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Michel ZORDAN présente des extraits de ses romans. Il se laisse également aller à quelques réflexions sur l’actualité.

12 Feb

La princesse de bronze

Publié par Michel Zordan  - Catégories :  #Littérature, #roman, #Un auteur du Sud Ouest, #Loisirs&Culture

La princesse de bronze

Je me présente, Raphaël Lemer, vingt-quatre ans. J’ai l’immense honneur et privilège d’œuvrer dans la prestigieuse brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Cet après-midi à seize heures quatorze précises nous avons été appelés pour un incendie qui s’est déclaré dans un immeuble d’habitation, au 4, allée Adrienne Lecouvreur. À deux pas du Champ de Mars et de la Tour Eiffel. À cet instant, j’étais très loin de me douter que cette mission serait pour moi le point de départ d’une extravagante aventure. Et si vous regardez bien la carte au 4, allée Adrienne Lecouvreur à Paris, vous comprendrez tout de suite qu’un mystère, et même plus, entoure cette histoire. Dans Google, il vous suffit de taper : carte de l’Allée Adrienne Lecouvreur Paris 7°. Vous allez être surpris, et pourtant….

Tout avait réellement commencé quelques siècles plus tôt. Mais était-ce le hasard qui aujourd’hui faisait rebondir cette histoire dans ma vie ?

Dans un appartement du quatrième étage, au 4 allée Adrienne Lecouvreur à Paris…

Je suis la fille du roi Huitzilihuitl, fils d’Acamapitchtli et petit-fils de Culhuacan. Je suis née en 1397. Mon père devint le deuxième Tlatoani, roi-prêtre des Aztèques, à la mort de son père en 1396. Je vivais dans la cité de Tenochtitlan, construite sur un îlot du lac Texcoco, à l’endroit même où l’aigle dévorait le serpent. Cette terre appartenait aux Tépanèques d’Azcapotzalco. Ma mère était l’une des filles de Tezozomoc, le souverain d’Azcapotzalco. Je suis le premier enfant de Huitzilihuitl et de la fille de Tezozomoc. Mon frère Chimalpopoca était le favori de notre grand grand-père Tezozomoc, le souverain d’Azcapotzalco. Durant le règne de mon père Huitzilihuitl, la cité de Tenochtitlan prit un essor considérable. Cette puissance naissante devenait une source d’inquiétude pour certaines tribus tépanèques. À la mort de mon père, en 1415, mon frère Chimalpopoca fut élu roi de Tenochtitlan et l’inquiétude des tribus tépanèques se transforma en hostilité. Pour calmer leur animosité, mon frère, le roi de Tenochtitlan, me proposa pour épouse à Penamotzaloc, l’un des fils d’Azalimotzilochli, grand chef de l’une des tribus tépanèques. Penamotzaloc n’était alors âgé que de huit ans, et ne pouvant officiellement devenir son épouse, je devais demeurer sa fiancée à ses côtés jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de douze ans. Lorsqu’il mourut à onze ans, quelques mois avant notre mariage, son père Azalimotzilochli exigea que je demeure éternellement à ses côtés. Mon corps sacrifié fut alors soumis à un rituel étrange. L’énergie dégagée par ma crémation fut utilisée pour créer une petite statuette de bronze servant d’urne funéraire emprisonnant mes cendres cristallisées. Cette statuette accompagna le corps du jeune Penamotzaloc dans sa dernière demeure. Depuis ces temps immémoriaux, mon âme et mon corps vivent emprisonnés dans cet habit de métal.

En 1985, après des siècles et des siècles, des pilleurs de tombes s’emparèrent de moi. Je passai alors de main en main, de marchand en marchand et d’étal en étal. Les badauds me prenaient dans leurs mains, certains laissaient leurs doigts caresser les courbes de mon habit de bronze. Puis ils me reposaient négligemment sur l’étagère comme une vulgaire marchandise.

Un jour la chance me sourit enfin : le regard délicat d’une jeune femme s’attarda sur les formes polies de la statuette et j’eus le sentiment que la renaissance était peut-être pour bientôt. Je me suis ensuite retrouvée dans une grande maison. De la cheminée sur laquelle un homme m’avait installée, je pouvais admirer un immense édifice fait de poutres de métal et de rivets. Lorsque les rideaux n’étaient pas fermés mes yeux s’amusaient de tous ces gens qui montaient et descendaient ou qui marchaient sur la grande esplanade.

Un après-midi où la neige recouvrait tous les toits, les flammes commencèrent à réchauffer les pierres froides de la cheminée. C’est alors que je sentis monter en moi une énergie que je n’avais pas ressentie depuis des siècles. Pendant quelques heures, j’eus l’impression de reprendre possession de mon corps, de sentir à nouveau le sang couler dans mes veines. Puis les flammes commencèrent à baisser d’intensité et mon âme et mon corps retournèrent dans l’obscurité. Durant plusieurs jours, l’homme qui était devenu mon maître ralluma ce feu qui me redonnait un peu de vie. Mais à chaque fois la tiédeur des flammes ne faisait que caresser mon habit de bronze, et l’énergie dégagée n’était pas assez puissante, pas assez vive pour me sortir de la torpeur de ces siècles de solitude. De temps à autre, l’homme me prenait dans ses mains, mais ses doigts virils sur le métal ne faisaient qu’activer mon désir de renaître à la vie. Petit à petit un sentiment de frustration s’installa en moi et je commençai à haïr ce mâle qui semblait se jouer de moi. Un soir enfin la chaleur se fit beaucoup plus intense, j’eus l’impression que mon cœur recommençait à battre et l’espoir était de nouveau là. Mais cet espoir fut de courte durée. La jeune femme qui m’avait choisie chez le marchand fit son apparition, elle s’approcha de moi et comme une provocation, elle m’effleura. Ensuite elle défit ses vêtements et s’allongea sur le tapis devant les flammes qui crépitaient. L’homme la rejoignit très rapidement et la grande pièce, seulement éclairée par la lueur des bûches en fusion, s’emplit de soupirs et d’invites au plaisir. Je vivais cette scène de cauchemar dans une désespérance totale. Lorsque le silence enveloppa de nouveau la pièce, la jeune femme se leva et me montra du doigt.

– Regarde mon chéri, elle a l’air en colère, son regard est plus intense, on a l’impression qu’elle vit.

L’homme se leva à son tour, me prit dans sa main et ajouta à mon supplice en caressant sensuellement les formes de la statuette. Puis il me reposa négligemment sur la cheminée, avant de retrouver la jeune femme qui s’était de nouveau allongée sur le tapis. À cet instant j’aurais préféré être de nouveau, sacrifiée, jetée au feu et disparaître à tout jamais.

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