les cahiers de mon père

Durant le trajet, je répète à grand-père quelques mots prononcés par Mariéta dans sa conversation houleuse avec maman. J’aperçois sa mâchoire se crisper, c’est pas bon signe. À notre arrivée, ma tante est sur le départ. Mais grand-père bloque sa voiture, une Versailles flambant neuve, tout au bout de l’avenue. Rapidement il descend de la camionnette et se précipite vers elle, ouvrant sèchement la portière.

– Mariéta tu es ignoble, mais tu es ma fille et je ferais avec. Tu ne t’es pas bien comporté envers ton frère et moi. Pour Sonia, et Baptiste n’en parlons même pas. Il faut te faire une raison, Baptiste me succédera à L’Arcange et s’il le souhaite il pourra aussi travailler dans l’entreprise du Général. Même si je mourrais aujourd’hui, ça ne changerai rien, tout a été prévu chez le notaire. Je ne veux plus te voir dans cette maison, si tu y reviens un jour, ce sera pour faire des excuses. J’ai envoyé une longue lettre à ton frère, j’ai reçu sa réponse. Il me demande d’engager une action en justice contre la famille Montesquieu, ta famille. Il souhaite récupérer l’argent destiné à Baptiste, et que toi et Julien, avez détourné. Crois-moi, tu vas avoir des lendemains qui déchantent. C’est malheureux d’en arriver là dans notre famille, mais tu ne nous laisses pas le choix.

Mariéta ne prononce pas un mot, grand-père referme tranquillement la portière et rejoint la camionnette. La fracture est bien plus profonde que je le pensais. Il y a des mois que la lave est en fusion, et bouillonne en profondeur. Aujourd’hui le volcan se réveille, l’écorce se fissure et les grondements sinistres se font entendre en surface. Comment une famille aussi unie, a-t-elle pu en arriver là ? L’argent, mais peut-être pas que ?

Il y a quelques années la famille Etchebéry a aussi connu une situation un peu similaire. Maman a mis des années avant de pouvoir récupérer son héritage d’Espagne. Durant les moments les plus tendus, grand-père m’a recueilli à L’Arcange et il nous a donné un formidable coup de main. Avant de trouver son épilogue, l’histoire s’est malheureusement muée en tragédie. Aujourd’hui grand-père peut compter sur notre soutien indéfectible. En plus cela me concerne très directement. J’espère de tout cœur que la situation ne prendra pas des proportions dramatiques, comme cela avait été le cas pour maman.

– Désolé Sonia, mais je ne sais pas comment elle a pu apprendre que vous étiez ici.

– Vous n’y êtes pour rien Émilio, je me rends maintenant mieux compte de la situation. Mariéta m’a parlé d’une lettre qu’ils ont reçue de Sylvio. Il les met en demeure de verser à Baptiste une certaine somme qui correspondrait aux arriérés des loyers de l’immeuble parisien et de ses parts dans l’entreprise Montesquieu d’Agen. Vous êtes au courant Émilio ?

– Oui, bien sur. Chaque fois qu’il écrit aux Montesquieu, il m’informe. Et chaque fois qu’il reçoit un courrier, c’est la même chose. Sylvio a d’abord proposé aux Montesquieu de leur vendre ses parts. Il leur a demandé de lui faire une proposition qui inclurait les dividendes non réglés. Il a reçu un courrier de Mariéta précisant qu’il n’y avait aucun dividende, et que ses parts ne valaient rien. Pour ce qui est de l’immeuble, apparemment, il n’y aurait non plus aucun bénéfice. J’ai demandé un service à notre comptable. Il s’est procuré les bilans, et par Séverine Jacquard, l’amie de Sylvio nous avons pu reconstituer les comptes pour les locations de l’immeuble. La somme détournée par les Montesquieu est assez considérable. J’espère de tout cœur que nous n’aurons pas les mêmes difficultés que toi pour la récupérer. Et pour ne rien arranger, est venu se greffer là-dessus ma succession à L’Arcange.

– Et avec les enfants, ça se passe comment.

– Des enfants qui ont toujours eu ce qu’ils exigeaient, et même plus, ne font en principe pas de très bons enfants.