes pensées. M’incitant à m’accrocher à autre chose, niant, rejetant, contestant, poussant mon cerveau à occulter ce qu’il s’est passé et qui a motivé ce départ précipité. Peine perdue, dès que je me retrouve seul dans ma cabine, allongé sur mon lit, cherchant le sommeil, les images reviennent en sarabande. Alors je m’appuie contre la cloison et sifflote : La Cucaracha, la Cucaracha… une fois, puis deux fois. Plus je sifflote, plus ce sentiment de révolte et de haine monte en moi, et plus la sarabande d’images s’accélère. Seule la fatigue peut éteindre ce cauchemar, alors, d’épuisement, je m’endors…

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