des nems sauce grabuge

À peine les dernières syllabes ont-elles quitté ma bouche, que mon attention est captée par une apparition. Cette apparition c’est Chan, la jumelle chinoise de Mei. Toujours aussi grande, Chan semble toujours aussi frêle qu’un roseau. Elle est habillée comme à sa première apparition, et j’ai du mal à trouver les mots… S’approchant de moi dans sa robe fuchsia légère et très courte, elle m’interpelle d’une petite voix haut perchée.

– Martial Beaumont !

Elle sait très bien qui je suis, mais je me dois de jouer le jeu.

– Oui, c’est moi ! Je vous prie asseyez-vous !

– Merci beaucoup, vous allez bien Martial ?

Je comprends à sa façon de s’asseoir très calculée que ses intentions sont une fois de plus de me mystifier. Comme à notre première rencontre se dégage de cette jeune femme quelque chose de très particulier. Martial, très particulier, ça veut dire quoi au juste ? Ça veut dire cocktail d’exotisme, et de sensualité, avec un zeste de fragilité, assaisonner façon fantasme très suggestif, mais inaccessible, genre fruit défendu. Ai-je été assez clair ! J’y ai déjà goûté, mais tout à coup je doute, j’ai l’impression que c’était dans un rêve, ou alors une autre vie. Il y d’autre ingrédients dans ce savant mélange, mais pour le moment j’ai plus le mot de passe et mon cerveau refuse tout accès. Sûrement pour donner plus de poids encore a cette atmosphère quasi délictueuse, elle bouge beaucoup sur sa chaise. Toujours de petits mouvements, qui se voudraient sans importance.

– Depuis que vous êtes assise là, face à moi, ça va très bien. Vous êtes passée au golf ? Votre sœur s’y trouve ! Elle s’est bien remise, j’en suis heureux. Et vous… J’ai essayé de vous joindre au téléphone, mais vous avez changé de numéro…

Elle ne répond pas à ma question, mais poursuit son œuvre de déstabilisation, en croisant et recroisant sans cesse ses longues jambes. Dans ma tête le panneau « attention danger » ne cesse de clignoter à l’orange bien mûr, et bientôt une petite voix l’accompagne. La petite voix m’avertie que la fille représente toujours et peut-être même plus encore un danger, et que je ne dois pas laisser ma libido gambader sans contrôle. Ça va j’ai compris, je me suis fait piéger à deux ou trois reprises, mais la leçon a porté, et maintenant je gère. D’ailleurs la dernière fois, cela ne s’est pas trop mal passé. Puis son parfum prend le relais, léger mais en même temps très, très envoûtant, ensorcelant, troublant. Je suis sous le charme, et je dois redoubler de vigilance. Le panneau passe rapidement au rouge. La sirène ne retentie pas encore, mais c’est limite, le flash n’est plus très loin. Martial fait gaffe aux points sur ton permis ! Karine qui a compris que quelque chose de très spécial est en train de se passer est repartie penaude vers son comptoir. La demoiselle Yuan Chan poursuit ses petits effets. Pas de grands mouvements, mais ils sont brefs et incessants. La coquine connait mon coté vulnérable et en abuse. Ses gambettes se font et se défont à un rythme très calculé et parfois très haut. Mais pour quelle raison croise-t-elle ses jambes aussi haut ? Peut-être la chaise après tout ! L’ancien ne convient pas à tout le monde. Mon bonhomme, si tu n’as pas encore comprit ça, c’est que ton cerveau est déjà frit. Réagit et vite ! Réagir, d’accord, mais ce n’est pas si simple, parce que je ne comprends pas pourquoi Chan se comporte de la sorte. Nous poursuivons notre échange qui n’est pas du plus grand intérêt. Nous meublons, et dans l’état ou je me trouve ce n’est déjà pas si mal. Elle utilise le vous, mais c’est peut-être pour recréer un peu de distance, ou peut-être pour … Le souvenir de notre périple à la découverte de la campagne de Saint-Jean et notre face à face torride au milieu du champ de trèfle rouge m’empêche d’y voir clair. Etait-ce un rêve, ou la réalité ? Martial c’est pourtant simple, si cette fille ressurgie, et tente de te vamper avec autant de détermination, c’est que quelque chose se prépare. J’en suis conscient, mais quoi ?

Un hypnotiseur sait que pour réussir son tour, le sujet doit jouer le jeu, ou du moins ne pas trop résister. La jeune femme a compris que je suis sur mes gardes et ne reste pas assise plus de cinq à six minutes. Elle est là debout, mais hésite à repartir, comme si elle souhaite que je la retienne. Je dois résister à la tentation. Mon regard cligne vers le bas de sa robe qui remonte encore très haut sur ses cuisses. Puis je remarque ses boots noirs à quatre boucles et semelles à talons hauts, qui contrastent du tout au tout avec sa robe fuchsia. À notre première rencontre elle était chaussée de boots qui ne comportaient que trois boucles. Mon cerveau est certes embrumé, mais vous pouvez constater que je fais attention aux détails. Sa coiffure aux cheveux raides colorés d’un rouge cuivré aussi est différente. Cette fois, elle cache l’œil droit, seul le gauche est visible. Je comprends que mon système de sécurité c’est déclenché. Mon inconscient vient d’activer un moyen de défense. Il concentre mon attention sur des points très précis, mais pas déterminant, pour calmer mon trouble : les chaussures, les cheveux, les yeux, c’est juste une médication, une intraveineuse interne. Un très bref instant un timide petit sourire éclaire la commissure de ses lèvres. C’est un jeu, mais elle le joue bien. La question est : juste coquine, ou bien garce… j’ai encore du mal à y voir clair.

– Chan pourquoi voulez-vous repartir aussi vite, vous n’avez rien dit. Vous savez, ici tout est rentré dans l’ordre, j’ai rencontré Zhijang Shi. Tout a repris comme avant.

Martial par pitié, laisse-là repartir, cette fille est un piège. Machinalement comme à notre première rencontre, elle me tend une carte, que je prends. Puis elle se tourne et s’éloigne, balançant son petit fessier de façon pas tout à fait naturelle. Son déhanchement ressemble plus encore à un leurre très coloré pour carnassier, manipulé par une main experte dans des eaux un peu troubles. Milles excuses, j’ai déjà utilisé cette formule mais je la trouve très appropriée. J’ai une envie folle de la rappeler, de me lever et de lui courir après. Martial, tu dois sur le champ faire appel à toute ton énergie renonciatrice, tu dois te faire violence, après il sera trop tard. Ça s’est encore et toujours la petite voix qui me parle, mais je n’ai pas envi de l’écouter, et puis… j’obtempère. Je jette un œil à la carte, seuls y figurent, son nom, avec un numéro de portable. Sûrement son nouveau. Je la glisse dans la poche de mon jeans. C’est le parfait remake de notre première rencontre, ici même, il y a quelques semaines. La suite va-t-elle être du même tonneau ?

– Vous prendrez quoi monsieur Beaumont ?

– Dis-moi jolie fille, tu fais quoi ce soir après ton service ? On pourrait peut-être passer un peu de temps ensemble !

– Martial, tu as pris un râteau sévère avec la chintok, mais tu ne perds pas le Nord ! L’exotique est en pénurie, alors tu te rabats sur le local…